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17 de décembre de 2020 Twitter Faceboock

Islamophobie
"Charte des imams" : parler de racisme d’État entrainera la révocation
Anna Ky

Le gouvernement veut imposer une « charte des principes du conseil national des imams » pour mieux imposer sa conception liberticide et islamophobe des « valeurs républicaines » aux musulmans ou considérés comme tels.

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Crédits photo : AFP

Le 15 décembre, le Conseil français du culte musulman (CFCM) et le ministère de l’intérieur peaufinaient une « Charte des principes du conseil national des imams », un texte que les imams vont devoir signer et appliquer pour pouvoir pratiquer leur culte. Le non-respect de cette charte commandée par Macron au CFCM et à son ministre de l’Intérieur « entraînerait révocation des imams » avait-il déclaré le 18 novembre dernier, lors d’une rencontre qui augurait également la création d’un Conseil national des imams (CNI). Cette charte qui conditionne la possibilité pour les musulmans de pratiquer leur religion à l’adhésion d’un ensemble de règles et de rappels à la loi est un pas de plus vers l’institutionnalisation d’une islamophobie d’État, et a provoqué de nombreux remous parmi les imams et responsables d’organisations musulmanes. Médiapart, qui s’est procuré la dernière version de cette charte, la qualifie de « guide de prêt-à-penser ».

Interdiction de parler de « Racisme d’État »

La première version du texte, que Mediapart s’est également procurée, a été envoyée par le ministère de l’Intérieur au CFCM la veille de la présentation du projet de loi sur le séparatisme. Une charte qui s’inscrit dans le total prolongement de l’offensive islamophobe et réactionnaire du gouvernement. Elle s’intitulait alors « Charte des principes des musulmans de France » et avait donc pour objectif d’encadrer la pratique de l’islam bien au-delà du Conseil national des imams en construction. Si l’intitulé de la charte a été modifiée pour essayer de calmer le tollé suscité, le contenu demeure sensiblement le même.

Entre autres, des rappels à la loi sur le séparatisme qui n’ont absolument pas leur place dans un tel texte – la « neutralité de services publics » par exemple, qui est étendue et empêchera notamment les femmes voilées d’exercer certaines fonctions, est mentionnée dans la charte. Mais plus encore, la charte enjoint les musulmans pratiquants à refuser que « les lieux de culte servent à diffuser des discours politiques ou importent des conflits qui ont lieu dans d’autres parties du monde. » Une formulation floue qui sert surtout à imposer une apparente neutralité vis-à-vis de conflits armés, impliquant des pays majoritairement musulmans (la Syrie, la Palestine, certains pays d’Afrique, l’Arabie saoudite...) au sein desquels l’État français joue un rôle majeur de déstabilisation, notamment au travers de la vente d’armes ou du soutien a des gouvernements particulièrement meurtriers. Une clause de la charte qui pourrait donc avoir comme conséquence de criminaliser toutes les voix dissidentes, qui dénoncent les interventions impérialistes de la France par-delà ses frontières.

Mais plus encore, la première version du texte comportait une dénonciation du terme « islamophobie d’Etat » : « Nous rejetons fermement les campagnes diffamatoires prétendant que les musulmans de France seraient persécutés. […] L’attitude victimaire ne repousse pas la haine, elle contribue à la nourrir » . Dans cette partie de la charte, qui a par la suite été remplacée par la condamnation de celles et ceux qui dénoncent un « Racisme d’État », l’enjeu est clair : faire taire toutes les personnes et les organisations qui luttent contre un racisme structurel et la stigmatisation des musulmans. Mais comment qualifier la loi séparatisme venant entre autres empêcher les femmes voilées d’accéder à certains métiers, si ce n’est de l’islamophobie d’État ? Comment qualifier le passage à tabac de Michel Zecler ou la mort d’Adama Traoré par des policiers, agents de l’État, si ce n’est la triste illustration du racisme structurel et institutionnel ?

Dans un article de la charte intitulé « Propagande et fausses informations » on peut pourtant lire : « Nous réaffirmons solennellement que la dénonciation d’un prétendu racisme d’État ne recouvre aucune réalité en France. » Une phrase qui prouve les priorités d’un gouvernement et du vice-président du CFCM à sa botte en matière de lutte contre les « fausses informations », et s’en prend à toute la génération qui s’est indignée du racisme et des violences policières sous couvert de « lutte contre la radicalisation ».

Des sarkozystes à la manœuvre derrière cette charte islamophobe

Le gouvernement a voulu frapper vite et fort contre l’ensemble des musulmans et considérés comme tel à la suite des attentats de Nice et Conflans, notamment en dissolvant le CCIF et Baraka City, mais aussi en ordonnant de nombreuses perquisitions contre des lieux de culte musulman et en multipliant les déclarations et projets de lois racistes, islamophobes et sécuritaires. Cette Charte des imams se situe dans la continuité de cette offensive, visant à instrumentaliser l’émoi légitime suscité par des meurtres atroces pour criminaliser et mettre au pas toute une frange de la population, qui n’a rien à voir avec ces attentats. Il n’existe aucun rapport entre le fait de dénoncer un racisme d’État structurel et le meurtre de Samuel Paty.

Pour élaborer cette charte polémique demandée par Macron, Darmanin a trouvé un allié de poids en la personne de Chems-Eddine Hafiz, récemment nommé recteur de la grande mosquée de Paris et vice-président du CFCM. Ce dernier est un sarkozyste notoire et un soutien de Bouteflika en Algérie jusqu’à la dernière heure. Il serait lui-même à l’origine de l’idée d’élaborer une charte, qui n’était initialement pas à l’ordre du jour entre Macron et des représentants de la religion musulmane le 18 novembre.

Un membre du CFCM témoigne auprès des journalistes de Mediapart : « L’idée, c’était que toutes les fédérations envoient une charte et qu’on en fasse la fusion. Comme par hasard, on n’a jamais vu celle du recteur de la grande mosquée de Paris. On sait qu’il traite avec Gérald Darmanin en direct, mais on ne sait pas à quel point. »

En d’autres termes, l’intégralité du texte a été rédigée par le ministère de l’Intérieur et Chems-Eddine Harfiz, sans jamais consulter les imams, les gestionnaires de lieux de cultes et autres représentants des musulmans pratiquants. Beaucoup d’imams qui vont devoir choisir de signer ou non ce texte, au risque de se voir révoquer s’ils refusent de l’appliquer, ont l’intime conviction que la stratégie de la macronie est de produire un texte tellement polémique, approfondissant conséquemment l’ingérence d’État dans l’organisation du culte musulman, qu’il permettra à terme de faire le tri entre ceux qui acceptent de se soumettre aux directives du gouvernement et ceux qui les dénoncent.

Un collectif réunissant une centaine de mosquées en France, constitué après la perquisition de la Mosquée Omar à Paris le 2 octobre, dénonçaient déjà « les discours politiques hostiles aux musulmans qui atteignent des niveaux jamais vus dans la discrimination et la stigmatisation ». Et de dénoncer également : « Il y a des milliers d’écoles catholiques sous-contrat en France, très peu de musulmanes, alors qu’il y a 6 ou 7 millions de musulmans dans notre pays. Est-ce normal ? » Ce même collectif élabore aujourd’hui une charte alternative au texte imposé par la macronie, mais le gouvernement fait la sourde-oreille.

Il est indispensable aujourd’hui de dénoncer cette nouvelle attaque islamophobe, dans la continuité de la dissolution d’organisations de défense des droits des musulmans, et de la loi sur les séparatismes. En s’attaquant ouvertement à liberté de culte et en ciblant spécifiquement les musulmans ou désignés comme tels, le gouvernement ouvre la brèche pour s’attaquer par la suite beaucoup plus amplement à d’autres franges de notre camp social et dissoudre un ensemble d’autres organisations.

Comme le pointe une tribune d’organisations de jeunesse dénonçant l’islamophobie récemment publiée : « Cette islamophobie décomplexée des institutions tend à légitimer des agressions récurrentes à l’encontre de personnes musulmanes ou considérées comme telles comme à Paris, au pied de la tour Eiffel, ou à Avignon. Ces attaques sont nombreuses, graves et ne connaissent qu’une médiatisation limitée, quand des rédactions préfèrent renouveler leur confiance à des éditorialistes déjà condamné-es pour incitation à la haine raciale. Dans ces médias, comme dans les institutions, une conception exclusive de la laïcité est aujourd’hui brandie comme levier de l’islamophobie. Ainsi, on sape les possibilités d’expression et d’organisation des musulman-es, on les suspecte, on les accuse et on les stigmatise. »

 
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