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La Izquierda Diario
3 de octobre de 2020 Twitter Faceboock

Autodétermination des peuples
Internement des Ouïghours. Solidarité avec les peuples du Xinjiang contre le régime chinois et l’impérialisme
Irène Karalis

Plusieurs intellectuels ont signé une tribune parue mercredi, apportant leur soutien aux Ouïghours, dénonçant ce qu’ils qualifient de “crime contre l’humanité” et appelant Macron et les puissances impérialistes à réagir. Retour sur la situation au Xinjiang et sur pourquoi l’émancipation des peuples opprimés ne pourra pas venir de l’intervention des impérialistes.

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Crédits photo : ABDULHAMID HOSBAS / AFP

L’horreur des camps d’enfermement

Musulmans et turcophones, les Ouïghours sont le principal groupe ethnique du Xinjiang, une région de l’Ouest de la Chine. Depuis plusieurs années, les rapports, études et articles de presse se multiplient, attestant l’existence de camps d’enfermement au Xinjiang. Mais ce n’est que depuis quelques mois que l’affaire a pris de l’ampleur, les États-Unis, d’autres pays occidentaux et des organisations internationales accusant Pékin de persécuter la communauté ouïghoure. Des persécutions qui iraient du travail forcé et de l’enfermement dans des camps à des viols, des stérilisations et des avortements forcés.

Un dossier publié par le New York Times le 16 novembre a révélé et confirmé le projet de répression des Ouïghours par Pékin, certaines directives figurant dans des documents officiels ordonnant de traiter “sans pitié” le problème ouïghour. Des documents révélés en novembre dernier montrent ainsi le contrôle absolu exercé par le régime chinois dans ces immenses camps de détention et détaillent “les règlements draconiens, de la fréquence des coupes de cheveux aux horaires de verrouillage des portes”.

Une ancienne détenue kazakhe d’origine ouïghoure témoignait de l’horreur de ces camps dans un article de L’Obs du 8 janvier 2019. Gulbahar Jelilova décrit ainsi “sa longue et traumatisante détention dans les camps de concentration chinois, un récit plein de détails sauvages et révoltants : les pieds constamment enchaînés, la chaise métallique sur laquelle les détenues sont ligotées vingt-quatre heures d’affilée les jours d’interrogatoire, l’humiliation des fouilles dans les parties intimes du corps, l’abrutissement dû aux techniques de lavage de cerveau ou aux injections de substances inconnues, la saleté, la promiscuité, le confinement, le manque d’air, de soleil, d’eau, de nourriture…

Sur Konbini, Gulhumar Haitiwaji, dont la mère est enfermée dans ces camps, a témoigné en décembre 2018 : “ils sont entre 40 et 60 par chambre, ils sont tous surveillés, il n’y a pas assez de lits dans la chambre, donc ils sont obligés de dormir à tour de rôle. Même pour aller aux toilettes, ils sont surveillés et toute la journée ils sont obligés de courir dans la cour du centre, en récitant des chants patriotiques, ils sont obligés d’apprendre les chants en 3 jours, sinon ils sont punis, ils sont mis en isolement. Il y a aussi beaucoup de gens qui sont malades, et les maladies peuvent s’aggraver, et quand c’est le cas, les corps sont rendus, et je dis les corps parce quand les corps sont rendus à leurs familles, il leur reste vraiment 2-3 jours à vivre. Il y a des images avec des gens, les têtes déformées, qui avaient subi des tests biologiques sur eux.” Elle conclut : “je crois vraiment que la Chine est en train de nous exterminer. [...] On sait que ces camps que la Chine appelle “de rééducation” s’apparentent vraiment aux camps de concentration nazis”.

Dans ces camps, tout est fait pour appliquer une politique d’assimilation forcée, afin que les Ouïghours “oublient leur religion et leur culture, et qu’ils deviennent patriotes”. Il y aurait ainsi un système de points pour évaluer “la transformation idéologique” des détenus, leur “respect de la discipline” et leur ardeur à “l’étude”, les détenus étant désignés comme des “étudiants” devant “obtenir leur diplôme”.

Derrière une réalité atroce, des intérêts économiques bien précis

Derrière l’horreur de ces témoignages et au-delà de l’aspect culturel de ce génocide se cachent les intérêts économiques bien réels de la Chine. Bien sûr, la Chine nie les accusations des persécutions et affirme que les camps seraient en réalité des centres de formation professionnelle, destinés à aider la population à trouver un emploi. En réalité, l’enfermement de centaines de milliers de Ouïghours - entre 500 000 et 1 million selon les sources - constitue d’une part une main-d’oeuvre nombreuse et gratuite pour Pékin. Ainsi, en mars, l’Institut australien de stratégie politique (ASPI) avait estimé dans un rapport que des dizaines de milliers de Ouïghours travaillaient dans des usines fournissant 83 marques telles que Apple, Sony, Adidas, Nike ou BMW.

D’autre part, la région du Xinjiang présente des intérêts particuliers pour la Chine. Elle est en effet la première province productrice de coton en Chine, avec environ la moitié de la production chinoise de coton ; elle constitue également une zone pétrolifère, notamment dans le bassin de la Dzoungarie et de Turfan. Plus encore, elle assure 28% des réserves de gaz naturel de la Chine et près de 40% des réserves de charbon. L’exploitation des ressources naturelles de la région permet donc de répondre à la demande énergétique de l’économie chinoise. En ce sens, pour continuer à piller et exploiter les ressources de la région, Pékin doit asseoir et maintenir sa domination sur les populations y habitant, quitte à réprimer, à mater les possibles révoltes et à enfermer des ethnies entières sous des prétextes culturels.

Après que le Xinjiang a été rattaché à la Chine en 1949, pour exploiter cette région et assurer son développement économique tout en maintenant la domination de Pékin sur le Xinjiang, une organisation paramilitaire gouvernementale appelée Bingtuan a été créée en 1954 avec pour mission de construire et d’exploiter le territoire. L’investissement en infrastructures a ainsi permis de rattacher la province à la Chine, avec le développement des chemins de fer dans le Nord du Xinjiang en premier lieu puis dans le Sud. Mais aussi pour l’occuper, dans le sens colonial du terme, en installant des populations Han, l’ethnie majoritaire en Chine.

Lutter pour le droit à l’autodétermination du peuple ouïghour

Bien que la proportion de Hans ait donc considérablement augmenté depuis 1949 - ils constituent aujourd’hui 40,5% de la population contre 6,7% en 1949 -, la population du Xinjiang reste majoritairement ouïghoure, musulmane et turcophone. C’est pourquoi, culturellement, le Xinjiang se rapproche plus de l’Asie centrale que de la Chine et bénéficie d’un statut particulier, étant l’une des cinq régions autonomes de la République Populaire de Chine.

Mais la majorité des Ouïghours sont hostiles à la tutelle de Pékin, et des émeutes inter-ethniques anti Hans ont eu lieu en juillet 2009 à Ürümqi, la capitale de région, faisant environ 200 morts. Certains se sont radicalisés et le Mouvement islamique du Turkestan oriental demande aujourd’hui l’indépendance et la création du Turkestan oriental, ancien nom du Xinjiang avant que la Pékin ne renomme la région. Des attaques ont eu lieu à Luntai, Yarkand et Ürümqi en 2014, mais aussi hors de la province de Xinjiang, à Kunming et même sur la place Tian’anmen à Pékin ; attaques dont se sert Pékin pour légitimer sa politique répressive et inhumaine au Xinjiang, en assimilant tous les Ouïghours à des terroristes.

Mais la plupart des Ouïghours ne revendiquent pas l’indépendance et la majorité des sympathisants de la cause anti-coloniale sont nationalistes et non pas islamistes. Leur combat se dirige contre la domination économique et sociale des Hans, devenus l’élite de la région, et les Ouïghours revendiquent le respect de leurs particularités, de leur culture et de leur identité. Il y a donc un enjeu culturel et social à revendiquer le droit à l’autodétermination des Ouïghours, ainsi qu’à exiger des droits démocratiques.

À l’international, une situation très médiatisée

Mercredi, plusieurs intellectuels tels que Judith Butler, Omar Sy, Thomas Piketty ou encore Leïla Slimani ont signé une tribune dans laquelle il dénoncent un “crime contre l’humanité” et déclarent que “la ’région autonome du Xinjiang’ est devenue l’autre nom de la négation de l’humanité de l’homme". Réclamant “des actes puissants et rapides”, ils appellent les gouvernements à instaurer des “sanctions ciblées contre les responsables chinois de la répression dans le Xinjiang”.

Une tribune initiée par Raphaël Glucksmann, qui depuis plusieurs mois bénéficie d’une audience très large, en particulier dans la jeunesse. Faisant du massacre des Ouïghours son cheval de bataille, le député européen appelle Macron à réagir, ce que Macron a d’ailleurs fait en condamnant la répression au Xinjiang. Pourtant, quand il s’agissait des musulmans en Irak ou en Syrie bombardés par les puissances impérialistes américaines ou françaises, ni Macron ni Glucksmann n’étaient prompts à les défendre. Notons également qu’en 2006, Raphaël Glucksmann a contribué à la fondation de l’organe de presse Le Meilleur des mondes, revue qui défendait le bien-fondé de la guerre en Irak.

Plus encore, il n’est pas anodin que Macron ait condamné la situation au Xinjiang, cette dernière cristallisant le conflit entre les puissances impérialistes. Ainsi, la guerre économique et larvée que se mènent les États-Unis et la Chine depuis plusieurs mois est nourrie par cette situation, les persécutions des Ouïghours servant de prétexte à la Maison Blanche pour appliquer des mesures de boycott. Ainsi, Mike Pompeo, chef de la diplomatie, a annoncé que les États-Unis bloqueraient l’importation des produits issus du “travail forcé” des Ouïghours, affirmant qu’il serait temps que la Chine “mette un terme au travail forcé supervisé par l’État et qu’elle respecte les droits humains de tous les peuples”. 

Mais surtout, il est hypocrite et incohérent de demander à Macron d’intervenir quand ce dernier mène une politique ouvertement islamophobe en France depuis plusieurs semaines. Ce n’est ni l’intervention des impérialistes français, ni celle des Américains, dont les entreprises telles que Nike ou Adidas sont celles qui bénéficient du travail forcé des Ouïghours, qui apportera la liberté à ces derniers.

 
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