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La Izquierda Diario
3 de février de 2021 Twitter Faceboock

"La grève aux grévistes"
Grève, auto-organisation, soutiens : la méthode Grandpuits contre les licenciements !
Paul Morao

Jeudi 21 janvier dernier, les organisations syndicales de Bridgestone acceptaient, sans avoir mené la bataille, la fermeture du site de Béthune et la suppression de 863 emplois en échange d’indemnités de départ. Les Grandpuits montrent aujourd’hui qu’une autre perspective est possible face aux plans sociaux : celle de s’opposer aux suppressions de postes et aux licenciements par la grève, l’auto-organisation et l’intransigeance sur le terrain de la lutte pour l’emploi.

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Crédit Photo : Karim Ait Adjedjou

Grandpuits : un anti-Bridgestone ?

« On n’a pas envoyé les salariés manifester dehors mais à l’intérieur, les syndicats se sont battus comme des lions pour arracher ces primes. On est sur des niveaux jamais atteints en termes de supralégale, et sans brûler un seul pneu ! ». Le 21 janvier, les propos remplis de mépris de classe de Stéphane Ducroq, avocat de l’intersyndicale (CGT, Sud Chimie, FO, CFDT, UNSA, CFTC, CFE-CGC) de Bridgestone dans La Voix du Nord concluaient plusieurs mois de tractations. La direction du site du deuxième groupe mondial de pneus se félicitait quant à elle d’un « dialogue social continu et constructif, qui permet de poser les bases d’un PSE exemplaire. »

Et pour cause, depuis l’annonce de la fermeture le 16 septembre 2020 et en dépit de la forte exposition médiatique de cette fermeture de site, les organisations syndicales de l’entreprise auront tout fait pour éteindre la moindre perspective de lutte. Symboles de cette politique, la signature dès le départ d’un accord de méthode, corsetant la marge de manœuvre des organisations syndicales dans la lutte contre le PSE, la confiance accordée au gouvernement ou encore la lugubre marche silencieuse du 4 octobre refusant les étiquettes syndicales, quitte à décourager d’autres entreprises en grève de s’y joindre, tout en laissant les écharpes tricolores prendre la tête du cortège.

Cette démarche de conciliation et le refus de lutter pour l’emploi a malheureusement été à l’image de nombreux conflits depuis le début de l’épidémie. Comme le pointait Le Monde en décembre, « les salariés, qui ont intégré la dureté de la récession, semblent tétanisés, malgré la vague de suppressions de postes. » Or contrairement à ce que laissent entendre les analystes qui verraient dans cette situation une tendance inéluctable, cette dynamique est aussi le produit de choix, celui de syndicats et de leurs directions de refuser de mener la bataille. A ce titre, si Bridgestone a pu apparaître comme un paradigme dans cette dynamique désespérante, la lutte en cours à Grandpuits montre qu’une autre voie existe. Retour sur ses caractéristiques.

Une lutte déterminée pour l’emploi

Depuis le 4 janvier, les raffineurs de Grandpuits sont en grève majoritaire et reconductible. Ils luttent contre la suppression de 700 emplois dans le cadre de l’arrêt des activités de raffinage à Grandpuits et du plan de reconversion du site. Ils dénoncent par ailleurs le greenwashing de Total, qui se cache derrière les arguments écologiques pour justifier son attaque contre l’emploi.

Depuis le début du conflit, les raffineurs ont choisi explicitement de lutter pour l’emploi. Alors que pour la multinationale il s’agit d’une ligne rouge dont elle refuse de discuter, préférant investir dans des indemnités de départ élevés que de maintenir l’emploi, les grévistes y voient un enjeu fondamental. En effet, pour les raffineurs ce sont d’abord leurs conditions de travail et de sécurité dans le futur site qui sont en jeu. « On a un plan de suppression de 200 postes chez Total et de 500 chez les sous-traitants. Cela a créé beaucoup de colère, d’autant que dans le futur projet on a des trous dans l’organigramme et dans les conditions de travail. » rapporte ainsi Adrien Cornet, délégué CGT Grandpuits.

A cette préoccupation sur les futures conditions de travail s’ajoute la préoccupation de l’avenir de la Seine-et-Marne et de la jeunesse. « C’est nos emplois à nous mais aussi tous les emplois autour. Les sous-traitants, mais aussi les emplois indirects : les petits commerces, le bar-tabac, la boulangerie. Dans les villages alentour il y a beaucoup de monde qui travaille à la raffinerie, donc on risque des fermetures de classe. On se bat pour nous mais aussi pour tout le bassin d’emploi seine-et-marnais et tout ce qu’il y a autour » explique ainsi Mathieu, raffineur et gréviste. Une préoccupation qui va à l’encontre du repli individualiste que peut générer la crise en cours, et sur laquelle s’appuie les entreprises pour diviser les grévistes.

Assemblée générale souveraine et comité de grève : l’auto-organisation au centre

Au-delà de la lutte pour l’emploi, et précisément parce que les enjeux de la lutte sont de taille, les grévistes de Grandpuits se sont très tôt organisés en assemblée générale pour que « la grève appartienne aux grévistes », un mot d’ordre devenu central pour les raffineurs mobilisés. Dès le 4 janvier, la grève reconductible a ainsi commencé de façon spontanée suite au refus de commencer les opérations de démantèlement des installations et à une AG qui a voté la grève. A l’issue de la première semaine de mobilisation, les grévistes ont finalement décidé collectivement de soumettre les décisions des organisations syndicales au vote de l’AG.

Une décision qui n’est pas sans heurter les réflexes de certains syndicalistes. Mercredi 27 janvier, un échange marquant a ainsi lieu en AG. « Ce sont les organisations syndicales qui négocient, qui signent, ce ne sont pas les salariés. C’est nous qui décidons. Depuis le début c’est ce qu’on dit. » commence par expliquer Jérôme, délégué CFDT. Un propos qui fait réagir dans l’assemblée. « C’est pas les organisations syndicales qui vont nous dire ce qu’on a à faire. Les OS c’est une aide, parce qu’ils sont là pour ça, ils ont été élus pour ça. L’outil de travail il est à nous les grévistes, c’est nous qui rapportons le pognon, alors si demain on décide de poser le cul ici, parce qu’on n’a pas ce qu’on veut, parce qu’on n’a pas d’emploi et bien on pose le cul et on reste en grève jusqu’à la fin. La grève aux grévistes c’est comme ça que ça se passe à Grandpuits et c’est comme ça que ça devrait se passer partout en France, dans tout le monde du travail. » répond Sébastien, membre du comité de grève sous les applaudissements des grévistes.

Et pour cause, le comité de grève, composés de délégués élus au sein des différentes équipes de production, incarne, avec l’assemblée générale, la volonté de donner aux grévistes le contrôle de leur lutte. En lien avec l’AG, ce comité réfléchit au quotidien le conflit, propose des actions pour rendre visible et pour élargir et étendre la grève, coordonne les soutiens. Un retour à une tradition du mouvement ouvrier qui impacte largement les syndicalistes et militants politiques venus rendre visite aux Grandpuits sur leur piquet. « A Grandpuits ils réaffirment des valeurs que certains voudraient enterrer. La fierté et la solidarité ouvrière, les comités de grève. Je suis fier de ce qu’ils font. » raconte ainsi Alexis Antonioli, délégué CGT, aux salariés de la raffinerie de Gonfreville-L’Orcher à l’occasion d’une visite des Grandpuits.

Mais le recours au comité de grève et à la souveraineté de l’assemblée générale n’a rien d’un folklore pour les Grandpuits. Depuis le départ, il a notamment permis de surmonter de nombreuses épreuves dans la grève. Outre le contrôle sur les syndicats, qui pourraient être tentés de signer des éléments sans l’accord des grévistes, c’est en AG que les travailleurs ont pu surmonter collectivement la manœuvre de Total sur les sous-traitants. Alors que Manu, un salarié de Siemo s’était rendu à l’AG pour exposer la situation au sein d’un sous-traitant que Total menaçait de renvoyer si les grévistes ne reprenaient pas le travail, l’échange en AG, rapporté par Mahdi Adi, concernant le chantage de la multinationale est éloquent concernant les vertus de l’auto-organisation :

« Une voix fuse dans l’assemblée : « c’est de la faute de la direction si on bloque les travaux ! Il y a une solution, il suffit que la direction réponde aux revendications sur l’emploi. Elle a les moyens de payer les sous-traitants ». Un autre propose que les sous-traitants puissent reprendre le travail en commençant par démonter les échafaudages désuets, plutôt qu’installer ceux pour les travaux de démantèlement. « Il n’y en a pas assez », rétorque Manu. Les débats continuent jusqu’à ce qu’un gréviste finisse par proposer : « on laisse rentrer Siemo, car il faut bien que les mecs remplissent leur frigo et on comprend leur détresse. Mais en échange on ne laisse plus aucune goutte sortir de la raffinerie ». C’est la solution qui sera retenue par l’assemblée générale. C’est le soulagement pour les sous-traitants, qui remercient unanimement les grévistes. »

Une logique d’auto-organisation qui s’étend même aux familles de grévistes. la première semaine de grève un groupe de femmes de raffineurs s’est ainsi mis en place pour échanger sur la grève et se soutenir mais aussi démarcher des commerçants du coin, approvisionner les grévistes en nourriture et organiser le soutien à leur lutte. « Notre objectif premier c’était de créer un groupe pour toute femme de gréviste qui a besoin de parler, mais aussi de participer à ce qui se passe sur le piquet, sur l’organisation, le bois. On est là pour vous, pour vous encourager. » raconte ainsi Amélie, une des initiatrices de ce projet qui incarne symboliquement la profondeur du conflit et de l’engagement des grévistes et de leurs proches.

Des soutiens nombreux et une alliance inédite avec les écolos

Le combat exemplaire des Grandpuits a généré un soutien large. Sur le piquet de grève on croise des cheminots, des anciens grévistes de la RATP qui se sont cotisés pour soutenir les Grandpuits, des travailleurs de l’énergie, de la Poste, de Monoprix, de Renault Lardy, de TUI France mais aussi des raffineurs venus de toute la France pour soutenir leurs collègues en grève. Frédéric Lordon a dédié aux grévistes une intervention poignante dont les mots résonnent encore sur le piquet où le philosophe a promis de revenir : « nous avons hautement conscience que en luttant pour vous, vous luttez aussi pour nous. Et parce que vous luttez pour nous alors nous lutterons avec vous. »

De Clémentine Autain (LFI) à Julien Bayou (EELV) en passant par Fabien Gay (PCF) et Olivier Besancenot (NPA), les politiques ont également répondu à l’appel, même si les grévistes déplorent le silence d’une grande partie du spectre politique. « Des candidates aux régionales comme Valérie Pécresse (LR) ou Audrey Pulvar (PS), et des politiques qui nous parlent d’industrie constamment comme Montebourg ont choisi d’ignorer la grève... » déplore Adrien Cornet. A ces soutiens syndicaux et politiques s’ajoute celui de la jeunesse. Sur le piquet ou en manifestation, les casques de grévistes customisés par des étudiants en art font forte impression tandis que mardi dernier les militants du NPA Jeunes ont marqué leur soutien aux grévistes en repeignant en vert le logo de la multinationale, en plus d’avoir activement participé aux collectes pour remplir la caisse de grève.

Parmi tous ces soutiens, celui des organisations écologistes a particulièrement marqué les observateurs du conflit. « À Grandpuits, syndicats et écologistes dessinent l’avenir de l’industrie » affichait ainsi en une L’Humanité la semaine dernière. Pour Cécile Marchand des Amis de la Terre soutenir les grévistes était naturel : « Ca peut paraître paradoxal que des écolos soit aux côtés des salariés sur une fermeture de raffinerie. Mais ça fait absolument sens pour nous car le plan de Total n’est ni vert ni juste. Total fait du greenwashing sur un plan social injuste ! » racontait-elle à Révolution Permanente en octobre dernier. Ennemies historiques de Total, les organisations écologistes ont d’ailleurs mis leurs connaissances au service de la grève en produisant un rapport qui met en lumière la réalité derrière les discours de l’entreprise sur le projet de reconversion de Grandpuits, dénoncé depuis des mois par les syndicalistes.

Interrogé par QG sur ce soutien, Adrien Cornet se félicite de la position des écolos. « La position de Greenpeace c’est de dire on est aux côtés de Grandpuits, même si on doit se battre pour conserver le raffinage le temps de trouver une alternative aux énergies fossiles, on se battra à leurs côtés. C’est une prise de conscience forte pour le mouvement écolo » raconte-t-il. Mais loin d’être un hasard, ces soutiens larges sont le produit d’une stratégie consciente et pensée en amont du conflit, fruit de la volonté de se tourner vers l’extérieur pour éviter absolument l’isolement d’un combat qui soulève de profonds enjeux de société. Une stratégie qui continue, puisque, à l’initiative du comité de grève, les grévistes se sont rendus ces derniers jours sur différents sites de Total (dépôt de Gennevilliers, raffinerie de Gonfreville-L’Orcher, raffinerie de Feyzin) pour y porter un appel à la grève les 3 et 4 février en soutien à leur lutte, à l’appel également de la Fédération Nationale de l’Industrie Chimique de la CGT.

La victoire n’est pas acquise, mais la méthode Grandpuits doit faire école !

Après un mois de grève, la multinationale refuse toujours pour le moment de discuter de l’emploi et pratique un chantage aux mesures sociales d’accompagnement en exigeant que les organisations syndicales approuvent le PSE sous peine de revoir à la baisse les modalités de départ des travailleurs concernés. Pour la multinationale, l’enjeu de la signature du PSE est fondamental puisqu’en l’absence de signature la DIRRECTE réaliserait un contrôle approfondi du projet de Total qui exposerait les problèmes dénoncés par les syndicats, à savoir l’impact de la nouvelle organisation du travail sur la santé et la vie des salariés, les risques psycho-sociaux et les risques de sécurité.

Dans ce cadre, la CGT et FO maintiennent une ligne intransigeante, celle de subordonner la question des MSA aux avancées sur le terrain de l’emploi, et de laisser entre les mains des grévistes et de l’AG la conduite et toute décision qui relève de l’issue du conflit. Le comité de grève et l’assemblée générale sont conscients des enjeux et restent vigilants sur le fait qu’aucune organisation syndicale ne se permette de trahir la volonté des grévistes. Un ingrédient fondamental qui montre toute la force de la « méthode Grandpuits ». Ce mardi 2 février, ceux-ci ont reconduit la grève à l’unanimité jusqu’au 11 février. Le 9 février, jour de rendu de l’avis du CSE sur le projet de réorganisation, un grand rassemblement est appelé devant la Tour Total à La Défense pour maintenir la pression contre la multinationale.

 
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