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La Izquierda Diario
9 de septembre de 2020 Twitter Faceboock

Grève à Biocoop
« Pourquoi cette colère dans des magasins qui prétendent défendre une économie solidaire ? » Laetitia, gréviste de Biocoop

Nous relayons ci-dessous l’intervention de Laetitia, mère célibataire employée à Biocoop, sur le piquet de grève du Biocoop – Le retour à la Terre à Philippe Auguste pour de meilleures conditions de travail. Elle dénonce la réalité de l’exploitation et du sexisme qui se cachent derrière l’étiquette « bio », solidaire et humaine de Biocoop.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Pourquoi-cette-colere-dans-des-magasins-qui-pretendent-defendre-une-economie-solidaire-Laetitia

Crédits : O Phil des contrastes

Pourquoi pensez-vous qu’en tant que femme, artiste, autrice et mère d’un enfant de 8 ans, je me suis engagée auprès du Biocoop - Le Retour à la terre ?

Je précise.

Pourquoi pensez-vous qu’en tant que femme, artiste, autrice et mère d’un enfant de 8 ans, éreintée par la machine à haut potentiel d’auto-précarisation de l’art, je me suis tournée vers l’idée d’une économie sociale et solidaire défendue par l’enseigne Biocoop et les magasins le Retour à la Terre ?

J’ai passé un triple entretien d’embauche pour entrer dans ce magasin.

Vous aviez de grandes exigences.

Avez-vous envisagé que j’ai pu avoir moi aussi les mêmes exigences vis-à-vis de l’entreprise à laquelle j’allais vouer la plus grande partie de mon temps et de mon énergie intellectuelle et physique ?

Vous avez contacté mon ancien employeur.e. Ne pensiez-vous pas que je ferais moi aussi des recherches à votre sujet ?

Pourquoi en faisant ces recherches, ai-je été si facilement séduite, confiante, convaincue par l’idée d’économie sociale et solidaire, par les notions de respect et de coopération véhiculée par des articles et sur les sites dédiés de Biocoop et du Retour à la Terre ?

Comment en suis-je venue à m’imaginer, en lisant les charmantes lignes de Catherine C., contant si délicieusement l’aventure écologique de l’installation de SES vergers dans le chapitre « NOS magasins, NOS vergers » que ces vergers étaient aussi les miens ?

Me suis-je surprise à la possibilité de partager cette aventure bucolique en travaillant au Retour à la terre ? Oui.

Ai-je osé m’imaginer croquer moi aussi dans l’une des pommes de NOS vergers ? Oui.

Me serais-je doutée que des vergers et des pommes de ces vergers, je n’entendrais plus jamais parler une fois embauchée ? Non.

Mais était-ce qui m’a le plus surpris le jour de ces entretiens ? Hélas, non.

Après avoir énuméré trois fois mes qualités et mes défauts, démontrer mon amour et mon expérience pratique du bio en tant que citoyenne et en tant que mère, je crois bien que jamais je n’aurais imaginé m’entendre dire, à cet endroit d’économie sociale et solidaire donc, que j’avais bien de la chance d’être embauchée en tant que mère célibataire, que ce ne serait pas le cas dans d’autres boîtes, bon, mais qu’en revanche je ne serais certainement jamais directrice d’un magasin, à moins d’avoir un conjoint.

Gloups.

Est-ce que j’avais seulement pensé à ça, hein ? Je ne l’attendais pas celle-là, mais alors pas du tout !

Moi qui étais encore à m’imaginer croquer la pomme du charmant verger, la pomme de NOS vergers, quelle tête pensez-vous que j’ai fait à ce moment là ?

Ne pensez-vous pas que le morceau de pomme est tombé de ma bouche grande ouverte décrochée d’un menton lui-même désolidarisé d’un visage puis d’une tête éco-responsable au sens critique défait ?

Pourquoi ai-je été à ce point fascinée ET intimidée par cet odieux discours, édifiant, inattendu, à la fois incluant et excluant !

Mais enfin, ne m’étais-je pas rendue compte qu’en tant que mère célibataire c’était fini pour moi ! Que toutes les portes étaient fermées ? Quelle sotte !

Parce que je m’imaginais peut-être qu’autour de moi les autres mères célibataires trouvaient du travail et dans des conditions décentes peut-être et puis quoi encore ? Qu’est-ce que je ne comprenais pas ? Qu’est-ce que je ne voulais pas comprendre ?

Heureusement j’allais être embauchée au Retour à la Terre et je travaillerais à plein temps, tôt le matin et même le samedi, et qui sait bientôt le dimanche.

Oui le morceau de pomme est tombé et je n’ai plus jamais entendu parler des vergers, j’ai accepté ces conditions (le travail le samedi par exemple), conditions que peu de mères (célibataires ou pas) accepteraient, en remerciant qu’on me le permette.

Et alors quelle tête vous pensez que j’ai fait quand au bout d’un an, j’ai appris que c’était une fierté de la gérante ici au Retour à la Terre de permettre cette largesse : les mères célibataires bénéficient oui d’un samedi sur deux, et c’était le cas de l’une des employées, mères de deux ados qui se gardaient très bien tous seuls !

Et moi qui n’avait pas compris ça pendant l’entretien ! Et moi qui me suis échinée à négocier auprès d’amis qu’ils ou elles gardent mon fils les samedi après-midi jusqu’à 21h ou quand désespérée je finissais par payer des baby-sitters plus cher que ce que je gagnais moi-même au lieu de passer du temps avec mon fils le week-end.

Aujourd’hui c’est différent. Mais un an… Ça a duré un an.

Vous la voyez ma tête là ? Vous le ressentez le temps, l’argent et l’énergie perdue ?

Ça rime à quoi tout ça ? Ces non-dits, cette intimidation, ce cache-cache avec les bonnes intentions ? La mise en place de l’impossibilité d’exiger la base, dès l’instant où on vous pré-sente le moins comme un plus ?

Qu’est-ce que vous vous n’avez pas compris quand on vous dit que nous les employé.es, mieux nous seront traité.es, mieux vous pourrez tiré parti de nos qualités, et vous les savez nos qualités, vous les saviez déjà en lisant nos CV, vous vous en frottiez les mains et on vous a entendu vous en vanter du capital intellectuel au m2 dans vos magasins ? Pourquoi alors nous traiter comme des enfants capricieux ?

Qu’est-ce qui n’est pas clair dans le fait que des gens intelligents et compétents estiment que leur salaire est insuffisant, que leur vie sociale ne doit pas être sacrifiée à leur travail et qu’ils méritent mieux que le minimum pour pouvoir continuer à croire en ce qu’ils et elles font ?

Donc l’argent. Nous vous disons que c’est trop juste, ici à Paris, de vivre avec ces salaires, nous n’avons pas assez,quand vous en avez suffisamment, alors pourquoi vous en voulez toujours plus ? Si on vous enlevait ne serait-ce que la moitié de ce que vous avez, comment feriez pour vivre, pour continuer à vous lever le matin ?

Vous avez tant de besoins, ce serait la panique !

Comment fait-on nous avec 10 fois, 100 fois moins, pour se lever encore ? Et non ce n’est pas l’habitude de gagner peu qui nous permets de nous habituer à cette idée.

Et pourquoi encore nous imposer la solidarité de notre conscience professionnelle dans les moments difficiles, quand nos moments difficiles à nous ne sont pas entendus, ni même vaguement compris ?

Qu’est-ce que vous ne comprenez pas ? Mettez-vous à notre place, prenez notre salaire pour rire, vous en feriez quoi ? Seriez-vous heureux, heureuse ?

Vous avez fait beaucoup d’argent avec ces magasins, beaucoup. C’était bien. Au lieu de choisir d’améliorer les conditions et le confort des lieux de travail des employé.es de votre magasin historique, celui qui rapporte encore le plus, de les fidéliser, de les augmenter, de les soigner …

On sait ce que d’autres magasins Biocoop tirent comme bénéfice de payer honorablement leurs employés, autour de 2000€ disons, comme à la Ruche : des équipes stables, fidèles, autonomes, avec des clients au niveau d’exigence satisfait et étonnamment un chiffre d’affaire supérieur aux autres !

… Non, vous avez choisi d’investir, de prendre des risques, ailleurs, toujours plus, et ça n’a pas marché, vous vous êtes trompés, ça arrive, mais les employé.es qui restent, ceux et celles sur qui le bénéfice tient encore, ceux et celles dont vous n’avez pas pris soin, ceux et celles que vous n’avez pas su garder, ceux-là et celles-là sont en colère.

Pourquoi depuis 10 ans la grande majorité des employé.es du Retour à la terre partent et partent en colère ou restent et restent en colère ? Pourquoi lors de mes entretiens d’embauche on m’a dit, tu verras il y a quelques tensions en ce moment, n’écoute pas, ce ne sont que certaines personnes, c’est passager, ne fais pas attention ? Pourquoi est-ce que deux ans après je me tiens là debout devant vos magasins, moi aussi, en colère ?

J’ai vu et je me demande encore pourquoi des salarié.es se sont fait virer pour des « vols » d’échantillons « gratuits » quand d’autres, accusés de harcèlement moral voir sexuel par plusieurs personnes et à différents moments sont toujours en poste ?

Et ce ne sont pas les seuls abus, les seules failles.

Encore une fois je demande pourquoi cette colère permanente, récidivante, perpétuelle dans des magasins qui prétendent offrir et défendre le présent et l’avenir d’une économie sociale et solidaire ?

Plutôt que de vivre et de perpétuer cette colère en silence, comme depuis tout ce temps, comme un état de fait, voir même un fait personnel, un fait qu’on évacue, un fait qu’on préfère oublier…

Pourquoi ne pas prendre le risque aujourd’hui, nous, salarié.es de vous poser la question de ces 10 ans de colère ?

Comment est-ce qu’on en est arrivé là ?

 
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