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La Izquierda Diario
27 de janvier de 2021 Twitter Faceboock

Débat QG
Renverser Total ? A. Cornet et A. Deneault sur les multinationales, l’écologie et les luttes ouvrières
Paul Morao

Adrien Cornet, raffineur en lutte de la CGT Grandpuits, et Alain Deneault, philosophe et essayiste, étaient reçus ce mardi par Aude Lancelin. Dans l’échange, le gréviste et le philosophe sont revenus sur des questions larges et passionnantes : le poids des multinationales, le lien entre luttes ouvrières et luttes écologiques, la stratégie de greenwashing des grandes entreprises ou encore la nécessité de renverser le capitalisme.

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L’émission complète est à retrouver sur QG

Depuis bientôt quatre semaines, les ouvriers de la raffinerie de Grandpuits sont en grève contre le plan de Total qui prévoit 700 suppressions d’emplois dans le cadre du plan de reconversion du site. Une lutte très déterminée qui démontre non seulement qu’il est possible de lutter pour l’emploi, mais qui soulève également de nombreuses questions politiques et stratégiques.

Dans ce cadre, Adrien Cornet de la CGT Grandpuits était l’invité ce mardi de Aude Lancelin aux côtés du philosophe et essayiste Alain Deneault pour une émission intitulée « Total : greenwashing, mensonges et plans sociaux ». Après être revenu sur la situation à la raffinerie de Grandpuits où la grève se poursuit, l’émission a notamment porté sur la puissance des multinationales, le greenwashing ou encore le lien entre écologie et classes populaires.

Des multinationales toutes puissantes ?

Dans la continuité des conclusions de son ouvrage « De quoi Total est-elle la somme », mais également de ses réflexions plus générales sur la souveraineté des multinationales, Alain Deneault a insisté lors de l’échange sur la spécificité de ces entreprises géantes. « Total n’est pas une entreprise française. Les multinationales ne sont pas circonscrites par des pays. C’est le problème auquel on est confrontés, surtout pour des ouvriers et ouvrières qui en sont réduits à souhaiter que l’Etat intervienne. (…) Ces groupes ne doivent rien à un quelconque Etat. C’est une entité qui se pense d’emblée sur un mode mondial et actionnarial. » a notamment pointé le philosophe.

Rebondissant sur cette analyse qui semble suggérer une autonomie des multinationales vis-à-vis des Etats, Adrien Cornet a quant à lui souligné les liens étroits existants entre Total et l’Etat français. « Je pense qu’effectivement c’est une multinationale qui appartient à des actionnaires étrangers, mais malgré tout il apparaît que Total est très liée à l’Etat français. On a vu par exemple Patrick Pouyanné appeler publiquement l’armée française à intervenir au Mozambique pour protéger ses intérêts. On a vu en 2010 quand les raffineries se sont mises en grève, 17 cars de CRS arriver à Grandpuits pour imposer la réquisition. De ma petite expérience de raffineur, depuis 2009 j’ai vu comment l’Etat pouvait être lié à Total même si tous les actionnaires ne sont pas français. » a-t-il noté, suggérant un entrelacement toujours actuel entre les intérêts de Total et ceux de l’Etat français.

De quoi interroger le constat de Alain Deneault pour qui « Total reste une entreprise multinationale, indépendante de tout Etat et de ses actionnaires » et qui considère qu’« il y a quelque chose de scandaleux à voir la France autant soutenir Total alors que Total est aussi peu française. » Pour Adrien Cornet, la dimension internationale de Total ne saurait cependant se résoudre par un souverainisme, qui tirerait du constat de l’autonomie relative de Total la nécessité de la remettre sous le « contrôle » d’un Etat « national ». Evoquant le projet de pipeline de Total en Ouganda, le militant syndical a ainsi affirmé : « « A la CGT Grandpuits on est clairement opposés à toute forme d’impérialisme qu’il soit étatique ou privé. Nos intérêts et ceux des travailleurs ougandais sont les mêmes. C’est pour ça que souvent on voudrait dire que les raffineurs doivent rester en France parce qu’elles doivent rester françaises pour assurer la « souveraineté de l’Etat français ». Mais nous clairement on ne se bat pas pour la souveraineté de l’Etat français. On se bat d’une part parce qu’on est attaqué en tant que travailleurs. Et la deuxième chose c’est qu’on est conscients que délocaliser les raffineries dans d’autres pays où les lois sont plus laxistes ça aggrave la pollution et les conditions de travail des travailleurs de ces usines-là. »

Un débat très riche, qui permet d’interroger l’opposition entre « souveraineté nationale » et pouvoir des multinationales au prisme de l’imbrication des intérêts des grandes entreprises et des Etats, mais aussi de la solidarité et des intérêts de classe, qui sont également internationaux. Par-delà cet enjeu du pouvoir des multinationales, la question de l’écologie et du greenwashing a également été longuement abordée.

Le greenwashing, une stratégie à part entière pour les multinationales

De fait, l’argument écologique est au cœur non seulement du projet de conversion de la raffinerie de Grandpuits, mais plus généralement de la stratégie de Total qui entend ainsi se distinguer des supermajor américaines. Evidemment, en privé, la multinationale ne cache pas vraiment ses intentions. Interrogée par Aude Lancelin sur le plan de conversion du site, Adrien Cornet raconte : « Le fake c’est que les barils qui ne vont pas être produits à Grandpuits vont l’être dans d’autres pays où il n’y a pas de syndicats, pas de CHSCT. C’est d’ailleurs ce que dit Total sous PV en CSE : les normes sociales et environnementales sont trop hautes et ça réduit nos marges. Et d’ailleurs en parallèle de cette fermeture de la raffinerie de Grandpuits, on a un projet de pipeline monstrueux en Ouganda qui déplace des populations entières. »

Pour Alain Deneault le discours de greenwashing affiché est devenu une stratégie à part entière pour les multinationales. L’essayiste, auteur d’une somme sur Total identifie ainsi « trois grandes périodes » dans le discours des dirigeants de Total ces vingt dernières années. « Il y a eu une période où on voyait les représentants de Total afficher leur vrai visage, lors qu’il y a eu la marée noire provoquée par l’Erika ou l’incendie d’une usine chimique à Toulouse [AZF]. On a vu une firme afficher son indifférence et lutter sur le terrain de la procédure. » Par la suite, la firme a travaillé sa communication autour d’un motif central : « ce que fait Total est légal ». Et de s’interroger : « Qu’est-ce que ça veut dire agir légalement quand on est une multinationale ? C’est choisir une législation selon ce qu’on a dessein de faire » comme le fait Total en menant diverses activités scandaleuses dans des pays où elles sont formellement autorisées. Finalement, « le discours de Total depuis l’accord de Paris c’est pratiquement la firme militante, qui devient la solution aux problèmes du climat, qui devient la solution aux défis du XXIème siècle. » Au travers des agro-carburants, de l’énergie solaire, etc… la firme agit « comme s’il s’agissait de militer politiquement, comme s’il s’agissait d’être écologiste et même de lutter contre les inégalités sociales. » Un discours qui cache évidemment des pratiques bien différentes, comme l’incarne l’exemple de Grandpuits.

Or, cette écologie du capital est évidemment une impasse. « Il ne faut pas croire que les ouvriers ne réfléchissent pas ou ne veulent pas changer de modèle. En réalité, l’Etat et les grandes entreprises ne veulent pas changer de modèle. Comme le disait Alain Deneault, il y a une volonté d’assurer ses profits, d’assurer les dividendes aux actionnaires et donc de ne pas sortir du système capitaliste. C’est pour ça qu’il y a même des écolos plutôt softs qui aujourd’hui parlent du besoin d’une révolution pour sortir du capitalisme et sauver l’environnement ! ».

Or, précisément, à cette impasse de l’écologie des multinationales semble tendanciellement répondre une écologie qui se préoccupe des enjeux sociaux quand elle n’est pas portée directement par les exploités.

Ecologie, capitalisme : quelle stratégie pour changer le système ?

En 2018 le mouvement des Gilets jaunes a constitué un moment historique de lutte de classe dont le point de départ était « l’instauration de la taxe carbone, c’est-à-dire une opération de greenwashing » rappelle Aude Lancelin. Or, pour la journaliste « on a assisté au cours du mouvement des Gilets jaunes à une conscientisation écologique croissante des classes populaires. Et on a pu voir ainsi que le souci écologique était loin d’être limité au bloc bourgeois. »

« Le pouvoir privé des multinationales est essentiellement pervers. Il joue sur deux tableaux. D’abord en récusant toute responsabilité sur la situation actuelle en faisant reposer la responsabilité sur le marché, sur la « demande » (…). Et en même temps ce marché là il est impératif pour les gens, on a contraint les gens à évoluer dans ce marché-là, on a rendu captifs les gens du pétrole ! (…) L’heure est venue de penser comment réorganiser le monde avant qu’il ne soit invivable, or ça ne passera pas par le marché et par des gens comme Total. » a ainsi noté Alain Deneault, pointant la nécessité de transformer le système.

Un constat partagé par Adrien Cornet. Revenant sur le soutien d’ONG écolos comme Greenpeace ou Les Amis de la Terre à la lutte des Grandpuits il raconte : « les Gilets jaunes nous ont réveillé dans le sens de se battre, même si dans le raffinage on avait la culture du rapport de forces on a assisté à une vraie radicalisation du combat. De leur côté, les écolos ont été percutés par l’idée qu’il fallait relier la question de la fin du mois et de la fin du monde. ». Et dans ce combat, c’est la classe ouvrière, du fait de son contrôle potentiel sur la production, qui pourrait constituer l’acteur central d’après le gréviste. « C’est ce que je dis aux écolos quand ils me demandent : « Ton discours Adrien, est-ce que c’est celui de tous les travailleurs de Grandpuits ? » Et je leur dis que non, effectivement. Les travailleurs de Grandpuits dans leur ensemble ils sont inquiets de la fin du mois, ils veulent savoir comment ils vont manger demain. Mais une fois que cette question est résolue, alors on peut parler d’environnement. Et quand on parle d’environnement on dit que nous, travailleurs ouvriers, on a la priorité de l’environnement parce qu’on se baigne dans les rivières à côté de Grandpuits, on pousse nos enfants dans les balançoires et on a des jardins à côté de Grandpuits… Et si on avait le contrôle de l’outil de travail on pourrait arrêter la raffinerie quand on a des dépassements sur les rejets air et les rejets eau. Ce que ne fait pas la direction de Total parce qu’ils ne veulent pas arrêter la machine à profit. »

Grandpuits, une lutte qui « entame le pouvoir des multinationales » à soutenir !

A l’issue de ce débat passionnant, Adrien Cornet revient sur les perspectives de la lutte. « On est déterminés à briser l’atonie médiatique. Surtout, à l’heure où on nous parle de confinement, Total déroule son plan social comme les autres entreprises. On devrait exiger l’arrêt de tout licenciement le temps du confinement, alors qu’on ne peut pas se battre. Evidemment nous on aimerait que les plans sociaux soient interdits, mais a minima ils devraient être suspendus le temps de cette crise sanitaire. En tous les cas ils ne pourront pas confiner notre colère. »

De son côté, Alain Deneault souligne l’importance du combat des grévistes à l’heure où la lutte contre les multinationales doit être centrale. « Les multinationales font flèche de tout bois. Selon les conjonctures, elles trouvent toujours un levier pour profiter plus que d’autres. (…) Les multinationales sont le problème parce qu’elles concentrent le pouvoir sur des secteurs névralgiques sans contrôle public imaginable. (…) Leur existence pose problème. Et évidemment on ne les renversera pas du jour au lendemain, mais la grève qui a lieu à Grandpuits actuellement est une des mille manières qu’il y a d’entamer leur pouvoir. »

Dans ce cadre et pour toutes les raisons soulevées dans le débat, il faut continuer à soutenir et à visibiliser la grève des travailleurs de Grandpuits.

 
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