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10 de août de 2020 Twitter Faceboock

lutte des classe au Moyen Orient
Iran : Une vague historique de grèves ouvrières traverse le pays

L’Iran, dévasté par le coronavirus, traverse une crise économique aiguë qui trouve son origine dans les sanctions américaines qui continuent à noyer la classe ouvrière iranienne. Face à cette situation, on assiste dans le pays à une vague historique de grève ouvrant un cycle d’irruption de la classe ouvrière dans la lutte des classes

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Cet article est une traduction d’un article paru le 6 août dans La Izquerda Diario : Histórica oleada de huelgas obreras en Irán, journal frère de Révolution Permanente en Argentine

Depuis le 1er août, les travailleurs d’au moins 16 centres industriels iraniens se sont mis en grève, soulevant différentes revendications face à la crise économique qui submerge la population. Parmi eux, le paiement immédiat des salaires dus, la fin des lois antisyndicales de la République islamique et de meilleures conditions de travail dans une région qui connaît une grande sécheresse avec des températures allant jusqu’à 50 degrés. Les grèves se succèdent dans diverses usines pétrochimiques et raffineries, la plupart au sud du pays iranien, mais d’autres secteurs comme l’industrie métallurgique et minière s’y sont également joints.

Il s’agit de la plus grande action coordonnée en 40 ans, depuis la révolution iranienne, à laquelle a participé un large mouvement syndical organisé, et qui a culminé avec le triomphe du régime théocratique actuel. Les grèves ont commencé dans la région sud, le samedi 1er août, dans la région du Khuzestan, où se trouvent les plus importants gisements de gaz du pays, puis se sont étendues aux raffineries du centre de l’Iran en quelques jours. En ce sens, les travailleurs d’Ispahan ont commencé leur grève le 4 août, dans une mesure sans précédent : au moins 10.000 travailleurs du secteur pétrolier, qui comprend les gisements, la pétrochimie et les raffineries se sont mis en grève.

Les travailleurs de différentes entreprises soutiennent la grève depuis le 1er août, comme ceux de la raffinerie de pétrole Abadan, de la raffinerie Parsiana à Kangan, de la société Lamerd Petrochemical, de la raffinerie de pétrole lourd Qeshm, de IG et de Jam 2 à Asaluyeh, de la société Atropart dans la raffinerie de Joffair (au sud d’Ahvaz), Exir Company à Asaluyeh Phase 13, Asaluyeh Pars Phenol Petrochemical, Asaluyeh Sina Sanat-e Ahmadpour, Asaluyeh Petropalayesh Refinery, Mahshahr Razi Refinery et Tous Dashte Azadeghan ont attaqué Asphalt Company. Les grèves dans les gisements de South Pars, touchent un projet privilégié de l’Iran, sur lequel celui ci parie pour pouvoir se développer afin de faire face aux taux de change des devises luttant donc contre l’hyperinflation qui atteint au moins 40% dans un pays dont l’économie est peu diversifiée.

Parmi les manifestants, on peut retrouver des constructeurs, des électriciens, des soudeurs et des ouvriers de différents métiers qui travaillent sous contrat dans le plus grand champ de gaz naturel du monde. Ces travailleurs ont des cycles de travail de 20 jours pour dix jours de congé, et restent dans des résidences proches de leur lieu de travail pendant les jours d’activité. L’objectif de la grève est de résister à un cycle de travail complet de 20 jours, ce qui aurait un impact majeur sur la production du géant pétrolier.

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été la mort d’Ebrahim Arabzadeh, un travailleur contractuel du complexe pétrochimique de Mahshahr, en raison des conditions étouffantes causées par la chaleur infernale de 50 degrés, poussant des milliers de travailleurs à la grève. Ce sont là quelques-unes des conditions de travail et de vie insupportables dans lesquelles les travailleurs du pétrole iranien sont contraints de travailler, dans des conditions de travail où les droits syndicaux sont inexistants en raison de la persécution par le Corps des gardiens de la révolution de la République d’Iran (CGR) qui emprisonne les dirigeants systématiquement. De même, les salaires restent impayés dans un contexte d’inflation croissante qui atteint 40%, en raison des sanctions économiques internationales imposées par l’impérialisme américain alors que le pays traverse une crise profonde due au Covid-19.
L’impact de la politique américaine, qui a réduit la production de pétrole de 80 %, se répercute directement sur les travailleurs et les pauvres d’Iran qui protestent contre les conditions économiques malgré l’absence de direction syndicale ou politique.
La situation de la classe ouvrière en Iran est brutale, avec 70% des travailleurs de l’industrie pétrolière travaillant avec des contrats précaires. Dans les "zones économiques spéciales" ou les "zones franches", les travailleurs sont exemptés du droit du travail, ce qui permet une totale dictature patronale. Les établissements ne disposent pas de systèmes de refroidissement adaptés aux températures ambiantes élevées en été. Et bien sûr, la syndicalisation indépendante des travailleurs est interdite, alors que les syndicats légaux ne sont qu’un organe de plus de l’État. En outre, s’ils n’ont pas d’assurance maladie, ils sont obligés de signer des contrats de travail de pacotille, sans couverture de retraite, alors qu’ils peuvent être licenciés à tout moment si l’employeur le souhaite. Leurs salaires sont inférieurs au seuil de pauvreté, alors que beaucoup d’entre eux ne sont plus payés depuis des mois dans un contexte de montée du chômage qui, selon les données officielles, atteint 27% chez les jeunes, alors que les pronostics indiquent que la crise du covid-19 pourrait laisser plus de 4 millions de personnes à la rue.

Dans le parc industriel sucrier de Haft Tappeh, les travailleurs sont en grève depuis 53 jours. Et ce, malgré le fait que leurs dirigeants syndicaux aient été emprisonné après avoir organisé des grèves en 2019. L’un d’entre eux est sur le point d’être exécuté. Les revendications sont similaires, incluant le paiement des salaires dus, la réintégration des travailleurs licenciés, l’expulsion des fonctionnaires corrompus, la restitution de l’argent détourné, de même des revendications historiques contre la privatisation.

La grève des travailleurs du pétrole et du gaz a suscité la solidarité des syndicats, des étudiants, des enseignants, des retraités et des militants des droits des femmes. Le syndicat des travailleurs et des chauffeurs de Vahed et la grève des travailleurs de la canne à sucre de Haft Tappeh ont soutenu les travailleurs du pétrole, et 12 syndicats, retraités, étudiants et militants des droits de l’enfant ont publié une déclaration commune exprimant leur solidarité avec les travailleurs du pétrole. Le groupe de femmes Arzem (Libération des femmes) a également défendu la grève des travailleurs dans une déclaration dans le cadre du mouvement des femmes, condamnant toute attaque à leur encontre. Le syndicat des mécaniciens et des métallurgistes s’est également joint à la grève, annonçant qu’elle s’est étendue à 22 centres industriels jusqu’à présent, et que 4 000 travailleurs de cette branche participent à la grève. Les travailleurs de l’HEPCO (Heavy Equipment Production Company), une importante usine de machinerie lourdes qui lutte contre les conditions imposées par la privatisation en 2017, se sont également joints à la lutte, lançant un nouveau cycle de grèves et de protestations.

Les compagnies pétrolières iraniennes maintiennent une position de force stratégique dans le pays. La République islamique est profondément dépendante de la production de pétrole et de gaz, c’est pourquoi les sanctions américaines ont un tel impact sur l’un des pays possédant les plus grandes réserves d’hydrocarbures au monde. Les relations avec les États-Unis sont de plus en plus tendues depuis que le retrait de Trump de l’accord qui limiterait le programme nucléaire iranien et a atteint son moment de plus haute tension en janvier 2020 avec l’assassinat de Soleimani. C’est pour cette raison que l’Iran s’est jetée dans des accords commerciaux avec la Chine, à un moment où les tensions géopolitiques s’accentuent.

Les secteurs des travailleurs qui mènent ces grèves, les chauffeurs de bus de Téhéran, les travailleurs du pétrole du Khuzestan et les travailleurs du sucre de Haft Tuppeh, ont une longue tradition de lutte. Le régime iranien n’a pas publié de déclaration sur les grèves pour le moment, mais sa réaction a toujours été une répression féroce - impliquant la torture, l’enlèvement et le meurtre de travailleurs - combinée à des concessions économiques pour calmer les colères. Cette fois, cependant, la portée des concessions est très limitée.

Quelle que soit la conclusion de cette période, le mouvement de grève actuel pourrait être la base de futures mobilisations et actions des travailleurs en Iran. En novembre 2019, le gouvernement a été durement mis en difficulté par la mobilisation de milliers de personnes dans les principaux centres urbains en raison de l’augmentation du carburant et du coût élevé de la vie. Au moins 7 000 personnes ont été arrêtées et des centaines ont été tuées lors de la répression, puis en mai 2020, elles se sont mobilisées en raison de la pénurie d’eau dans plusieurs régions touchées par le covid-19. A partir de 2017, les grèves des travailleurs se posent comme un élément clé dans l’opposition au gouvernement, qui, à mesure que la pression des Etats-Unis augmente, se polarise davantage avec la société civile, comme le montre le récent triomphe de l’aile ultra-conservatrice (ou intransigeante) du régime.

Afin de résoudre ces problèmes structurels, il sera impératif que le mouvement ouvrier favorise les mobilisations non seulement contre les conditions de vie imposées par le régime iranien, mais surtout pour lutter contre les sanctions impérialistes. En principe, comme l’a dit un gréviste du sucre, "un travailleur affamé, même s’il est fouetté, retournera dans la rue".

 
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