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5 de octobre de 2020 Twitter Faceboock

Islamophobie. Aux racines d’une laïcité à géométrie variable !
Elise Duvel

Ces dernières semaines ont été marqués par une nouvelle surenchère islamophobe au sein du gouvernement, attisée par l’extrême-droite, que ce soit la polémique autour de l’intervention à l’Assemblée nationale de Maryam Pougetoux, sur la bonne « tenue républicaine », le projet de loi contre les « séparatismes », mais aussi sur la publication de circulaire dans les établissements scolaires de fiches « coronavirus et risques de replis communautaristes ». Tout cela au nom des « valeurs républicaines et du respect de la laïcité !

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Crédits photos : LUDOVIC MARIN_AFP

Une fois n’est pas coutume, le combat pour la laïcité républicaine de ce gouvernement se limite à la stigmatisation des musulmans.
Comment penser que la majorité gouvernementale n’encourage pas une forme de racisme d’Etat alors même que M. Blanquer lui-même s’attaquait déjà l’an dernier à l’affiche de la FCPE montrant une femme voilée et sa fille déclarant sur BFMTV que le voile « n’est pas souhaitable dans notre société » ? Alors que des députés LR et LREM s’en sont pris à Maryam Pougetoux, vice-présidente de l’UNEF, en lui reprochant de porter le voile, pour quitter une réunion de la commission d’enquête sur la crise sanitaire et la jeunesse. Une manière pour les députés de détourner le débat initialement prévu sur la précarité étudiante et de continuer l’offensive islamophobe menée par le gouvernement.

De même, dans le contexte du mouvement dans la jeunesse #Lundi14Septembre, le gouvernement adopte une politique ouvertement réactionnaire allant jusqu’aux déclarations de Blanquer « on vient à l’école habillé d’une façon républicaine ». Tantôt trop couvertes, tantôt pas assez, elles ne sont pas libres de s’habiller comme elles veulent. Schiappa quant à elle, échafaude la loi raciste et islamophobe « contre le séparatisme » dévoilant son pseudo-féminisme qui veut restreindre les droits des femmes musulmanes, mais qui participe en réalité d’un gouvernement ouvertement sexiste.

C’est aussi la publication dès la sortie du confinement de circulaires dans tous les établissements scolaires : « Covid, replis communautaristes et dérives sectaires ».

Sur ce document, nous apprenons que « la crise du Covid 19 peut être utilisée par certains pour démontrer l’incapacité des États à protéger la population et tenter de déstabiliser les individus fragilisés » et que ces « contre-projets de société peuvent être communautaires, autoritaires et inégalitaires ».

L’expression « séparatisme », employée par Emmanuel Macron lors de la dernière polémique médiatique concernant les musulman-e-s, est bien sûr présente dans la fiche, qui appelle à anticiper des réactions « communautaristes ». On demande donc aux personnels des établissements de fliquer et dénoncer les élèves qui s’écarteraient du droit chemin voulu par ce gouvernement mais aussi de réaffirmer les valeurs républicaines notamment la laïcité.

Dévoilons la laïcité à géométrie variable !

Depuis la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, puis son inscription comme grand principe de la République française, la laïcité apparaît comme une référence importante en France. Depuis le début du XXIe siècle, elle est de plus en plus présente dans les discours politiques de droite et d’extrême-droite qui insistent sur LA laïcité à la française. Or, Jean Baubérot, historien et spécialiste de la question a notamment écrit un livre intitulé « Les 7 laïcités françaises », indique qu’il n’existe pas de « modèle français » unique de la laïcité mais des visions divergentes qui s’affrontent dans un rapport de forces toujours évolutif. Il insiste sur le fait que dès 1905, il existait une pluralité de conceptions sur la laïcité qui se sont étendus depuis. Pour contrer l’idée du « modèle français de laïcité », il utilise la notion de « laïcité dominante ». La laïcité dominante est le produit du rapport de forces entre les acteurs sociaux et les partisans des différentes représentations ; c’est « la définition socialement légitime de « la » laïcité à un moment donné, celle à laquelle chaque acteur doit se référer, même quand il la critique. Cette définition sociale implicite constitue un enjeu politique et médiatique fort, et aboutit à un discours qui prend valeur de certitude ». L’auteur insiste sur le fait qu’aujourd’hui, les discours sur la laïcité sont hégémonisés par les secteurs à droite les plus réactionnaires dont les gouvernements font le jeu.

Dans un article intitulé « Laïcité, de quoi es-tu le nom ? » publié dans « Pour une école émancipatrice », Stéphane Moulain évoque la relation entre laïcité et l’école. Il explique qu’historiquement, dès les lois Ferry de 1881-1882, la laïcité est instaurée à l’école, 20 ans avant la loi de 1905, présentée comme un moyen d’arracher l’école à l’influence de l’Eglise catholique qui était alors une puissante institution réactionnaire hostile à la République naissante. Mais dès ses débuts, la loi est restée incomplète puisqu’elle autorise l’existence d’écoles confessionnelles aux côtés des écoles publiques et donc l’instauration d’un dualisme.

Attardons-nous sur le maintien du régime concordataire en Alsace-Moselle après leur retour dans le giron français après la Première guerre mondiale. Le Concordat est né en 1801. C’est un accord entre le pape Pie VII et Napoléon Bonaparte visant à « réconcilier » l’Église et l’État français après la décennie révolutionnaire marquée par un anticléricalisme puissant. En 1802, le gouvernement de Napoléon Bonaparte ajoutera par la suite des articles englobant le protestantisme et le culte juif.

La loi de 1905 n’a jamais été étendue à ces deux territoires après 1918. Aujourd’hui, nous nous trouvons dans une situation incongrue où les religieux des différentes religions financées par le Concordat (catholicisme, judaïsme et deux confessions protestantes) sont toujours payés par l’État et leurs dirigeants nommés en concertation avec l’État. Ainsi, dans les écoles, les élèves sont soumis à des cours de religion faits par des curés en soutane ou des bonnes-sœurs voilées, se promenant librement dans les écoles publiques. Les parents qui ne souhaitent pas de ces cours sont dans l’obligation de demander des exonérations de cours de religions obligatoires. Étrangement, aucun politicien ne s’en indigne !

Sachons donc que le chef d’État français, avec l’Alsace-Moselle, est le dernier chef d’État de la planète à nommer un évêque catholique.

L’hypocrisie ne s’arrête pas là. Plus tard, les lois Debré adoptées en 1950 instaurent le financement par l’État de l’enseignement privé en France, à plus de 90% catholique. Or, ces établissements ne sont pas soumis à l’obligation de laïcité. Financer des écoles privées confessionnelles, n’est-ce pas une atteinte à la neutralité de l’État, si cher à nos représentants ?

N’est-ce pas en même temps un cadeau aux plus riches qui peuvent inscrire leurs enfants dans le privé à moindre frais ?

Poursuivant la logique de casse de l’éducation nationale, la loi Blanquer en école maternelle a instauré l’abaissement de l’âge minimal de scolarisation à 3 ans au lieu de 6 ans. À première vue, aucune mauvaise intention derrière cette mesure qui tend à s’assurer d’une scolarisation pour tous dès le plus jeune âge. Mais en réalité cette mesure, qui ne vient répondre à aucun déficit de scolarisation des jeunes enfants puisque 98% d’entre eux sont placés en maternelle dès leurs 3 ans, va obliger les collectivités à financer les écoles maternelles privées sous contrat. Un cadeau au privé majoritairement catholique qui n’est pas anodin en cette période de remise en cause du service public et qui va renforcer les inégalités scolaires et sociales dès le plus jeune âge. Bien vue pour un ministre scolarisé dans un établissement privé catholique.

Instrumentalisation de la laïcité pour justifier les politiques racistes, stigmatisantes et réactionnaires

C’est surtout à partir des années 1980 qu’apparaît l’instrumentalisation de la laïcité visant à stigmatiser la population immigrée. Pour endiguer la crise économique du capitalisme, les années 80 sont marquées par la restauration néolibérale imposant notamment la rigueur aux travailleurs et travailleuses qui subissent de plein fouet les politiques austéritaires pour sauver les patrons et les banques. La montée importante du chômage en est une des conséquences. Le bouc-émissaire de cette mascarade est tout trouvé : l’immigré qui vient prendre le travail aux français. C’est une stratégie bien trouvée par l’extrême-droite pour diviser les travailleurs et les détourner des véritables responsables : les patrons et la classe politique à leur service.

C’est donc dans ce contexte de restauration du néolibéralisme corrélé à la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS dans lequel les inégalités sociales progressent qu’apparaissent les « premières affaires » du voile dans l’espace public et à l’école.

En 1989, à Creil, trois collégiennes sont exclues de l’établissement pour avoir refusé d’enlever leur foulard en classe. Contre toute attente, ce bout de tissu qui ne posait aucun problème jusqu’alors va déferler la chronique médiatique et provoque de vifs débats intellectuels et politiques. Deux mois après leur exclusion, le Conseil d’État tranche en faveur des jeunes filles : Tant qu’elle ne constitue pas « un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande », tant qu’elle ne perturbe pas le déroulement des activités, l’expression des convictions religieuses ne peut être interdite à l’école. En effet, la loi de 1905 dit seulement que l’État est neutre et préserve la paix sociale en faisant respecter les religions. Le principe de neutralité s’appliquait donc aux enseignants, qui représentent l’État. Pas aux élèves. Mais à partir de l’affaire de Creil, une autre lecture de la loi se développe, qui étend le principe de neutralité de l’État à l’espace public. Plus qu’une polémique appartenant au passé, cet événement a donc posé les jalons d’un débat qui se poursuit encore aujourd’hui. En effet, malgré le verdict du Conseil d’État, les circulaires internes à l’Éducation nationale ou encore des lois se sont progressivement mises en place visant explicitement le voile.

En 2003 le président Chirac décide d’installer un groupe de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, c’est la commission Stasi. Sur les 26 propositions contenues dans le rapport (propositions critiquables), une est retenue pour faire l’objet d’une loi. Le gouvernement lance donc la rédaction d’un projet de loi sur le port ostensible de signes religieux à l’école. Évidemment, la loi cible le port du voile. La loi est adoptée et entre en application en 2004.

Étrangement, certaines propositions comme celle de modification des jours fériés scolaires catholiques sont passées à la trappe. Pourquoi un élève qui n’ait pas classe le jeudi de l’Ascension ou le jour de la Toussaint serait de la pure « laïcité républicaine » mais qu’il n’ait pas classe les jours de Kippour et de l’Aïd, serait de « l’affreux communautarisme » ! Sous l’argumentaire réactionnaire de « tradition » on demande à certaines catégories de population de renoncer à certaines de leurs traditions en invoquant l’universalisme laïque.

Le régime concordataire n’est pas non plus remis en question. Ainsi alors que le voile se voit interdit d’un côté dans les écoles, il n’y a aucun problème à voir le clergé catholique se balader en soutane dans les cours d’école. Cette loi dévoile l’idée que la laïcité, valeur si chère à cette République, ne relève que d’une « catho-laïcité » pour reprendre l’expression d’Edgar Morin. En effet, lorsque ce sont les centaines des traditionalistes, de réacs ou des grenouilles de bénitiers qui ont élevé la voix, de façon fort peu laïque contre l’ABCD de l’égalité en 2015, le gouvernement d’une neutralité implacable avait cédé en abandonnant ce projet.

Un article de Libération revient en détail sur l’affaire Creil et souligne que « l’affaire de Creil a posé les jalons d’une laïcité plus dure mais aussi développé l’idée que l’islam est en conflit avec cette valeur », explique Françoise Gaspard. Au cœur de ce conflit, dans le cas de Creil comme dans ceux qui suivront : la femme. « Depuis 1989, c’est toujours le signe religieux porté par des femmes qui pose problème, assure l’historienne Valentine Zuber. Un nouvel aspect de la laïcité est né : elle serait la garante de l’égalité hommes/femmes. Les femmes étant considérées comme des victimes qui doivent être protégées par l’État, avec l’idée qu’on leur a imposé le foulard. Avec le burkini, on était dans le même débat. ».

L’affaire de Creil a marqué le début de la construction d’un « problème musulman » largement médiatisé par les médias meanstream. Et le passage de l’article montre également bien comment les politiques islamophobes sont justifiées par le féminisme de libération des femmes musulmanes. L’oppression des femmes vient d’abord de l’État français lui-même, de sa politique, son idéologie et ses institutions.

Dans K comme Kolonie, Kafka et la décolonisation de l’imaginaire, José-Pierre Mondzain avance l’idée que « on ne peut traiter de la question de la laïcité sous le seul signe de la liberté des croyances dans leur diversité. Si la laïcité est un principe républicain, alors il faut aussi mettre en œuvre la décolonisation du sous-sol impérial de la république elle-même. »

Elle suggère que si l’islam est systématiquement présenté comme un problème dans la république c’est que les institutions républicaines françaises se situent dans l’héritage du christianisme tout comme l’ensemble de la société occidentale. Le sens de la laïcité, utilisée à la manière d’un credo, est de faire allégeance au dogme républicain. Ainsi, derrière la neutralité de l’état, il y a la croyance obligatoire en la république et donc à ses dogmes.

Toutes ces lois liberticides ne sont en réalité que l’expression toujours plus forte du racisme d’État français. Ces dernières semaines illustrent une nouvelle fois la dérive nauséabonde d’une laïcité scolaire récupérée à des fins réactionnaires qui fabrique des dangers et des adversaires : autour du voile porté par des mamans accompagnatrices de sorties scolaires, de tenues jugées inappropriées au sein d’une école, de petits garçons ne voulant pas donner la main à des petites filles, de la taille d’une barbe ou encore des menus à la cantine. Les politiques de cet État raciste instrumentalisent le principe de laïcité contre la religion musulmane mais aussi la population d’origine immigrée, en permanence discriminée et qui se voit refuser dans la société la place qui est pourtant la sienne.

Cette instrumentalisation cherche une nouvelle fois à nous diviser à l’heure où la colère est grande de toute part dans le pays.

Que signifie alors enseigner les valeurs républicaines et la laïcité qui ne sont faites que de réformes contre le monde du travail et contre les classes populaires, et qui instaurent un racisme d’État et une ségrégation envers les populations immigrées ?

 
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