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La Izquierda Diario
1er de septembre de 2020 Twitter Faceboock

Interview
Rentrée. « Ce seront les personnels de l’Éducation, les élèves et leurs familles qui paieront les pots cassés »

Raphaël* est enseignant au collège Auguste Delaune de Bobigny. Il revient dans cette interview pour Révolution Permanente sur les conditions de rentrée dans cet établissement d’éducation prioritaire et sur l’action des personnels pour la mise en place d’un protocole sanitaire propre à l’établissement.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Rentree-Ce-seront-le-personnel-de-l-Education-les-eleves-et-leurs-familles-qui-paieront-les-pots

Crédits photo : Eric Garault

Révolution Permanente : Le Journal du dimanche affichait en Une de son édition du 30 août 2020 cette citation du ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer : « Nous sommes préparés à tout ! ». Est-ce que vous partagez cette affirmation ?

Raphaël : Tant au plan local qu’au plan national, on a plutôt l’impression d’être dans la confusion la plus totale. Quoique puisse dire J. M. Blanquer, cette rentrée a été insuffisamment préparée et la plupart de mes collègues sont très perplexes. On a encore une fois le sentiment que notre ministre cache sous des éléments de langage une politique dangereusement négligente. Les protocoles sanitaires du printemps dernier étaient très précis et très stricts et les documents qui ont été tardivement transmis aux personnels de l’éducation sont succincts et sur bien des points contradictoires. Plus grave encore, contrairement à d’autres pays voisins eux aussi durement touchés par la pandémie, comme l’Espagne et l’Italie, aucun moyen supplémentaire n’a été alloué à l’Education nationale et à ses personnels afin que le strict minimum du point de vue sanitaire puisse être respecté.

Nous souffrons depuis des années dans le 93, mais c’est aussi le cas partout en France, d’un manque chronique d’agents départementaux et de personnels de vie scolaire et d’un déficit criant de moyens. La dynamique de suppressions de postes n’a pas été enrayée, bien au contraire, elle se poursuit. De même pour les heures allouées à chaque établissement afin qu’il puisse fonctionner. Celles-ci sont en baisse constante depuis des années et il est impossible de mettre en place suffisamment de demi-groupes ou de diminuer le nombre d’élèves par classe. Aucun aménagement des emplois du temps des élèves n’a été prévu en amont et on se retrouve donc sur la plupart du temps scolaire avec des classes pleines. La tâche des enseignant-e-s et des personnels est donc de plus en plus difficile, sans même parler du lycée où la réforme Blanquer rend les choses encore plus complexes, puisqu’il n’y a plus de groupe classe.

RP : Quid des mesures sanitaires prises par le ministère de l’Education nationale ?

R. : Alors que le gouvernement avait martelé en février-mars dernier que le port du masque était inutile, on a l’impression à cette rentrée que la seule mesure sanitaire vraiment prise par le gouvernement est l’obligation du port du masque pour les élèves et les personnels. Dans le contexte actuel, le bon port du masque est bien entendu indispensable en milieu scolaire, et en particulier en milieu clos, mais il ne peut à lui-seul tenir lieu de protocole sanitaire. En outre, il faut avoir bien conscience du fait que pour la pratique des cours il n’est pas sans poser problème, notamment en langues. Il existe des masques transparents, qui pourraient faciliter la tâche des enseignant-e-s, mais aucune commande groupée au plan national n’a été prise. On se retrouve donc livrés à nous mêmes et contraints de pourvoir nous même à l’achat de masques.

RP : Comment avez-vous abordé la question sanitaire lors de la pré-rentrée de lundi ?

R. : J’ai pour ma part été consterné par le fait qu’aucun point précis n’ait été fait sur l’état actuel de la pandémie. Nous sommes enseignant-e-s et avons une grande responsabilité en matière d’information. Beaucoup de points de vue contradictoires circulent sur le sujet et il est vraiment difficile de formuler un discours clair sur la question. Il aurait selon moi été indispensable que des fiches pédagogiques à destination des enseignant-e-s mais aussi des parents et des élèves aient été rédigées par les services académiques et diffusées avant la rentrée, puis régulièrement mises à jour. On fait bien des fiches pédagogiques sur les programmes, pourquoi ne pas en faire sur l’évolution de la pandémie ? Il revient à chaque enseignant de chercher par lui-même les informations afin d’essayer de se faire un point de vue cohérent sur la question. On constate ainsi un déficit d’informations précises et claires chez les enseignant-e-s alors que nous devrions être en mesure de transmettre un discours cohérent sur la question aux élèves. Sans compréhension éclairée de l’état de la pandémie à un instant t, on se transforme en prescripteurs de règles et il est plus compliqué de faire comprendre aux élèves le bien fondé de celles-ci, si l’on ne peut les tenir informés de l’évolution de la pandémie avec suffisamment de précision.

Au lieu d’un ministre qui nous dise, par voie de presse ou par mail : « tout va bien, on est prêts », alors qu’on sait pertinemment que c’est faux, on aurait préféré disposer d’une documentation pédagogique bien pensée et actualisée afin de pouvoir transmettre des informations fiables aux élèves, ne serait-ce par exemple que sur l’augmentation du taux de positivé des tests, qui est une des préoccupations actuelles, qui indique clairement la perspective d’une seconde vague. On a l’impression de foncer dans un mur, sans avoir beaucoup plus de clarté qu’en février-mars dernier.

RP : Comment s’est passée concrètement la rentrée dans ton établissement ?

R. : Après la réunion plénière du lundi 31 août au matin, on s’est réunis entre enseignants et personnels de vie scolaire en heure d’information syndicale et on a fait le constat, qu’outre des problèmes d’emploi du temps on était dans le flou total du point de vue sanitaire. On s’est donc mis d’accord collectivement pour demander à la direction de l’établissement un report de la pré-rentrée des élèves afin que l’on puisse plancher collectivement sur un protocole sanitaire propre à l’établissement et suffisamment précis afin qu’il puisse être communiqué et expliqué aux élèves par leurs différents professeurs principaux. Il était initialement prévu que l’on fasse les pré-rentrées de toutes les classes avec leurs professeurs principaux le mardi 1er septembre et le mercredi 2 septembre. On a maintenu la pré-rentrée des 6e le mardi matin à 8h30, mais obtenu que l’on décale les prérentrées des autres niveaux au jeudi et vendredi afin de pouvoir travailler collectivement sur un protocole sanitaire mardi après-midi et mercredi matin. La rentrée des élèves selon leur emploi du temps effectif, qui devait initialement avoir lieu le jeudi 3 septembre, a ainsi été reportée au lundi 7 septembre.

Il nous paraissait inconcevable de faire rentrer les élèves sans que nous ayons pu leur communiquer, ainsi qu’à leurs familles, un protocole sanitaire clair pour l’établissement.

RP : Comment avez-vous mis au point ce protocole sanitaire local ?

R. : L’ensemble des personnels du collège se sont réunis en plénier mardi à 13h30 dans la cour du collège afin d’éviter de se retrouver à l’étroit dans une salle. Après un briefing des CPE sur l’objet et le fonctionnement de l’après-midi, nous nous sommes répartis en quatre commissions et nous avons planché sur des points clés comme la circulation des élèves, les cours d’EPS, la cantine, et les commandes de matériels (notamment gel hydro-alcoolique, masques etc..). On s’est retrouvés à 15h30 pour faire le bilan du travail des commissions et là où il y avait plusieurs propositions en contradictoire on a procédé à un vote indicatif.

Nous avons ainsi par exemple discuté de modifier les emplois du temps afin que le temps de cantine puisse être suffisant pour que les 240 à 280 élèves demi-pensionnaires attendus puissent manger dans un cadre sanitaire acceptable. On s’est aussi penchés sur la question de savoir s’il fallait que les classes restent toute la journée dans la même salle ou pas. On a sur ce point par exemple convenu que les élèves changeraient de salles mais on a mis au point un protocole très strict afin que les enseignant-e-s et les personnels de vie scolaire encadrent les déplacement dans l’établissement afin d’éviter les engorgements des escaliers ou les trois fortes concentrations des élèves dans les couloirs.

Après cet après-midi de travail et d’échanges, on se retrouve demain mercredi matin en plénier pour valider le protocole définitif afin qu’on puisse le diffuser auprès des élèves et de leurs familles.

Il y a bien-sûr encore des incertitudes et des points qu’il faudra clarifier au fil de l’eau mais je pense qu’après ce travail collectif, nous nous sentons mieux préparés pour accueillir les élèves.

RP : Comment voyez-vous l’année scolaire qui vient ?

R. : On est encore dans le flou mais on sait déjà qu’elle sera compliquée ! Le plus préoccupant pour moi est que, fidèle à lui-même, Jean-Michel Blanquer essaye de faire le moins de vagues possibles. A la fin ce seront de toute façon aux personnels de l’Education nationale, aux élèves et à leurs familles de payer les pots cassés. Je trouve particulièrement inquiétant le fait que la principale préoccupation de notre ministre soit actuellement de ne surtout pas fermer les établissements qui seraient confrontés à des cas de contamination avérés à la COVID 19, alors qu’il faudrait tout faire pour stopper la diffusion du virus afin d’éviter des morts inutiles ou des séquelles graves chez les personnes contaminées. Il ne fait aucun doute pour beaucoup d’entre nous que si le gouvernement poursuit dans la même voie au plan scolaire et sanitaire, il faudra passer à la vitesse supérieure et ne pas hésiter à recourir à l’outil classique qu’est la grève, et ce dans l’intérêt de toutes et tous.

*Le prénom a été changé

 
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