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La Izquierda Diario
30 de décembre de 2020 Twitter Faceboock

Victoire historique
Légalisation de l’avortement en Argentine : entretien avec la militante féministe Andrea d’Atri
Andrea D’Atri

Ce mercredi 30 décembre, le Sénat argentin a adopté la loi autorisant l’accès à l’avortement, après une lutte énorme et exemplaire du mouvement des femmes. Dans ce contexte, nous interviewons la féministe Andrea d’Atri, fondatrice du collectif Pan y Rosas en Argentine et membre de la direction du PTS.

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Révolution Permanente : Peux-tu nous en dire plus sur la loi sur laquelle le Sénat s’est prononcé hier ? Pourquoi l’exécutif a-t-il décidé d’examiner la loi maintenant et de manière aussi serrée ?

Andrea D’Atri : Au petit matin du 30 décembre, le Sénat argentin a ratifié la légalisation de l’avortement, qui avait déjà été adoptée en première lecture la semaine précédente à la Chambre des députés. Il s’agit d’un projet du pouvoir exécutif qui a été envoyé dans les derniers jours de l’année en session extraordinaire avec un autre paquet de lois, qui portent sur une réforme des retraites qui affectera notamment une allocation du gouvernement, l’allocation universelle pour enfant, qui concerne les femmes qui sont mères en situation de pauvreté.

Cette mesure austéritaire, demandée par le FMI, a donc été examinée en même temps que le droit à l’avortement qui était une demande très puissante en Argentine, portée par le mouvement des femmes qui se bat pour ce droit depuis des décennies.

RP : On parle depuis longtemps d’une nouvelle vague féministe, et d’une marée verte. Que signifie cette victoire en Argentine pour le mouvement des femmes à l’échelle internationale ? Comment peut-elle avoir un impact sur les pays qui luttent encore pour ce droit, comme la Pologne ou le reste de l’Amérique latine ?

Andrea D’Atri : La lutte pour le droit à l’avortement en Argentine existe depuis de nombreuses années. Avant la dictature militaire et après. Mais on a connu un saut en 2015 avec l’émergence du mouvement Ni Una Menos, où la Campagne nationale pour le droit à l’avortement qui proclame que la mort par avortement clandestin est aussi une violence, et que l’État est responsable de féminicides en refusant de légaliser l’avortement. En 2018, le mouvement est devenu encore plus massif lorsque le projet de légalisation de l’avortement est arrivé pour la première fois au Congrès.

La Campagne nationale pour le droit à l’avortement a présenté le projet pendant de nombreuses années, un projet propre, collectif, créé par le mouvement des femmes. Il n’a jamais été examiné avant 2018. Puis, cette opportunité a étendu la lutte à de nouveaux secteurs et une nouvelle génération de jeunes a constitué ce que l’on a appelé la « marée verte ». Cela a été d’une grande importance au niveau international, surtout dans les pays d’Amérique latine où la légalisation de l’avortement est encore en attente.

Nous pensons que dans ce sens, tant les mobilisations en Pologne qui résistent au recul des droits déjà conquis, que cette vague verte qui de l’Argentine s’est étendue à d’autres pays, sont un exemple pour conquérir non seulement le droit à l’avortement mais pour avancer dans la construction d’un mouvement féministe plus radical lié à la lutte et à la mobilisation dans les rues et qui prend sa force auprès des jeunes femmes, des femmes en situation de précarité, des femmes travailleuses dans une situation de plus grande précarité.

RP : Quelles sont les perspectives et les prochaines luttes du mouvement féministe en Argentine ?

Andrea D’Atri : Les perspectives sont maintenant d’aller vers la séparation de l’Église et de l’État. En Argentine, la constitution nationale établit que l’État argentin soutient le culte catholique. En plus d’être une formalité, cela a ses aspects politiques et économiques, comme le fait que les décrets de la dictature militaire génocidaire de 1976 sont toujours en vigueur. Ils établissent notamment que l’État a l’obligation de donner une rétribution monétaire aux évêques, archevêques, prêtres et séminaristes, qui est inclue dans le budget de l’État voté par le Congrès chaque année.

En plus de cela, l’Église bénéficie d’exonérations fiscales sur ses propriétés. L’État lui a offert de nombreuses propriétés et d’autres avantages économiques et politiques qui font en sorte que l’Église catholique soit privilégiée par rapport aux autres religions, même si la liberté de culte existe en Argentine.

Nous pensons qu’il est important que le mouvement qui a conquis le droit à l’avortement après une longue lutte se fixe également l’objectif de concrétiser la séparation de l’Église et de l’État qui, depuis 1789 en France, est toujours une dette impayée des démocraties bourgeoises dans des pays comme l’Argentine.

RP : Dans cette lutte, que défend Pan y Rosas et comment interviennent ses militantes ?

Andrea D’Atri : Pan y Rosas est né en 2003 en Argentine suite à la reprise de cette lutte pour le droit à l’avortement. En 2003, lors d’une Rencontre Nationale des Femmes [1], un secteur de cette rencontre a soulevé la nécessité d’établir un plan national de lutte pour le droit à l’avortement, réunissant des organisations et des militantes de différents secteurs, ce qui a été comme le décollage initial qui a ensuite formé la Campagne Nationale pour le Droit à l’Avortement [2], qui est une coalition d’organisations et de militantes.

Lors de cette réunion, les militantes du PTS - Parti des Travailleurs Socialistes [3] se sont unies à d’autres jeunes femmes indépendantes pour soulever la nécessité de lutter pour le droit à l’avortement, pour les droits des travailleuses et contre toutes les formes de violence, dans une perspective qui prenne en compte la question de l’oppression de genre mais aussi l’exploitation.

Cette graine qui a émergé lors de cette Rencontre entre un noyau de militantes trotskistes et de camarades issues de différents courants du féminisme, indépendants du PTS, s’est consolidée dans ce qui a été le premier collectif Pan Y Rosas avec 30 camarades. Aujourd’hui, il est devenu un mouvement qui non seulement rassemble plus de 3000 femmes en Argentine, mais s’est également étendu à d’autres pays du monde, comme la France, l’État espagnol, l’Allemagne, l’Italie, le Mexique, le Venezuela, le Brésil, l’Uruguay, la Bolivie, le Costa Rica et le Pérou, et nous commençons à construire Bread and Roses aux États-Unis.

Nous nous battons pour une société sans exploitation ni oppression d’aucune sorte, mais en même temps nous cherchons à arracher à ce régime social capitaliste, à ces démocraties dégradées (la seule chose que le capitalisme est capable d’offrir) autant de droits que possible qui nous permettent de vivre une vie meilleure dans les limites imposées par l’exploitation et l’oppression.

Nous faisons partie et nous sommes en première ligne de ces luttes pour conquérir ces droits élémentaires, ces droits démocratiques, ces droits fondamentaux à décider de notre corps et de notre vie, pour éviter la mort par des avortements clandestins et dangereux. Mais en même temps, nous pensons que ces luttes, comme le montre la Marée verte en Argentine, ne se limitent pas à la seule réalisation d’une loi. Nous pensons que c’est un grand pas et une conquête historique, mais en même temps nous sommes satisfaites de voir que le mouvement ne se termine pas seulement par l’obtention d’une loi, mais qu’il a également généré l’émergence de nouvelles générations de jeunes femmes, de lycéennes et étudiantes, de travailleuses, de secteurs très précaires, de travailleuses ménagères, d’ouvrières, qui ont retrouvé leur estime de soi avec ce mouvement. Elles ont senti que pour la première fois, elles pouvaient dire ce qu’elles ressentaient, ce qu’elles voulaient, elles pouvaient décider d’elles-mêmes.

Cela a réveillé l’énergie de ce mouvement de femmes qui, selon nous, sont devenues un exemple non seulement pour d’autres mouvements féministes dans d’autres pays du monde mais aussi pour d’autres secteurs de travailleurs et de travailleuses, des femmes qui luttent pour la terre et le logement, des femmes qui se battent pour de meilleures conditions de travail, des infirmières qui se battent actuellement pour les salaires et les conditions dans lesquelles elles travaillent dans cette pandémie.

Nous avons obtenu une loi, mais nous parions sur la généralisation de cette force de lutte et de cette conviction que les mères de la Plaza de Mayo [4] nous ont appris : le seul combat perdu est celui qui est abandonné, et la ténacité et la persistance de ce mouvement de femmes qui a conquis cette loi montrent que ceux et celles qui se battent ne perdent jamais.

Notes :

[1] La Rencontre nationale des femmes est une rencontre de trois jours de débats sur les luttes et les perspectives féministes qui a lieu chaque année en Argentine depuis 1986

[2] Campagne nationale pour le droit à l’avortement : coalition d’organisation portée par des groupes féministes et du mouvement des femmes, ainsi que par des femmes appartenant à des mouvements politiques et sociaux. Elle compte actuellement 305 groupes, organisations et personnalités liées aux organismes des droits de l’homme, issues des milieux universitaires et scientifiques, des travailleurs de la santé, des syndicats et de divers mouvements sociaux et culturels, notamment des réseaux d’éducation, des organisations de chômeuses, des usines récupérées, des groupes d’étudiants, etc.

[3] Le PTS est une organisation trotskyste argentine.

[4] Les mères de la place de Mai sont les mères des militants disparus lors de la dernière dictature militaire Celles-ci se sont organisées pour exiger des nouvelles de leurs enfants en tournant autour de la place située à Buenos Aires, tous les jeudis à 15h30, jusqu’à aujourd’hui, avec un foulard blanc sur la tête qui représente les couches de leurs enfants.

 
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