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La Izquierda Diario
19 de octobre de 2020 Twitter Faceboock

Le candidat d’Evo Morales gagne dès le premier tour
Bolivie. La gauche emporte tout sur son passage, et écrase la droite
Jean Baptiste Thomas

Les résultats officiels ne devraient tomber que mardi ou mercredi mais tout le monde a d’ores et déjà reconnu la victoire de Luis Arce, du Mouvement Vers le Socialisme (MAS). Avec, sans doute, plus de 50% des voix au final, le candidat de la gauche bolivienne devance d’au moins vingt points son principal rival, Carlos Mesa (droite), qui n’obtient qu’un peu plus de 30% des voix, et se retrouve très loin devant le candidat de l’extrême droite religieuse, raciste et anti-communiste, Fernando Camacho, l’un des artisans du coup d’Etat de 2019, qui ne recueille que 14% des voix. Au-delà des frontières de la Bolivie, c’est également un coup dur pour Donald Trump et Jair Bolsonaro, deux des principaux parrains du putsch de l’an passé.

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Aux origines d’une fake-news »

Cela fait près d’un an que, dès lors que l’on évoque la Bolivie, la plupart des médias nous parlent de la « démission » du président de gauche Evo Morales à la suite de soupçons de fraude électorale lors des élections du 20 octobre 2019 et de son remplacement par un « gouvernement de transition » en charge d’organiser un nouveau scrutin. En réalité, si l’on en croit les analyses les plus sérieuses, il n’y a jamais eu de fraude, en 2019, mais « juste » l’orchestration assez bien ficelée d’une stratégie de déstabilisation du pouvoir de gauche, en place, pour le forcer à quitter la scène. Evo Morales et son parti, le Mouvement vers le Socialisme (MAS) a été renversé par un coup d’Etat en bonne et due forme, même s’il ne disait pas son nom, planifié par la droite bolivienne, avec le soutien de l’armée, et encouragé par Bolsonaro et Trump. Quant au fameux « gouvernement de transition », il a brillé, d’abord, par sa brutalité extrême dans la répression des opposants au coup d’Etat, puis dans une gestion calamiteuse de la crise du Covid, émaillée par ailleurs de multiples scandales de corruption. La soi-disant fraude de 2019 en Bolivie est, sans doute, l’une des plus grandes fake-news des dernières années.

En attendant, tout ce cadre a fini par peser sur une droite qui allait au combat en ordre dispersé avec, d’un côté, un pôle plus « modéré », conduit par Carlos Mesa, ancien président de 2003 à 2005, derrière lequel s’étaient rangés à la fois la présidente auto-proclamée, Janine Añez, et un ancien vice-président, tous deux candidats un temps mais ayant jeté l’éponge, et, de l’autre, Fernando Camacho, de la droite dure, représentant les intérêts des secteurs les plus concentrés du patronat de l’Est du pays et de l’agro-business.

Malgré les pressions, la victoire du MAS

Le résultat est sans appel, avec sans doute plus de 50% des voix pour l’ancien ministre de l’économie de Evo Morales, Luis Arce, pendant plus de onze ans. Le MAS et Arce gagnent, en effet, dans les principales villes du pays, comme La Paz, Cochabamba et Oruro ainsi que dans les régions clef de la zone andine. Même là où il « perd », comme dans les provinces du Beni ou de Santa Cruz, place-forte de la droite bolivienne, Arce obtiendrait plus de 30% des voix compte tenu de l’appui dont continue à bénéficier le MAS dans les quartiers populaires et les zones rurales.
Pendant un temps, du fait de l’extrême polarisation de la situation, de la publication de sondages payés par les grands groupes de presse donnant Mesa et Arce au coude-à-coude -voire le MAS en seconde place-, des déclarations menaçantes de l’état-major sur la « menace subversive » venant de l’étranger et sur la disposition de l’armée à réprimer, tout pouvait laisser penser que le scrutin allait déboucher sur un scénario des plus chaotique, avec des putschistes s’accrochant au pouvoir. Néanmoins, la victoire de Arce est d’une telle ampleur et les garanties de « concorde nationale » qu’il s’est efforcé de donner au cours des dernières semaines font que, pour l’instant en tout cas, la droite et l’extrême droite estimeraient plus couteux de remettre en cause sa victoire que de l’accepter. Arce, en tout cas, a pris des engagements solennels, promettant de gouverner avec « tous les Boliviens » en vue d’un « gouvernement d’union nationale », et cela même alors que les principaux leaders de son parti sont soit exilés, soit en attente d’être jugés dans des procès montés de toute pièce par des magistrats aux ordres de la droite.

D’un côté, la base du MAS, à savoir des millions de travailleurs et travailleuses des villes et des campagnes et de Boliviens pauvres, ne se sont pas détournés de ce qu’ils continuent à estimer être « leur » parti, en dépit du retrait forcé de Morales de la course électorale et même si le MAS et ses leaders les ont laissé bien seuls lorsqu’il s’est agi d’affronter les putschistes, en novembre dernier. Partout dans le pays, entre novembre 2019 et janvier 2020, notamment à Senkata, dans la banlieue de La Paz, la capitale, ou encore à Sacaba, dans la région de Cochabamba, l’un des fiefs de Morales, ce sont dizaines manifestants qui ont laissé leur vie lors d’affrontements avec l’armée. On comprend pourquoi les manœuvres et les accords du MAS avec la droite pour se garantir, en dernière instance, une possibilité de se présenter, même si la candidature de Morales était invalidée, a suscité beaucoup de mécontentement, dans la rue, au mois d’août, mais sans que cela n’effrite réellement un bloc social « masiste ». Ce dernier garde en effet à l’esprit que, sous Morales, entre 2006 et 2019, la pauvreté extrême a reculé de plus de vingt points, de 38 à 17%, et que l’économie du pays a été la plus dynamique de la sous-région. Tout ceci est largement dû aux prix élevés prix des matières premières dont la Bolivie est exportatrice et à une politique de redistribution qui n’a jamais remis en cause la dépendance du pays au modèle agro et primo-exportateur ni permis d’entamer un début de transition anticapitaliste, et quand bien même Morales se présentait comme « socialiste ». Cependant, le souvenir des années du MAS au pouvoir et le constat de la gestion calamiteuse et répressive du gouvernement de facto, au cours des derniers mois, a conforté les électeurs dans leur positionnement et a détourné la classe moyenne, la grande bénéficiaire des années Morales et parmi les plus ferventes supportrices du putsch, de se détourner de la droite et d’appuyer, en dernière instance, le MAS.

Et après ?

Personne ne sait, en revanche ce que réserve l’avenir. D’un côté, le niveau d’expectative est grand, au sein des classes populaires. Cependant, la période qui s’ouvre, au niveau économique, n’est plus celle du « boom des matières premières » de ces dernières années et qui a permis, notamment, la mise en place de politiques et de mesures assistantialistes et de redistribution importantes. Par ailleurs, Arce et sa garde-rapprochée sont loin d’avoir le même charisme que Morales et de bénéficier du même ascendant sur les masses populaires. Enfin, même si elle a subi une défaite cinglante, la droite bolivienne est aux abois. Les secteurs qu’elle représente continuent à agiter, tour à tour, le spectre de la sécession de la province d’Oriente, la lutte contre le communisme ou, sur le terrain, la politique de la « terre brûlée », au sens littéral du terme, multipliant les incendies criminels pour étendre toujours plus la frontière agricole sur les terres non cultivées de l’Est et du Nord-est du pays. Enfin, même si la droite ou les opposants à Morales au niveau régional et continental ont, en règle général, reconnu la victoire de Arce – sans jamais remettre en cause leurs allégations de 2019 sur la fraude généralisée sous Morales, nul le sait exactement comment cette même droite pourra réagir, à l’avenir, vis-à-vis de ses partenaires locaux, notamment dans le cas du tandem Bolsonaro-Camacho.

En attendant, la Bolivie, qui a été au cœur de la lutte des classes au niveau régional au début des années 2000 avant que la situation traditionnellement explosive qui caractérise le pays soit « domestiquée » ou « canalisée » par le MAS, pourrait redevenir l’un des épicentres de la contestation l’ordre social inique, raciste et injuste, qui caractérise les pays de la région. Pour cela, l’expérience, nouvelle, que feront les secteurs populaires, la jeunesse, les nations autochtones, la paysannerie ainsi que le monde du travail, vis-à-vis du gouvernement Arce, aura une place centrale, ainsi que leur capacité à répondre à toute mesure répressive ou offensive à l’égard des classes populaires.

 
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