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20 de janvier de 2021 Twitter Faceboock

Avoir 20 ans en 2021
Vague de suicides dans la jeunesse. Précarité, isolement et pression scolaire, quand le capitalisme nous pousse à bout
Nathan Deas

Facs fermées, licenciements, précarité, isolement, concurrence et évaluation permanente au milieu d’une pandémie : la jeunesse étudiante est depuis plus d’un an en grande détresse. Quasiment devenues quotidiennes, les tentatives de suicide d’étudiants témoignent de l’effroyable situation de la jeunesse dans un système capitaliste à bout de souffle.

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Rien que la semaine dernière, quatre étudiants ont tenté de mettre fin à leur jour et deux se sont suicidés. Loin d’être des exceptions ces terribles évènements et leur multiplication ne sont au contraire que l’un des symptômes d’une jeunesse écrasée par un système néolibéral violent et pourrissant, et ce d’autant plus alors que la situation s’est dégradée avec la pandémie et l’incurie de la stratégie sanitaire mise en place par le gouvernement. Alors que la jeunesse est, en cumulé, confinée et coupée de toute vie sociale depuis près d’un an le nombres de personnes dans un état dépressif a augmenté de plus de 16 points chez les 18-24 ans et de plus de 15 points chez les 25-34 ans selon une étude de Santé Publique France. Un rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale conclue même que 50% des étudiants sont inquiets pour leur santé mentale. Faisant ainsi de la santé mentale des jeunes un problème de santé publique national.

Précarité grandissante et vies de misères

La précarité n’est pas une donne nouvelle pour la jeunesse, il y a un près d’un an la tentative d’immolation d’Anas nous le rappelait déjà amèrement. Le Covid-19, les confinements et couvre-feux sont venus exacerber une situation qui était déjà dramatique pour la jeunesse. Les 18-25 ans sont le secteur de la population vivant le plus sous le seuil de pauvreté, la moitié d’entre eux sont forcés de travailler pendant leurs études pour subvenir à leurs besoins primaires. Travailleurs au black, travailleurs précaires, auto-entrepreneurs, la jeunesse forme un réservoir de travailleurs, bon marché et sans sécurité de l’emploi, et une armée de réserve pour les patrons, quand il est normalisé que vie étudiante rime avec fins de mois difficiles et pâtes dans le placard. Alors que la crise économique s’intensifie, les emplois jeunes sont les premiers à sauter. Pour les capitalistes, ces salariés très faciles à mettre à la porte (il suffit de ne pas renouveler leurs contrats – quand ils en ont un) constituent une réelle variable d’ajustement dans les périodes de crise. En ce sens les chiffres actuels sont catastrophiques pour la jeunesse, près d’un jeune sur cinq a été mis au chômage, plus de 20% vivent sous le seuil de pauvreté et près de 74% déclarent avoir été en difficulté financière ces derniers mois.

Si pour les générations précédentes cette situation était provisoire et se terminait avec l’obtention d’un diplôme, des décennies de contre-réformes libérales ont accentué la concurrence à l’entrée du marché de travail et le chômage des jeunes, promettant une précarité étendue tout au long de la vie. La crise économique que nous traversons vient davantage encore concrétiser un avenir de misère. Selon le ministère du travail, et plus exactement les chiffres de la Dares, il y a eu dans la période allant de mars 2020 à janvier 2021 d’ores et déjà 763 PSE et près de 80 000 ruptures de contrats envisagées. A cela il faut ajouter l’énorme plan de licenciement déguisé que représentent les contrats non-renouvelés d’intérimaires et CDD, en plus des 5800 procédures de « licenciements collectifs pour motif économique » hors PSE ( pour les boîtes de moins de 50 salariés). A un présent de misère, s’ajoute donc un avenir sans perspective pour une jeunesse de plus en promise à un chômage de masse et à la misère généralisée. Une réalité face à laquelle les diplômes ne semblent plus pouvoir jouer un rôle de pare-feu. Un sondage de la Fédération Syntec Conseil montre ainsi que le taux d’emploi des bac+5 sortis de formation cet été a considérablement chuté par rapport aux années précédentes du fait de la crise. Ce sont près de la moitié des jeunes diplômés bac +5 qui sont actuellement au chômage à la sortie de leurs études.

Facs fermées depuis près d’un an : isolement, décrochage et pression scolaire

Le 12 mars dernier, Emmanuel Macron annonçait lors d’une allocution télévisée la fermeture et ce « jusqu’à nouvel ordre » des écoles, collèges, lycées et universités. 2, 7 millions d’étudiants du supérieur étaient alors priés d’étudier depuis chez eux. Si les institutions du primaire et du secondaire ont depuis rouvert leurs portes, pour les étudiants, hormis une parenthèse de quelques semaines, les facs sont restées hermétiquement closes et avec elles les possibilités de rencontres amicales ou amoureuses, de loisirs et d’épanouissement. Depuis des mois, la vie étudiante est réduite à son strict minimum et se concrétise par un rythme de vie ascétique : « visio-dodo ».

Sur le plan universitaire et pédagogique, le coronavirus transforme également le quotidien des étudiants, la norme est à la mise en place de la « continuité pédagogique » mais surtout de l’évaluation, à tout prix. Quand bien même, les situations de décrochage se multiplient à mesure que la perte de sens d’études solitaires et exclusivement à distance se fait chaque jour un peu plus ressentir et que la détresse se généralise, pour le gouvernement et les directions d’universités il faut évaluer, sélectionner. Cette injonction à l’évaluation dans des conditions pédagogiques désastreuses qui l’année dernière, en plein confinement, avait déjà engendré des phénomènes d’insubordination a fait naître en ce début d’année, des mouvements locaux de blocage des universités notamment à la Sorbonne, à l’UPEC (Université de Créteil) ou encore dans la filière de médecine de l’Université de Paris pour empêcher la tenue des examens. A l’origine de ces mouvements étudiants encore embryonnaires, se dessine une colère grandissante face au mépris d’un gouvernement et de directions d’universités qui après des mois de cours en distanciel ne daignent rouvrir les campus que pour les examens.

Dans la droite lignée des réformes connues à l’université ces dernières années qui ont concrétisé comme modèle gagnant la privatisation et l’élitisation contre l’idée d’une université ouverte à tous, les universités auront fait la démonstration, que même en temps de pandémie et de situation exceptionnelle, elles étaient incapables de changer leur logiciel. A contrario, alors que le marché du travail se contracte et que les licenciements se multiplient, il faut pour l’université dans le capitalisme intensifier l’accomplissement de sa fonction, et donc continuer de reproduire la main d’œuvre et de réaliser sa hiérarchisation en accomplissant la sélection. La conséquence étant l’accroissement de la concurrence et de la pression scolaire dès lors qu’il n’y a pour les capitalistes aucun intérêt à former des professionnels, en situation de crise économique, qui n’auront de place sur le marché du travail. C’est ce qui s’exprime aujourd’hui, en pleine pandémie, les évaluations doivent être maintenues pour un marché du travail toujours plus concurrentiel, pour sélectionner les entrées en master, et continuer la sélection.

Dans cette réalité concurrentielle de l’université se trouve l’expression d’une violence qui saisit la jeunesse, qui bien loin d’être causée par la conjoncture ou l’accumulation de « problèmes individuels » est au contraire bien celle d’un système, le capitalisme, qui détruit les vies et ce d’autant plus que son propre pourrissement se concrétise, incapable d’assurer la reproduction et la vie de ceux qui constituent ou constitueront la force de travail dont il a besoin. Apparaît ainsi l’impossibilité de se construire en bonne santé mentale pour toute une génération : aux conditions économiques difficiles dans lesquelles vivent bon nombre de jeunes, s’ajoute l’idéologie néolibérale qui place sur un piédestal la valeur du travail, naturalise la compétition entre tous, et fait des autres un perpétuel et dangereux concurrent pour chacun, nous condamnant à vivre la souffrance d’un tel mode de vie dans l’isolement le plus total. Une réalité que le coronavirus vient mettre sous le feu des projecteurs et accroître, quand à la concurrence s’ajoute la solitude et un avenir bouché par la contraction du marché du travail.

Transformer la détresse en rage

La crise sanitaire a donc considérablement aggravé les conditions de vies, d’études et de travail des étudiants. Conscient du risque social que représente cette situation, le gouvernement a tenté à sa façon de faire du chômage une priorité, en présentant face au chômage grandissant des mesures de façades avec la subvention des entreprises qui embauchent des jeunes avec des contrats précaires et en développant une pauvre plateforme « 1 jeune 1 solution ». A la précarité le gouvernement n’a répondu que par une allocation de 150 euros (soit 12,50 euros par mois sur un an) pour les boursiers. Loin de répondre à l’instabilité dans la jeunesse, la situation a accouché d’un scénario dramatique : l’explosion des phénomènes de dépression et d’une vague de suicides dans la jeunesse. Dans les témoignages les éléments qui ressortent le plus sur la cause de ce mal-être sont l’isolement, la précarité, la peur de l’échec scolaire, le décrochage ainsi que l’angoisse sur l’avenir et donc la combinaison d’une part de la fermeture des universités et le maintien de ses logiques concurrentielles et d’autre part de la contraction du marché du travail qui à son tour entérine la pression scolaire en amenuisant les perspectives futures et en les soumettant à des portefeuilles de qualification ayant en permanence besoin d’être enrichis.

Au regard de la situation dramatique dans laquelle est plongée la jeunesse il s’agit d’imposer un certain nombre de mesures d’urgences. A l’université, la réouverture en urgence est la seule solution pour remédier à l’isolement et l’absence de liens sociaux. Celle-ci ne peut être envisagée que sous conditions, alors que le Covid a révélé le problème structurel du manque de moyens dans les universités, la réouverture est par conséquent indexée à des embauches massives, à la réquisition de nouvelles infrastructures et à la mise en place d’un dispositif sanitaire autonome du gouvernement. Des protocoles sanitaires conséquents doivent en ce sens être pensés collectivement par les personnels, étudiants et professeurs, à l’image de ce qu’avaient fait les enseignants du secondaire dans de nombreux établissements d’Ile-de-France à la Toussaint. De plus, ces dernières semaines, la détresse étudiante s’est particulièrement exprimée autour de la question des partiels.

Pour stopper l’hémorragie d’une jeunesse étudiante au bord du burn-out, il faut mettre un terme à la sélection en imposant la validation automatique de l’année pour tous les étudiants. Enfin, avec la crise et les pertes d’emplois et de revenus se développent la misère étudiante et la faim, dans des logements exigus et souvent insalubres. Or, les étudiants, n’ont droit ni aux allocations chômage après avoir perdus leurs emplois, ni au chômage partiel car la plupart du temps ils ont des contrats précaires qui prennent fin dès que les activités s’arrêtent ou ralentissent. Il faut donc un revenu étudiant à la hauteur du SMIC en urgence, et l’augmentation des aides sociales pour les plus précaires.

Alors que la colère étudiante commence à s’exprimer, et que de premiers rassemblements sont appelés localement le mercredi 20 janvier, il nous faut construire la mobilisation pour que dès le 26 janvier, celle-ci s’étende à toutes les universités. Mais ce programme nous ne pourrons en réalité l’imposer qu’en posant la perspective d’une lutte d’ensemble des jeunes aux côtés des travailleurs qui se battent actuellement pour leur survie. Partout, les travailleurs sont menacés de licenciement, il est en ce sens central de faire la jonction avec les luttes ouvrières, comme à Grandpuits où les grévistes rentrent dans leur troisième semaine de conflit, parce que ce sont les futurs emplois de la jeunesse qui sont menacés. En ce sens la jeunesse doit également s’emparer d’une revendication centrale des salariés actuellement en lutte, à savoir, l’interdiction des licenciements. Mais aussi parce que si nous voulons imposer ces mesures, il faut aller chercher l’argent où il existe : dans les profits faramineux du patronat. Et que c’est seulement aux côtés des travailleurs qui sont en capacité de bloquer la production que nous pourrons imposer un rapport de force à même de nous faire gagner.

 
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