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18 de octobre de 2020 Twitter Faceboock

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Couvre-feu en Guyane : « La réalité que l’on vit c’est celle des dernières colonies françaises »
NPA

Le couvre-feu une mesure « efficace en Guyane » ? C’est en tout cas ce que dit Macron pour défendre sa mise en place en métropole. Pourtant, sur place les militants dénoncent une gestion coloniale de la crise. Nous relayons une interview d’Adrien Guilleau de l’Union des Travailleurs Guyanais réalisée par L’Anticapitaliste le 3 juillet dernier.

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Pendant une réunion officielle sur la crise sanitaire à Cayenne en Guyane, le 22 juillet. Crédit photo : Jody Amiet / AFP

Adrien Guilleau est membre du bureau central de l’Union des Travailleurs Guyanais, et militant du Mouvement de Décolonisation et d’Émancipation Sociale. Le 3 juillet dernier, il donnait une interview à l’Anticapitaliste, le journal du Nouveau Parti Anticapitaliste, au sujet de la situation en Guyane, et de la gestion coloniale de la crise par le gouvernement. Nous l’avons retranscrite et la relayons ci-dessous.

L’Anticapitaliste : En Guyane comment se passe le confinement ?

Adrien Guilleau : En Guyane il n’y a pas à proprement parler de confinement. Nous sommes dans une phase expérimentale où il y a un couvre-feu qui a été étendu de 17h à 5h du matin, et le week-end de 13h le samedi à 5h du matin lundi. Donc en fait on a le droit d’aller travailler, on a le droit d’aller se contaminer en travaillant, on a le droit d’aller se contaminer en allant faire nos courses, mais on a pas le droit d’aller se contaminer en parlant avec nos copains.

Sachant que parallèlement, ils ont fait des tests massifs dans les quartiers populaires, et comme le virus circule partout mais qu’ils ont cherché seulement dans les quartiers populaires, ils ont décrété le confinement manu militari dans tous les quartiers populaires sous prétexte que l’épidémie y est très présente. Simplement ils n’ont absolument pas fait les mêmes tests dans les quartiers résidentiels et quartiers bourgeois où vivent le préfet, la directrice de l’ARS... Là aucun test n’a été fait et ces quartiers ne sont pas bouclé. Car dans les quartiers populaires ce sont des bouclages stricts avec barrières, contrôles policiers...

En Guyane on est dans un territoire où il y a plus de 60% de la population qui a un revenu inférieur au seuil de pauvreté français [1000euros, ndlr]. Donc pour vivre il faut tous les jours aller faire un job, découper l’herbe, entretenir un jardin, toutes ces tâches qui sont faites par les « mains invisibles ». Et là le confinement pose de gros soucis pour tous ces gens qui n’ont plus de revenus pour se nourrir. L’État a déployé une aide alimentaire qui est jugée insuffisante par les associations.

Sachant qu’en plus des quartiers populaires du littoral, il y a la problématique des villes de l’intérieur de la Guyane qui sont accessibles seulement par avion ou avec plusieurs jours de pirogue, et qui connaissent aussi de gros problème d’approvisionnement ces derniers temps. Il y a quelques associations de quartiers, mais pas une vie associative comme on peut en trouver en France métropolitaine. Donc il y a beaucoup d’habitats informels, de gens qui sont arrivés récemment sur le territoire, une entraide entre les différentes communautés, mais ça n’est pas forcément évident.

L’Anticapitaliste : En métropole on a constaté aussi l’aspect fondamental des services publics face à la crise...

A. G. : La réalité guyanaise c’est la même que celle que l’on vit dans tous les territoires d’Outre-Mer, les dernières colonies françaises. On a un sous-développement endogène qui est lié à la situation coloniale. Les quelques services publics qui ont été développés, à chaque fois ce sont des luttes intenses qui ont permis d’arracher des petites avancées, mais on est loin des besoins nécessaires et suffisants.

Par exemple dans le domaine hospitalier, en temps ordinaire on a onze lits de réanimation pour 300.000 habitants, ce qui est trois à quatre fois moins que ce qu’on a en France. Là on est monté en charge, on se retrouve avec 45 lits de réanimation, on va passer à 60 lits, mais le problème c’est qu’on n’a absolument pas le personnel pour gérer ça. Donc on nous envoie des gens de la réserve sanitaire. Il y en a qui arrivent avec de la bonne volonté, mais il y en d’autres qui ont un rapport très spécial, qui sont surpris d’arriver dans des hôpitaux alors qu’ils croyaient qu’ils allaient venir travailler en brousse, sauver des petits sauvages, leur apporter la civilisation... Il y a quelque chose de cet ordre là parmi les renforts qu’on voit arriver. Et puis on nous a envoyé un hôpital de campagne dont le bénéfice est très discutable : il peut ouvrir 20 lits, mais ce sont des lits de médecine et de chirurgie non-Covid.

L’Anticapitaliste : La Guyane a été un modèle pour nous avec tout ce qui s’était passé en terme de mobilisation sociale en 2017. Quel effet a la crise du Covid sur les mobilisation et la cause anti-coloniale ?

A. G. : Très rapidement les militants anti-colonialistes ont compris que la crise qui venait allait montrer une fois de plus que la France ne défend que ses propres intérêts en Guyane et pas celle de la population. Que si on voulait s’en sortir il faudrait qu’on s’organise nous-mêmes.

Malheureusement ça s’est vérifié semaine après semaine. Il y a eu d’abord le confinement qui a été mis en place en même temps qu’en France, sans aucune explication alors qu’on avait moins de 10 cas à ce moment là. La seule explication c’est que la majorité des cas qui avaient été recensés étaient des ingénieurs du centre spatial qui arrivaient de France. Et vu ce qui se passait en France il était évident que la fusée n’allait pas pouvoir décoller. Donc ils ont suspendu le décollage qui était prévu de Vega [lanceur léger de l’Agence spatiale européenne, ndlr] à ce moment-là. Vega c’est un lancement assez particulier, qui est en cours et toujours pas lancé depuis. Un projet avec plus de 50 satellites, 21 clients... Un projet très important, et une première avec toutes les caméras du monde qui regarde.

Donc Vega était confiné, puis est arrivé le mois de mai, et ils ont décidé de déconfiner. Alors que pendant le confinement on est passé de 10 à 150 cas. Là, on a prévenu : « l’épidémie est au Brésil, elle est à nos frontières si on déconfine maintenant ça va être une catastrophe ! ». Et le jour où ils ont déconfiné, on a découvert un énorme cluster sur la ville frontalière avec le Brésil. Cluster où il y a actuellement en terme de ratio plus de 3.000 contaminés pour 100.000 habitants. En valeur absolue ça fait 400 cas sur la seule ville de Saint-Georges où il y a 4000 habitants [fin mai l’ARS dénombrait 100 cas de Covid par semaine, fin septembre elle n’en comptait plus que 10, ndlr] . A partir de ce cluster il y a eu une généralisation de l’épidémie à toute la Guyane

La seule explication logique, économique, que l’on retrouve dans ce déconfinement et dans l’insistance à déconfiner, c’est de reprendre l’activité spatiale pour lancer Vega qui est confiné depuis le mois de mars. Il faut absolument lancer Vega. Donc le temps de préparer Vega pendant un mois et demi, les autorités sanitaires ont dit : « c’est bon, il n’y a pas de problème, l’épidémie n’existe pas. Tous les médias du monde regardent cette fusée qui va décoller, donc surtout on ne fait pas de vague en Guyane. On lance la fusée et après on s ’occupera du reste ». Sauf que c’était sans compter sur nous, et nous on a pas laissé faire.

L’Anticapitaliste : Donc ça veut dire que l’agenda guyanais, qui est dans un autre continent, un autre hémisphère, est calqué sur l’agenda de la France alors que la dynamique de l’épidémie n’est pas du tout la même ?

A. G. : Exactement, c’est toute la logique du système colonial qui veut que le pays colonisateur défende uniquement ses propres intérêts. Et s’il doit soigner la population locale, c’est parce que ça doit aller dans son intérêt.

Donc on a pris la décision au sein des instances centrales de l’UTG de faire un appel aux forces vives pour former un grand collectif. On y a retrouvé les forces en présence de la mobilisation de 2017, avec 25 organisations qui se sont réunies, des syndicats, des partis politiques, des associations, au sein du Mayouri Santé Guyane (MSG) qui a commencé à devenir l’entité qui représente les intérêts de la population.

Face à l’épidémie qui devenait de moins en moins contrôlée, on a commencé à essayer de mobiliser dans l’opinion et les médias, notamment les jours de décollage de Vega. Or Vega ne peut pas décoller si c’est le bazar au sol. C’est le principe. Car on ne peut pas avoir des journalistes qui regardent la fusée décoller et qui n’interrogent pas sur la population qui est en train d’appeler au secours : « on est tous en train de mourir, personne s’occupe de nous ». Ça fait très moche. Et puis si ce ne sont pas les médias européens, ce seront les médias américains ou chinois, des pays des fusées concurrentes qui en parleront. Donc effectivement, il faut une stabilité politique extrême lorsque les fusées partent. En 2017 on l’avait bien vu.

Donc la semaine dernière on a été interpeler directement le Centre Spatial Guyanais (CSG), hier on a été reçu par le président d’ArianeGroup, donc on a des interlocuteurs qui commencent à monter assez haut. On a rencontré la ministre des Outre-Mer qui est venu la semaine dernière en urgence devant le fait que la mobilisation commençait à prendre, et que finalement Vega n’a pas décollé alors qu’elle devait décoller ce week-end. La situation sanitaire n’est toujours pas contrôlée, donc ça devient très préoccupant pour l’État et il sont obligés de montrer patte blanche, de montrer qu’il donnent toutes les cautions pour que ça puisse avancer.

Un dernier élément en date pour montrer la défiance qui s’est structurée dans la population vis-à-vis de la prise en charge par les autorités sanitaires, ça a été l’annonce vendredi ou samedi de Karine Lacombe professeure à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, qui a annoncé qu’elle allait ouvrir en Guyane un centre d’expérimentation thérapeutique. Alors peut-être qu’elle voulait juste dire la mise en place d’un nouveau protocole dans le cadre d’une étude sur le Covid, mais le ressenti de la population guyanaise c’est que maintenant qu’on a laissé l’épidémie se développer, on vient faire des essais et des test chez nous.

Malheureusement l’histoire coloniale est très riche de ce genre d’expérimentation, donc il y a eu une levée de bouclier incroyable. Une pétition lancée par un camarade du MDES a recueilli presque 5.000 signatures en un peu plus de 48h, ce qui est gigantesque à l’échelle de la Guyane. Cela a obligé le président de région et les sénateurs à prendre position contre cette étude. Donc cette étude ne reviendra plus, mais surtout ça montre que la tension est extrêmement palpable du fait de la mauvaise gestion de la crise. On est très proche d’un débordement émotionnel comme en 2017, on sent qu’une étincelle peut tout faire exploser.

L’Anticapitaliste : Quels mots d’ordre mettez-vous en avant ?

On s’est structuré autour de six mots d’ordre d’urgence dont le port du masque obligatoire, le dépistage massif de la population, et la création d’un hôpital de campagne à la frontière avec le Brésil pour soigner les populations des deux côtés de la rive frontalière. C’étaient les principales revendications.

Elles ont été en partie satisfaites avec l’arrivée de la ministre qui a annoncé rendre quasi-obligatoire le port du masque. Un hôpital de campagne est arrivé, mais au lieu de le mettre sur la frontière ils l’ont mis sur le parking de l’hôpital de Cayenne... Ce qui est dommage. Et au niveau des tests, ils ont beaucoup augmenté les capacités de tests, même si on est loin de ce qui est nécessaire. On sent qu’au niveau de l’État il y a une volonté de montrer patte blanche.

La Guyane est un énorme désert médical donc on demandait aussi qu’il y ait un renfort de médecin cubain, ce à quoi s’était toujours opposé le président de région. Ces derniers jours il a consenti a dire qu’il était pour et qu’il fallait que ça se fasse. Donc ça aussi c’est une victoire, les martiniquais aussi ont réussi à obtenir l’arrivée de 15 médecins cubains ces derniers jours.

Et puis on posait également la question structurelle de la création du CHU qui a fait l’objet d’un engagement de l’État il y a 19 ans déjà, en janvier 2001, à l’issue d’une grande grève, et qui n’est toujours pas structuré. D’un hôpital à Saint-George à la frontière du Brésil, d’un hôpital à Maripasoula à l’intérieur des terres sur le Haut-Maroni, et concrètement je pense que les questions structurelles vont devenir centrale dans les jours qui viennent.

 
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