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La Izquierda Diario
3 de décembre de 2020 Twitter Faceboock

Un "fascisme" ?
Le racisme, la police, la gauche et les quartiers populaires : Youcef Brakni et Daniela Cobet sur RP et QG
Thaïs Cheynet

Ce mardi, Révolution Permanente et Quartier Général réunissait dans un live inédit de nombreux intervenants politiques de différents horizons autour de la question « Deux ans de luttes, et maintenant ? ». Youcef Brakni et Daniela Cobet sont notamment revenus sur la question de la gauche et des quartiers populaires.

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Crédit photo : O Phil des Contrastes

C’est avec de nombreux invités qu’Aude Lancelin et Anasse Kazib ont décrypté ces deux dernières années riches en luttes sociales lors du live organisé par Révolution Permanente et Quartier Général ce 1er décembre. Après une première partie sur le bilan de deux années riches en mouvement social et lutte des classes, le deuxième plateau est composé de différents dirigeants politiques, du NPA, de Lutte Ouvrière, La France Insoumise, militants antiracistes... pour discuter sur quelle réflexion stratégique pour « l’après ».

La gauche et les quartiers populaires

Youcef Brakni, militant des quartiers populaires et membre du comité Justice et Vérité pour Adama, intervenait dans cette deuxième partie sur la question des quartiers et notamment sur l’attitude de la gauche vis à vis des violences policières racistes qui y ont lieu.

« Ca fait depuis les années 60 jusqu’à aujourd’hui que les quartiers populaires posent comme question centrale la question de la police et du racisme qui va avec. Et c’est intéressant de voir qu’aujourd’hui tout le monde pose cette question, [...] tout le monde parle de la police aujourd’hui, or a l’époque quand les mouvements des quartiers populaires parlaient de la police on les marginalisait. Tu disais tout à l’heure la gauche ne calcule pas les quartiers populaires, c’est plus que ça : la gauche empêche les quartiers populaires de s’organiser. […] Dans les années 70, on a des bagarres contre les ouvriers maghrébins, quand on disait « eux ils volent notre pain » etc., et parfois c’était des militants de la CGT ! […] Quand dans les années 70 on a créé le Mouvement des Travailleurs Arabes (MTA), c’était des gens qui étaient a la CGT qui on été obligés de sortir pour pouvoir exister. [...] On découvre aujourd’hui l’islamophobie mais en fait ça existait déjà et pour délégitimer des grèves, pour empêcher que des gens puissent avoir des meilleures conditions de travail, puissent s’émanciper, on les accusait déjà d’être des islamistes. »

Youcef Brakni est également revenu dans ses interventions sur le rôle de la police, qui non seulement sert à réprimer les révoltes et soulèvements populaires, mais qui sert aussi à « contrôler certaines populations » :

« La question de la police elle a une histoire. La police ne vient pas de nulle part, elle a été créée a des moments donnés pour contrôler certaines populations et la police, son histoire elle est liée a l’histoire coloniale dans les années 20. Quand on dit “elle réprime les révoltés”, oui, bien sûr qu’elle a réprimé les gilets jaunes par exemple, et c’est d’ailleurs pour ça que nous on a rejoint immédiatement les gilets jaunes, indépendamment de la couleur mais on vit pas les mêmes choses. Parce que Georges Floyd ou Adama ils ne se révoltaient pas quand ils on été écrasés sous le poids de policiers ou de gendarmes, ils voulaient vivre, ils voulaient respirer. […] C’est leur existence qui pose problème. Donc je ne comprends pas comment dans la gauche on intègre pas ça. Dans plein d’endroits, en Amérique latine par exemple, la gauche intègre la question coloniale et du racisme, de comment on a construit des êtres humains pour les différencier pour mieux les exploiter. Si ça on ne le prends pas en compte, comment on peut aller dans les quartiers populaires et dire “non mais vous comprenez pas, tout ça c’est la bourgeoisie, c’est un tout, etc.”. Non, il faut prendre en considération les oppressions spécifiques. »

Daniela Cobet, membre de la direction du NPA et de Révolution Permanente, est également intervenue sur ce sujet, en partageant le constat de Youcef Brakni, selon qui il y a eu un « retard à l’allumage » de la part de la gauche, revenant dans un premier temps sur un rapide bilan de ces dernières années de luttes :

« La situation dans laquelle on est, c’est une situation qui est très paradoxale, où a la fois nous venons de vivre une vague de formes multiples et diverses de lutte de classes. On a vu les secteurs de la jeunesse, le secteur de grandes entreprises du privé par exemple à l’époque de la loi travail, on a vu cette France périurbaine avec les gilets jaunes, on a vu la jeunesse des quartiers plus récemment autour des questions de racisme. Il y a une diversité de mobilisation et de lutte de classe dans la dernière période qui non seulement a fait beaucoup de mouvement mais ou il y a une politisation à gauche qui s’est fait aussi tout au long de ces moments là. »

Dans ce sens, on peut notamment penser à comment dès Nuit Debout commençait à émerger un sentiment anticapitaliste à échelle large. Plus récemment, avec les gilets jaunes, la perspective révolutionnaire est revenue sur le devant de la scène quand des milliers de personnes criaient le slogan « Révolution ! » dans les rues. Daniela Cobet donne également comme exemple un reportage réalisée à la dernière manifestation contre la loi sécurité globale réalisé par Révolution Permanente dans lequel une jeune fille répondait « le communisme » à la question « par quoi tu penses qu’il faudrait remplacer le système capitaliste actuel ? ». Daniela enchaîne ensuite sur la responsabilité de la gauche face à cela :

« Force est de constater que dans une situation comme celle la, l’extrême gauche, la gauche qui se réclame de la transformation sociale, de la révolution a rarement été plus faible et plus marginale qu’aujourd’hui du point de vue de ses organisations. Donc je pense qu’on est obligés de faire le constat d’un échec, d’une faillite d’une certaine gauche politique mais aussi syndicale. C’est la gauche héritière de la tradition du congres d’Epinay, la gauche qu a participé au gouvernement mais qui a aussi été la gauche des manifestations Bastille-République-Nation des journées saute mouton, des grèves perdantes, etc. Et la réalité c’est qu’il y a un rappel a l’ordre des mouvements sociaux sur le fait qu’il y a une recherche d’autre chose, une recherche de radicalité que cette gauche là n’était pas en train d ’apporter. [...]De ce point de vue là, je pense qu’il y a un bilan a faire sur comment la gauche et la gauche révolutionnaire a été capable ou non de saisir les phénomènes politiques les plus subversifs qui ont émergé ces derniers temps dont fait parti l’antiracisme politique. […] C’est à dire qu’il y avait un sectarisme vis a vis des militants des quartiers populaires et des militants antiracistes qui je pense aujourd’hui est en train d’une certaine façon de s’affaiblir. Mais on a besoin de penser une stratégie qui soit une stratégie gagnante, qui soit capable d’apporter une réponse en terme de projet de société en positif et qui réponde aux problèmes de l’ensemble de notre classe sociale. Ce qui comprend une énorme partie de notre classe qui est la population racisée des quartiers qui n’est pas juste dans les quartiers mais qui est aussi en train de conduire des trains, des bus, etc, et qui subis une oppression spécifique du fait qu’elle soit racisée. »

Un fascisme dans les quartiers populaires ?

Sur la question du fascisme, Youcef Brakni intervenait de la manière suivante : « Tout le monde dit qu’on est dans une dérive autoritaire. Mais non, pour qui on est dans une dérive autoritaire ? Pour les classes moyennes blanches ? Pour les autres secteurs de la population ? Peut être aujourd’hui. Mais excusez-moi mais quand deux enfants sont obligés d’aller dans un transformateur électrique pour se réfugier parce qu’ils ont peur de la BAC et que les parents arrivent pas à reconnaître lequel est leur enfant tellement ils ont été brûlés, mais la dérive autoritaire on la connaît déjà. Quand on a la police française républicaine qui va réveiller des enfants à 7h du mat dans leur lit avec des armes de guerres. Je sais pas si on se rend compte du truc on a emmené cette petite fille devant sa mère et on l’a emmené au commissariat pour 11h d’interrogation ! Ça en fait c’est déjà le fascisme. On attend quoi ? […] Un des critères du fascisme c’est quand on nous empêche de nous organiser, mais on y est déjà en fait, il faut juste le voir. Il faut juste voir que le CCIF a été dissout, qui a réagi ? Il y a le NPA qui a fait un communiqué mais normalement il devrait y avoir des millions de personnes. Je ne dis pas que c’est le fascisme je dis juste que nous, ça fait longtemps qu’on le vis, la déshumanisation, les morts, les ratonnades. [...] Je dis juste : à partir quel moment ça devient important ? Et si par exemple un des critères c’est qu’on ne peut plus s’organiser, les musulmans aujourd’hui ils ne peuvent plus le faire. Il y a des comptes en banque qui sautent, le ministre dit qu’il y a des gens qui vont être perquisitionnés pour “envoyer un message”, etc. »

Dans une des ses interventions, Daniela Cobet expliquait dans quelles circonstances politiques se forment les régimes fascistes : « Il y a un danger fasciste en dernière instance, on n’en est pas là. Je pense que le fascisme c’est quelque chose de très sérieux et qu’il faut le traiter en tant que tel, mais il y a une montée autoritaire. Je suis d’accord avec les camarades qui insistent sur l’idée qu’il y a des bifurcations et que les grands moments de l’histoire, c’est des moments où le pire comme le meilleur sont possibles. C’est à dire où la révolution est possible mais en même temps, si la révolution ne gagne pas, on est sûrs que c’est pas juste qu’on ne gagne pas, c’est qu’on va voir le pire derrière. C’est qu’on va voir la rage et la violence et la vengeance des classes dominantes sous la forme de la contre-révolution, du fascisme, etc. »

Bien que nos définitions sur le fascisme divergent, elle rappelle toutefois dans une autre intervention être totalement d’accord avec le problème que soulève Youcef Brakni sur le traitement des populations des quartiers populaires ; « Je suis d’accord avec le problème que pose Youcef et je pense qu’on a besoin de le prendre en compte, même si je ne pense pas que ce soit ça qui caractérise le régime fasciste. Almamy [Kanouté] disait dans le premier débat que les populations des quartiers sont traités comme des “citoyens de seconde zone” et je pense que dans plusieurs pays il y a un régime un peu différent qui règne sur ces populations-là. […] Je suis brésilienne et dans l’État ou j’ai grandi, à Sao Paulo, on tue des Noirs mais dans une quantité qui fait envie à la police américaine : la police de Sao Paulo tue plus de Noirs que toutes les polices des États-Unis confondues, et c’était déjà vrai sous le gouvernement du PT [Parti des Travailleurs, dont sont issus Lula et Dilma Roussef qui ont dirigé l’un après l’autre de 2003 à 2016]. Il y a une relative indépendance entre le régime politique général qui gère l’ensemble de la société et le fait qu’il y ait des populations qui soient considérées, comme on dit au Brésil, comme “la viande la moins chère du marché”. Et même aujourd’hui on continue a voir des Noirs qui se font massacrer, qui se font tuer dans des supermarchés parce qu’on les soupçonne de voler des bonbons. La gauche révolutionnaire brésilienne parle de génocide de la population noire, et je pense que c’est un terme qui peut se poser et qui doit être pris en charge par l’ensemble de la gauche politique révolutionnaire – mais qui a mon avis est un autre débat que le débat sur le fascisme en tant que forme politique qui gouverne l’ensemble de la société. Mais dans mon refus de l’utilisation du terme fascisme pour décrie la situation actuelle il n’y a rien en rien une sous estimation d’un traitement que subissent les populations qui sont considérées comme moins respectables dans telle ou telle société pour des questions historiques d’oppression. »

 
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