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9 de septembre de 2020 Twitter Faceboock

Polémique
« Fraude sociale » : discours médiatiques anti-pauvres sur fond de cadeaux au patronat
Armand Bonneto

Dans un rapport rendu le 8 septembre, la Cour des Comptes revient sur la fraude aux prestations sociales. Médias et politiciens se sont jetés sur le prétexte pour s’indigner face à la perte représentée par cette fraude, estimée en 2019 autour de 1 milliard d’euro. Un deux poids deux mesures évident au lendemain d’un cadeau de près de 100 milliards d’euros aux entreprises…

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Crédits photo : THOMAS SAMSON/AFP

A la demande de la commission des affaires sociales du Sénat, la Cour des Comptes a produit un rapport sur la fraude sociale, publié hier. La Cour y pointe la gravité de cette fraude et les pertes qu’elle représenterait pour l’État. Selon le rapport : « En 2019, les principaux organismes sociaux ont détecté 1 Md€ de préjudices à ce titre ». Une estimation qui reste relative puisque la Cours des Comptes elle-même annonçait dans un rapport du 2 décembre 2019 qu’on ne peut calculer précisément le montant de la fraude sociale, étant donné la complexité des formes de fraude et des modalités de calcul obscures.

Quoiqu’il en soit ce milliard d’euros de fraude sociale « se concentrent sur le revenu de solidarité active, la prime d’activité et les aides au logement pour les caisses d’allocations familiales (CAF) ; les professionnels de santé et les établissements de santé pour les caisses primaires d’assurance maladie ; le minimum vieillesse pour les caisses de retraite ; les reprises d’activité non déclarées pour Pôle emploi » toujours selon le rapport. Une définition large de la « fraude sociale » qui a la très grande limite de mettre sur le même plan les fraudes des allocataires et celles des employeurs ou des personnels de santé libéraux comme le rappelle Yves Faucoup, travailleur social et consultant, sur son blog.

Pour faire face à cette fraude qui constitue « à la fois une atteinte au principe de solidarité et un coût financier élevé », la Cour des Comptes préconise, autour de 15 recommandations, de pérenniser les contrôles a posteriori tout en renforçant le contrôle a priori des bénéficiaires d’aides sociales par une systématisation des croisements de données, le contrôle les comptes bancaires, etc…En clair, un véritable système de flicage des pauvres, soupçonnés de chercher à « profiter » du système. Le sujet n’a dès lors pas manqué d’intéresser autant que d’indigner médias et politiciens, jamais en reste lorsqu’il s’agit de stigmatiser les pauvres.

Une campagne politique de stigmatisation des plus précaires aux accents racistes

Autrice d’un rapport sur « la fraude aux prestations sociales » l’année dernière, Nathalie Goulet, sénatrice UDI, s’est ainsi empressée d’aller sur les plateaux télés pour évoquer ce véritable drame. Sur BFM TV ou aux Grandes Gueules, la sénatrice a ainsi pu répéter l’histoire de « deux couples de roumains » qui auraient monté des dossiers de fausses grosses jusqu’à frauder 1,7 millions d’euros. Une anecdote choc, bien conçue pour scandaliser le téléspectateur et alimenter le mythe de l’étranger pauvre fraudant les aides sociales.

De fait, si la « fraude sociale » sert à stigmatiser les pauvres, elle vise aussi centralement les fraudeurs « étrangers » ou issus de l’immigration. Jean Messiha, membre du bureau national du Rassemblement National, s’est ainsi empressé de reprendre l’anecdote pour fustiger la fraude sociale immigrée. De même, Charles Prats, magistrat proche de l’extrême-droite qui s’est fait une spécialité des outrances sur la question des fraudes sociales a pu arpenter les plateaux télés pour dérouler le même type d’anecdotes.

Une véritable campagne médiatique de stigmatisation des plus précaires, dont la fraude estimée semble pourtant bien loin des milliards de fraude fiscale des grandes entreprises, ou des récents cadeaux aux patronats au travers du plan de relance, sans aucune contrepartie.

La vraie « fraude » est ailleurs…

Il existe plusieurs estimations du montant de la fraude fiscale en France, dont les fraudeurs font globalement parti des « premiers de cordées » selon l’expression du Président. L’estimation de cette fraude est de l’ordre de 60 à 80 milliards d’euros selon un rapport actualisé de Solidaires Finances publiques de 2013, dont l’actualisation en 2018 porte le chiffre à 80 à 100 milliards ! L’estimation la fraude fiscale monte à 117,9 milliards de dollars si l’on prend les estimations de 2015 de Richard Murphy pour l’Université de Londres, une fraude qui atteint selon lui environ 824 milliards pour l’ensemble de l’UE.

Si les médias et politiciens se scandalisent de cette fraude sociale, passant sous silence la fraude fiscale, on peut aussi rappeler les dizaines de milliards d’euros versés directement dans les poches du patronat. Du CICE, à hauteur de 40 milliards d’euros en 2019, aux près de 100 milliards d’euros du plan de relance dédiés au patronat, sans qu’aucune contrepartie ne soit exigé, les chiffres de la « fraude sociale », même en mettant dans le même sac celle des allocataires et celle des entreprises, font de toute façon pâle figure.

Dans la La face cachée de la fraude sociale, paru dans Le Monde Diplomatique, Philippe Warin rappelle ainsi la citation d’un rapport du Conseil d’Etat daté de 2011 : « La fraude des pauvres est une pauvre fraude ». En effet, celle-ci ne représente qu’un poids infime du manque à gagner des recettes de l’Etat, comparativement à la fraude fiscale des plus riches. Le traitement dont bénéficie en revanche la « fraude sociale » qui passionne les médias est l’expression d’une offensive idéologique continue, qui fustige les pauvres, ouvrant la voie à une gestion de plus en plus répressive et intrusive des aides sociales, en même temps qu’elle invisibilise les cadeaux au patronat.

 
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