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La Izquierda Diario
14 de décembre de 2020 Twitter Faceboock

Crise sociale et impact sur la santé mentale des jeunes : "la pandémie est un révélateur de problèmes anciens"
Typhaine Cendrars
Coline Isabel
Ana Demianoiseau

Depuis le début de la pandémie, avec l’isolement dû au confinement et la pression sociale consécutive à la crise économique, les états dépressifs et les troubles psychiques ont augmenté chez les jeunes, relève Santé Publique France, tandis que les moyens alloués aux services publics de la santé ne cessent de se dégrader.

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Crédits photo : Alain Jocard/AFP

Depuis le début de la pandémie, avec l’isolement dû au confinement et la pression sociale consécutive à la crise économique, les états dépressifs et les troubles psychiques ont augmenté chez les jeunes, relève Santé Publique France, tandis que les moyens alloués aux services publics de la santé ne cessent de se dégrader. "La pandémie est un révélateur de problèmes anciens", explique Laurent Gerbaud, le médecin directeur du pôle santé handicap étudiants à l’université Clermont-Auvergne et responsable du pôle de santé publique au CHU de Clermont-Ferrand.

Une augmentation des troubles psychiatriques depuis le premier confinement

Ces derniers mois, beaucoup d’expert.es constatent une augmentation considérable des états dépressifs et des troubles de l’addiction chez les jeunes. Ces états, qui s’accentuent particulièrement pendant les périodes de confinement, sont aussi caractérisés par la crise économique que vit la France et qui touche particulièrement les jeunes. Selon une étude de Santé Publique France, “la santé mentale des Français s’est significativement dégradée entre fin septembre et début novembre avec une augmentation importante des états dépressifs pour l’ensemble de la population (+10 points). Les hausses les plus importantes ont été observées chez les plus jeunes (+16 points chez les 18-24 ans et +15 points chez les 25-34 ans)”.

La crise sanitaire instaure également un contexte d’apprentissage compliqué : les cours à distance se caractérisent par des inégalités de conditions matérielles et un isolement énorme qui plongent les jeunes dans un stress permanent. En faisant face à un service d’enseignement public en manque énorme de personnels, beaucoup de jeunes se déscolarisent peu à peu et rien n’est mis en place pour les aider. A l’image du discours de Castex du 10 décembre qui disait avoir “une pensée” pour les jeunes, sans mettre en place des mesures permettant de les aider.

L’isolement psychosocial des jeunes en période de confinement s’articule à une situation anxiogène générée par les politiques liberticides du gouvernement et ses discours culpabilisants. On se souvient de la Ministre de l’Enseignement supérieur, qui, en début d’année, portait la responsabilité des clusters dans les universités sur les étudiant.e.s et leurs soi-disant soirées. Par ailleurs, la mise en place de protocoles sanitaires désastreux au sein des établissements scolaires provoque une situation d’angoisse chez les élèves qui ont peur de contaminer leurs proches. Au-delà de ça, la situation politique d’offensive sécuritaire du gouvernement cherche à restreindre nos libertés fondamentales et stigmatise une partie de la population sous couvert du double état d’urgence, à l’image de la loi sur le séparatisme ouvertement islamophobe et raciste ainsi que de la loi Sécurité Globale qui vise à renforcer l’appareil répressif policier.

Un climat anxiogène également en lien avec la forte présence policière et militaire dans les rues ainsi qu’avec l’augmentation des violences policières. Ces violences touchent particulièrement les jeunes des quartiers populaires et les personnes racisées ou assimilées comme telles, premières victimes de la crise économique et sanitaire puisque les plus exploitées du système capitaliste. Comment pouvons-nous actuellement trouver un job étudiant, des stages ou nous insérer dans le marché du travail ? Cela, alors même que les bourses étudiantes du CROUS ont pris un retard considérable au début de l’année et que les inscriptions administratives de toutes les universités ont été apocalyptiques. Sans oublier, les pertes d’emploi qu’ont subies les étudiant.e.s suite à la crise sanitaire et qui les plongent dans une précarité qui accroît considérablement leur détresse mentale. En réponse au cri de détresse de la jeunesse face au manque d’emploi, le gouvernement Macron a décidé de l’installation d’une plateforme bidon, #1jeune1solution, qui a pour but d’offrir des possibilités d’emplois mais qui en réalité ne fait que rediriger sur le site de Pôle emploi, en offrant des missions locales ou des services civiques. Sans parler de la réforme des APL qui va fortement diminuer les allocations logements dans le but de réaliser des économies. Encore ici, l’État n’a prévu que des mesures de façade pour aider les jeunes qui craignent de perdre leur logement ou tout simplement de ne plus pouvoir se nourrir, comme c’était le cas l’année dernière avec l’installation d’un numéro vert payant pour combattre la précarité étudiante. La jeunesse reste, une nouvelle fois, une variable d’ajustement pour le capital.

Un accès aux soins réservé à une minorité d’étudiant.es et des services en saturation depuis les confinements

L’engorgement des services de psychiatrie et le manque d’information freinent toute forme de suivi médical. En effet, les consultations, qui se font maintenant en ligne, pâtissent de la fracture numérique. Mais en réalité, le taux de patient.es bénéficiant d’un suivi ne concerne qu’une minorité d’étudiant.es. Et pour cause, en France, les consultations psychologiques ne sont pas remboursées par la Sécurité Sociale. Il est seulement possible d’avoir accès à des consultations gratuites aux BAPU (Bureaux d’Aide Psychologique Universitaire). Mais bénéficier de ces consultations relève de l’ordre de l’impossible en raison du manque de personnel et du temps d’attente. Dans un article du Monde du 16 novembre 2020, Laurent Gerbaud, le médecin directeur du pôle santé handicap étudiants à l’université Clermont-Auvergne et responsable du pôle de santé publique au CHU de Clermont-Ferrand, revient sur la situation : “Dans notre BAPU [...] En temps normal, on en compte une vingtaine [d’étudiant.es en liste d’attente] : l’attente a donc triplé. On déborde, on n’y arrive pas, on ne répond pas à nos missions. Les professionnels sur le terrain, qui ne comptent pas leurs heures, ont atteint leurs limites. La crise, nous la vivons au quotidien, et encore plus fort actuellement. La pandémie n’est qu’un révélateur de problèmes anciens, elle exacerbe tout. ”

Une conception individualiste des problèmes psychiatriques aux facteurs socio-économiques

Le fait que l’État ne prenne aucune mesure économique et sociale conséquente afin de gérer cette crise psychiatrique est en continuité avec sa politique de liquidation des services publics antérieure à la pandémie. Il y a encore trop peu de couverture médiatique à propos de la santé mentale et celle-ci use presque toujours d’arguments méritocratiques prenant racine dans le système néolibéral qui fait primer l’individuel sur le collectif. Encore trop souvent, les problèmes de santé mentale sont considérés comme un trait moral ou de personnalité dont nous pourrions sortir par la volonté. Ils sont relégués au domaine du privé et de l’individuel.

Dans un article du Monde Christine Bouvier-Müh, enseignante-chercheuse en philosophie à l’université catholique de Lyon, caractérise le confinement d’ « épreuve de soi » qui “laisse chacun affronter sa « solitude de sujet »”. Solitude perçue selon un biais doloriste : l’isolement deviendrait nécessaire, une “épreuve du feu” dont on sortirait plus fort.e. Cette représentation de la situation couramment utilisée par les médias, notamment lors du premier confinement, est en réalité une lecture bourgeoise qui dissimule la situation matérielle actuelle. Les centaines d’étudiant.es de Paris 8 qui ont dû faire la queue pour obtenir un panier alimentaire lors du premier confinement n’étaient sûrement pas en train d’expérimenter leur “conscience de sujet”. Des mots bien creux face aux statistiques qui démontrent implacablement que le confinement ne conduit à rien d’autre qu’une situation de détresse psychologique et économique.

No future ? La jeunesse à l’assaut d’un nouveau monde

Si nous voyons l’état mental de la jeunesse déjà fragile se dégrader avec le confinement, ce n’est pas pour autant qu’elle capitule. On l’a notamment vue se mobiliser dans les lycées aux côtés des professeur.es en grève contre le protocole sanitaire inconséquent du gouvernement afin de prendre en charge la santé de toutes et de tous. Loin de l’image d’inconscient.es et d’irresponsables que le gouvernement aimerait bien lui assigner, la jeunesse nous démontre que loin de s’en foutre, elle descend aujourd’hui dans la rue pour revendiquer sa liberté.

Ces derniers mois, à l’échelle internationale, on a vu les jeunes être en première ligne et même à l’initiative des révoltes et mouvements de lutte des classes qui ont éclaté dans le monde. Aux Etats-Unis, après la mort de George Floyd, ce sont des millions de jeunes qui se sont révolté.es contre le racisme et les violences policières alors que la crise de la Covid et sa gestion criminelle a réduit à la misère une énorme partie de la population états-unienne. Au Chili, la révolte qui a fait trembler Piñera pendant plusieurs mois et qui a remis en cause le système néolibéral dans son ensemble a commencé dans les universités, par des assemblées générales étudiantes qui se sont mobilisées contre l’augmentation du ticket de métro. A Hong Kong, c’est aussi la jeunesse qui était à l’avant garde de la mobilisation pour les droits démocratiques, comme en Algérie pendant le Hirak.

Celles et ceux que nous voyons aujourd’hui manifester contre la loi Sécurité Globale et toutes les lois liberticides et racistes, c’est justement cette jeunesse qui s’est vue sacrifiée par le gouvernement et son système depuis le début de la crise sanitaire et économique. Cette jeunesse qui a perdu son emploi précaire pendant le premier confinement et se retrouve aujourd’hui au chômage, cette jeunesse des quartiers populaires qui luttait à l’appel du comité Adama au printemps dernier contre la violence policière. Cette jeunesse qui a remis en cause le rôle de la police comme bras armé de l’Etat protégeant le système capitaliste, qui organise l’exploitation et l’oppression, c’est elle qui manifeste massivement en ce moment. Il y a fort à parier que cette génération qui s’oppose à la politique liberticide et raciste du gouvernement sera au cœur des explosions sociales que nous réserve la période de crise dans laquelle nous sommes entré.es.

 
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