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La Izquierda Diario
17 de décembre de 2020 Twitter Faceboock

Grève à EDF
Fabrice Coudour de la CGT Énergie : « On se bat pour les usagers et en défense du service public »
Cléo Rivierre

Nous avons interviewé Fabrice Coudour, dirigeant de la Fédération nationale des Mines et de l’Énergie – CGT (FNME-CGT) au sujet de la grève en cours contre les privatisations dans le secteur de l’énergie.

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Crédits photo : Radio France - Isabelle Rivière

Révolution Permanente : Est-ce que tu peux te présenter et revenir sur le conflit en cours ?

Fabrice Coudour : Je suis dirigeant de la Fédération nationale des Mines et de l’Énergie – CGT (FNME-CGT), je suis salarié au sein du groupe EDF comme hydraulicien. Aujourd’hui, s’il y a un mouvement social, c’est à cause des intentions du gouvernement et de nos employeurs : un plan de transformation qui s’appellerait « Hercule », contre lequel les salariés s’étaient déjà mobilisés en 2019. Aujourd’hui ce plan est remis sur le devant de la scène par les directions et le gouvernement avec une volonté – qui existe depuis des années – d’explosion de l’entreprise EDF en plusieurs morceaux. Le point principal à retenir de ce plan, c’est l’intention de casser ce qu’il reste du service public historique dans l’électricité et le gaz au travers d’EDF comme Engie. Cette dernière est concernée par un autre plan de restructuration, le plan Clamadieu. On sent une volonté d’exploser ce qu’il reste du service public dans le dos de la population, alors qu’on aurait besoin d’avoir une vraie réflexion sur des sujets fondamentaux : réchauffement climatique, service public, etc. En pleine crise sanitaire, ce serait vraiment essentiel de se demander de quoi à besoin la population, plutôt que de répondre aux besoins de la finance.

Le plan Clamadieu, c’est potentiellement la fin de l’implication de l’État dans l’industrie gazière (Engie) et de rendre possible, à tout moment, une OPA sur cette entreprise. Il y a deux-trois groupes, comme Total, qui ont besoin de redorer leur blason et de se donner une image plus écologique, et qui sont dans les rangs pour venir prendre les parts qui achèveraient la privatisation d’Engie. Ce qu’on dénonce, c’est que l’État avait fait des annonces en disant qu’il ne se désengagerait pas ; et aujourd’hui il se désengage.

Le plan Hercule quant à lui consiste à morceler EDF : un EDF « Bleu », qui porterait le nucléaire historique et le réseau de transport d’électricité, qui devrait rester public. EDF « Vert » rassemblerait les secteurs qui rapportent de l’argent sur le long terme : c’est une manne financière. Il comporterait le distributeur, ENEDIS, qui est rentable et dont tout le monde a besoin, mais aussi les énergies renouvelables ou les Systèmes et Production Énergétiques Insulaires (Pays d’Outre-Mer et Corse). Avec Hercule, EDF « Vert » serait privatisable à hauteur de 35% immédiatement...

Pour résumer, on nationalise les pertes et on privatise les bénéfices.

Mettre dans EDF Vert les systèmes électriques de Corse et ceux des « Pays d’Outre-Mer » est un futur scandale public et un futur détournement des fonds de solidarité payés par les factures des usagers. En Corse ou dans les Pays d’Outre-Mer, jusqu’à aujourd’hui il n’existait toujours qu’un seul opérateur pour les réseaux électriques ayant la responsabilité des équilibres consommation et production. La production est assise majoritairement sur EDF. Le système en place peut s’apparenter à celui d’EDF-GDF d’avant la libéralisation du marché, cela démontre ainsi qu’il est encore possible de fonctionner de cette manière, qui est la meilleure pour les usagers. En incluant ces secteurs dans EDF Vert, cela va permettre au gouvernement d’exploser les différentes tâches, d’ouvrir à la concurrence et de réaliser davantage de profits. Or, le modèle économique qui garantit la péréquation tarifaire en Corse ou dans les Pays d’Outre-Mer est assis sur la solidarité nationale, prélevé sur la facture de tous les usagers (Une partie de la CSPE). Privatiser les unités d’EDF Système Électrique Insulaire (SEI) et Production Électrique Insulaire (PEI) revient à détourner les factures de tous les Français au profit de la finance.

Enfin, dans le plan Hercule, il y a un troisième volet, EDF « Azur », qui serait une filiale ou une entité qui concentrerait toutes les activités de production hydraulique. Soi-disant, pour le gouvernement, EDF Azur basculerait sous un contrat de quasi-régie, pour déroger à la mise en concurrence des concessions hydrauliques. Sauf qu’on ne veut rien nous dévoiler sur ce contrat, ce qui nous effraye beaucoup car on ne sait pas quelles concessions hydrauliques seraient incluses, quel périmètre ou même si tous les usages de l’eau seraient considérés. On n’accepte pas cette opacité car on ne doute pas un seul instant que ce plan va servir à faire des profits et à renforcer la notion de marché comme tout le plan Hercule d’ailleurs.

Aujourd’hui – et encore plus avec la crise sanitaire –, on voit bien que l’électricité et le gaz sont des services vitaux, des biens communs. Ce qu’il faudrait au contraire renforcer, ce sont les services publics. À la CGT, on a un programme progressiste de l’énergie, qu’on a présenté sur un site dédié. Ce programme répondrait à plusieurs problèmes dont ceux de la lutte contre le réchauffement climatique et de la solidarité énergétique. Pour le mettre en place, cela demanderait du courage politique ; alors qu’aujourd’hui le seul courage du gouvernement Macron, il est pour la finance.

En termes de conséquences pour les usagers, ces plans auraient des effets dramatiques : augmentation des tarifs, régression des services à cause de la division des systèmes en plusieurs morceaux, fin de la péréquation tarifaire – ce qui veut dire la fin du fait que tout le monde, peu importe où il habite en France, paie le même prix malgré le fait que les coûts d’acheminement soient différents. Et donc la fin aussi de la solidarité énergétique, c’est-à-dire des tarifs sociaux de l’énergie et du gaz, l’interdiction des coupures pendant l’hiver. Tout ça c’est dramatique pour les usagers, surtout quand on sait qu’aujourd’hui il y a déjà 13 millions de personnes en situation de précarité énergétique.

On a peur que les médias au service du gouvernement décrivent notre lutte comme une lutte de privilégiés d’EDF, une lutte corporatiste : ce n’est pas du tout le cas. Déjà, les acquis que nous avons, ils sont là pour une raison : l’égalité de traitement des usagers et donc le besoin que les salariés statutaires soient incorruptibles, ils reconnaissent en outre la pénibilité du travail dans des activités qui ne doivent pas avoir de ruptures. Ce sont ces mêmes salariés qui vous réalimentent après les tempêtes ou épisodes de neige, qui maitrisent la sûreté nucléaire, qui gèrent les crues dans les cours d’eau, qui sécurisent et dépannent le réseau de gaz et d’élec, qui produisent votre énergie stable et sûre 24h/24, etc. Mais surtout, il semble que les restructurations annoncées ne s’attaquent pas directement à nos acquis ; donc on est vraiment sur une bataille menée pour la défense du service public et pour les usagers.

Il y a aussi un lien à faire avec la filière énergétique et l’industrie. On voit les effets de la crise sanitaire, il faut penser indépendance énergétique, avec le confinement, il apparaît qu’on est dépendants d’énormément de choses, notamment avec le développement de la sous-traitance et de la mondialisation par le dumping social. On pourrait penser l’organisation de la production de manière plus logique et plus en proximité. On voit que nos camarades de General Electric subissent des plans de licenciements à tour de bras alors que ce sont des filières essentielles, et là on est en train de se priver de leurs emplois et de leurs compétences pour délocaliser la production à l’étranger et ce uniquement car ça coûte moins cher ailleurs : on oppose les salariés les uns aux autres pour les précariser et maximiser les profits. On détruit des emplois dont on a besoin pour le maintien et l’avenir des outils industriels énergétiques.

Révolution Permanente : Est-ce que tu peux revenir sur la grève et les actions d’aujourd’hui ?

Fabrice Coudour : Il y a eu des baisses de production d’électricité par les grévistes, presque 11 000 mégawatts à l’heure où je parle. Il y a eu des actions de blocage de sites, beaucoup d’actions d’information de la population, des rassemblements devant des permanences de députés... en tout, une centaine d’actions de ce type et autant voire plus de piquets de grève, avec des interventions sur l’outil de travail – qui nous appartient, qui appartient aux travailleurs avant d’appartenir aux actionnaires – pour démontrer notre colère. Ce n’est pas la première journée d’action, il y a en a eu aussi une le 26 novembre et une le 10 décembre. Il faut souligner l’ampleur de la mobilisation, avec un taux de grévistes qui atteint un salarié sur deux dans certains sites, voire sur d’autres sites 60%, 70%, parfois 100% de grévistes – des chiffres quasi-historiques pour nous.

Malgré ça, les organisations syndicales ne sont pas entendues. Il faut aussi préciser qu’il s’agit d’une mobilisation intersyndicale, pas seulement à l’initiative de la CGT. Il y a même des parlementaires qui nous soutiennent (la quasi intégralité de l’opposition). Malgré tout cela, il y n’y a aucune réponse de la part de nos employeurs ni du gouvernement. Macron décide tout seul. Il s’agit avant tout d’un deal entre Macron, Bruxelles, et nos PDG qui les accompagnent. C’est un coup de couteau dans le dos des salariés mais aussi de l’ensemble de la population.

Révolution Permanente : Quelle va être la suite du mouvement ?

Fabrice Coudour : C’est un mouvement en plein confinement donc on avait des doutes car beaucoup de salariés sont en télétravail, etc. Malgré cela il est très suivi, entre deux grosses dates il y a toujours eu des sites qui sont restés mobilisés, en grève reconductible. Pour les fêtes de fin d’année, tout le monde a besoin de se reposer et souffler mais il y a quand même des salariés qui se posent la question de continuer le mouvement et pourquoi pas de faire des réveillons de lutte. Ce qui est certain c’est que l’intersyndicale a l’intention de tenir unie face à cette casse organisée du service public. Il y aura des nouveaux mouvements d’ampleur dès la rentrée 2021.

L’électricité est essentielle au quotidien, pour la communication, le sanitaire, l’industrie ; il y a de la détermination à préserver ce secteur comme service public. Donc je suis sûr qu’il y aura des suites, d’autant plus qu’il y a tellement de colère... c’est une tendance générale, avec tout ce qu’il se passe, la Loi de sécurité globale, etc. : on voit bien que les gens sont en colère. On essaye de nous museler et de nous victimiser avec les effets de la crise sanitaire et économique. EDF est à l’image de la société et les salariés sont en colère contre ce gouvernement et son mépris.

 
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