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La Izquierda Diario
20 de août de 2020 Twitter Faceboock

Ce n’est pas à nous de payer leur crise !
Crise économique. Vers une généralisation des APC ?
Inès Rossi

L’accord de performance collective (APC) adopté à Derichebourg a permis à l’entreprise de licencier 163 employés qui refusaient de baisser leurs salaires. Un dangereux précédent qui ouvre la voie à toute une série d’attaques patronales contre les travailleurs.

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Crédit photo : LIONEL BONAVENTURE / AFP

Le mardi 9 juin, les salariés de Derichebourg, sous-traitant dans l’aéronautique, se mettent en grève. La direction et le délégué syndical de Force Ouvrière (FO) cherchent à leur imposer un accord de performance collective, ou APC, présenté aux travailleurs comme « le moindre mal » d’une fausse alternative imposée par le patronat : choisir entre un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE – c’est-à-dire des licenciements) immédiat de 700 salariés ou une suppression de leurs acquis sociaux pour peut-être aller, au bout du compte, vers un PSE plus léger.

En effet, après avoir initialement annoncé un plan de licenciements concernant la moitié des salariés, la direction fait mine de se soucier d’eux et propose à la place de non moins scandaleuses attaques contre le salaire, les primes et autres acquis, sous prétexte de vouloir sauver les emplois. “Cet accord est scandaleux. Pour nous, c’est une perte sèche de près de 500 euros par mois, quand le salaire moyen est de 1 900 euros. On ne pourra pas vivre avec ce salaire-là !” explique le délégué syndical UNSA au Monde

La rhétorique des “efforts partagés” pour mieux négocier la régression sociale passe mal auprès des travailleurs. Une partie importante des salariés a continué à travailler pendant le confinement malgré les risques sanitaires, mais ils sont aussi plongés dans des difficultés financières importantes avec la mise au chômage partiel pour un grand nombre d’entre eux, qui ponctionne leur salaire de 16% (en plus de leurs primes qui constituent une part importante des rémunérations dans l’aéronautique, les salaires étant, sans elles, plutôt faibles). « Il faut refuser toute négociation. La société a gagné des millions pendant des années, il faut qu’elle mette la main à la poche pour sauver les emplois », déclarait Dimitri, salarié à Derichebourg.

L’APC a désormais été signé chez Derichebourg, et c’est 163 salariés qui vont devoir quitter la boîte suite à la décision de la direction, soit 10% des effectifs. « L’accord pour crever », comme l’avaient nommé les salariés, a permis à la direction de les licencier sans indemnités. En effet, les modalités de licenciement sous peine de refus de signature de l’accord sont minimes, et l’indemnité de départ très faible. « Un PSE bien calibré aurait permis aux salariés de partir dans des conditions dignes, avec notamment la possibilité de toucher un chômage à taux plein. Là, avec l’APC, ce sera 57 % du salaire brut » explique le représentant UNSA.

Les APC, le cadeau de Macron au patronat

Les accords de performance collective, ou APC, ont été introduits par les ordonnances Macron en 2017. En clair, ils autorisent les patrons, via des négociations avec le syndicat majoritaire, à aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition, à modifier la rémunération des salariés, et les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise. Et ce “que l’entreprise soit confrontée à des difficultés économiques conjoncturelles ou non” comme le rappelle le site de la fonction publique. En clair, presque tous les paramètres du travail, au bon vouloir du patron. Et si le salarié refuse l’accord voté, il est purement et simplement licencié.

Un chantage à l’emploi que Muriel Pénicaud, ministre du travail, encourageait le 31 mai sur LCI. “J’ai un appel aux entreprises : on va être dans une situation économique difficile économiquement, donc il y a un risque sur l’emploi. Mais il y a des alternatives. Il faut se serrer les coudes pendant cette période. On peut négocier des accords de performance collective”.

Un procédé qui se généralise

Pénicaud évoquait déjà à l’époque quelque 300 APC. Et en effet, Le Monde rapporte que “selon les chiffres du ministère du travail, 371 accords de performance collective ont été votés depuis leur instauration. Avec la crise économique induite par l’épidémie de Covid-19, ces accords se multiplient. Derichebourg, Valeo, ADP, Ryanair, BVA, LISI… Ces derniers mois, une quinzaine d’entreprises ont voté des APC ou sont en phase de négociation pour le faire. Tous les secteurs sont concernés, et en particulier ceux de la plasturgie, de la métallurgie et des transports routiers.

Quant à Macron, il assume totalement cette généralisation des APC. “Je préfère au maximum qu’il y ait des salaires qu’on accepte de baisser momentanément plutôt que des licenciements. Parce que, parfois, on met des années à revenir vers un emploi” disait-il lors de son allocution du 14 juillet. Et bien que le gouvernement ait tenu à (faiblement) rappeler que les APC n’ont pas vocation à préparer une fermeture de site, il n’empêche qu’ils apparaissent aujourd’hui comme la méthode privilégiée du patronat pour mener ses offensives contre le monde du travail.

En ces temps de crise économique, les APC révèlent tout leur pouvoir destructeur : pour conserver ses profits, le patronat peut maintenant exercer un véritable chantage à l’emploi envers les travailleurs. “Jusqu’ici, pour modifier les fiches de paie, les entreprises devaient justifier des difficultés économiques. Avec les APC, il suffit de la signature des représentants de salariés pour imposer un nouveau contrat de travail modifiant les horaires, le nombre de jours de RTT, sa rémunération, supprimer un treizième mois, une prime, mais aussi modifier son lieu de travail. Une fois signé, l’accord s’applique à tous. Le salarié n’a donc pas son mot à dire. En cas de refus, il est licencié pour cause réelle et sérieuse. Ce qui le prive de toute possibilité de recours. Les salariés ne peuvent que subir. Et cela crée une véritable insécurité, puisque à tout moment son contrat de travail peut être modifié. Ce qui est extrêmement violent pour les salariés et totalement déséquilibré en faveur de l’employeur”, explique Éric Rocheblave, avocat en droit du travail, à l’Humanité.

C’est la véritable deuxième vague du Covid-19. Vous avez échappé au virus mais vous n’échapperez pas à la baisse de salaire. D’autant que toutes les entreprises peuvent y avoir recours, y compris les toutes petites. La situation économique est un effet d’aubaine pour accroître la flexibilité et baisser globalement le « coût du travail » dans l’entreprise. L’APC n’est pas fait pour empêcher ou masquer les licenciements mais pour modifier les relations entre employeur et salariés de façon collective” ajoute-t-il. Dernier APC en date : l’équipementier Lisi, qui emploie plus de 5 000 salariés en France, et qui risque d’y avoir recours.

Ni licenciements, ni baisses de salaire !

Ces 371 APC sont un avant-goût des conséquences sociales et économiques que provoquera la crise engendrée par le coronavirus. Face à ces premières attaques, il devient urgent de construire un plan de bataille commun et offensif pour faire reculer le gouvernement et le patronat, et apporter notre réponse à la crise.

Pour cela, il est tout d’abord nécessaire de refuser toute logique de concession. Afin de justifier les APC, ou les PSE, le patronat joue la carte des entreprises en difficulté et touchées par la crise. Seulement, Airbus, et plus généralement le secteur de l’aéronautique, ont fait ces dernières années des milliards de bénéfices, versé des milliards de dividendes, et viennent de recevoir 15 milliards d’euros d’aides du gouvernement.

Les menaces de faillites ou de grandes difficultés économiques sont fallacieuses. Quand les patrons demandent des « efforts partagés » aux salariés au nom de ces pseudo-difficultés, ces efforts ne vont toujours que dans un sens, quand les patrons eux préservent au maximum leurs profits. Face aux chantages à l’emploi des patrons, aux attaques sur les salaires à travers les APC, aux plan sociaux déguisés par des prétendus « départs volontaires », il est primordial que l’ensemble des travailleurs de la filière, et au delà, se batte et s’organise pour 0 licenciement et 0 baisse de salaire.

Les travailleurs de Derichebourg ont montré l’exemple (bien que l’accord de performance collective soit quand même passé) en menant une bataille exemplaire contre l’APC et le chantage à l’emploi de leur direction, faisant leur le mot d’ordre suivant : « On ne négocie pas le poids des chaînes ». Menant une bataille également contre FO, syndicat majoritaire dans la boîte, qui a quant à lui signé l’APC.

L’État et le patronat mènent une offensive considérable contre les travailleurs ; à nous de mener une contre-offensive. Les organisations syndicales doivent se mettre au service d’un plan de bataille contre tout licenciement, même déguisés sous des départs volontaires. Cela reviendrait à faire encore plus payer la crise à la jeunesse, déjà durement touchée, car le taux de chômage grimperait. Refusons de “négocier le poids des chaînes”, comme l’a fait FO à Derichebourg. La riposte des travailleurs doit passer par leurs méthodes (les AG, la grève, la lutte) et non celles du patronat et du gouvernement, à savoir la négociation et le "dialogue social".

Les secteurs en première ligne de ces attaques sont pour l’instant ceux dont l’activité a été la plus affectée par le coronavirus (aéronautique, automobile, etc.), mais elles ne sauraient tarder à se propager. C’est en unissant leurs forces que les travailleurs de différents secteurs seront en mesure de construire un rapport de force et un plan de bataille à la hauteur des offensives à venir. En ce sens, il est important d’aller vers la coordination de nos luttes, pour ne plus penser des plan de batailles seulement usine par usine, ni syndicat par syndicat. L’auto-organisation, en assemblées générales de travailleurs syndiqués et non syndiqués, ainsi que l’unité des syndicats, qui doivent mettre leur outil au service de la lutte et des intérêts des travailleurs, comme l’a fait l’Unsa à Derichebourg sont plus que nécessaires.

On voit ainsi avec la généralisation des APC comment le patronat, entreprise par entreprise, fait payer la crise aux travailleurs afin de conserver ses profits et les marges des actionnaires en temps de crise, sur le dos de nos acquis sociaux.

Nous ne pouvons avoir aucune confiance dans les entreprises pour garantir le bien-être des travailleurs. Encore une fois, c’est la lutte des classes qui se joue sous nos yeux. Il s’agit pour nous de nous battre pour la conservation de nos acquis sociaux immédiats et d’instituer un rapport de force collectif pour l’interdiction des licenciements et le partage du temps de travail.

 
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