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La Izquierda Diario
11 de février de 2021 Twitter Faceboock

Epidémie
A quand la fin de la pandémie ? Le Covid-19 et l’irrationalité capitaliste
Juan Duarte
Lihuen Eugenia

Dans cet article, nous analysons les tensions et les contradictions de la situation actuelle ouverte par la pandémie, les attentes en matière de vaccins, les nouvelles souches du virus, les conditions qui favorisent les mutations, et ce qu’il faut faire pour mettre fin à la pandémie une fois pour toutes selon les recherches scientifiques et les prévisions les plus réalistes.

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Deuxième, troisième… Combien de nouvelles vagues encore ?

Les deuxième et troisième vagues désignent l’augmentation des cas de Covid-19 dans les pays et régions qui, après un pic de cas, avaient montré une certaine stabilité dans le nombre de nouvelles infections. Ces nouvelles vagues impliquent un saut avec un nombre plus élevé de cas actifs et une extension géographique plus forte, leur impact peut donc être plus important.

Revenons sur quelques exemples. Les États-Unis avaient atteint 1,8 million de cas au début du mois de juin 2020. C’est-à-dire qu’en quatre mois seulement, il y a eu un énorme bond dû à la politique négationniste de Trump. En comparaison, cette année, un million de nouveaux cas ont été comptabilisés entre le début et la dernière semaine du mois de janvier. Le Brésil, au 1er juin 2020, avait quant à lui atteint plus d’un demi-million de cas, alors qu’au cours de la dernière semaine de janvier, le nombre total de cas s’élevait déjà à 360 000. Autre exemple, l’Espagne qui, en deux mois seulement, a dépassé les 200 000 cas de contamination avec des images terrifiantes d’hôpitaux débordés en avril dernier, a comptabilisé la dernière semaine de janvier plus de 240 000 cas confirmés [1].

Si nous avons actuellement plus d’informations et d’expérience pour faire face à ces nouvelles vagues [2], le nombre d’infections est aujourd’hui bien plus important [3], tandis que les mesures sanitaires mises en œuvre sont loin d’être à la hauteur de la situation. Poursuivant la gestion désastreuse que l’on connaît depuis le début de la pandémie, les gouvernements apportent des réponses timides [4], qui visent à atténuer l’épidémie afin d’éviter la saturation des systèmes de santé, mais qui sont largement insuffisantes pour espérer éradiquer l’épidémie. A cela s’ajoute la grande dégradation du contexte économique et social que vivent les travailleurs et les classes populaires.

Pour autant, bien loin des illusions négationnistes, le virus continue de se propager et a déjà causé plus de 100 millions d’infections et 2 millions de décès dans le monde. Dans ce contexte, le principal pari des classes dirigeantes pour mettre fin au Covid-19 est de vacciner et d’atteindre l’immunité collective. Or, alors que ce besoin fondamental se heurte déjà aux intérêts privés des entreprises pharmaceutiques et aux inégalités géopolitiques – révélant l’irrationalité du capitalisme - l’émergence de nouvelles mutations et les possibilités réelles offertes par les vaccins montrent les failles stratégiques de cette approche « réductionniste ». Les conséquences peuvent être catastrophiques, voyons pourquoi.

Atténuation vs Eradication. Deux stratégies très différentes

Au début de la pandémie, l’Imperial College de Londres avait vivement critiqué la stratégie initiale d’atténuation de l’épidémie de Boris Johnson, qui visait à « aplatir la courbe » (en isolant les cas et en éloignant les personnes âgées) afin de ne pas submerger le système de santé. Les chercheurs britanniques lui opposaient une stratégie d’éradication qui chercherait à briser les chaînes de contamination (mise en quarantaine des cas et de leurs familles et mesures de confinement). Compte tenu des coûts économiques de la deuxième option, ils ont proposé de chercher un équilibre entre les exigences de la lutte contre la maladie et l’économie en alternant confinement et déconfinement, en fonction du niveau établi de lits de soins intensifs occupés, et dans l’attente d’un vaccin. Ce modèle, qui naturalise les conditions de fonctionnement de l’économie capitaliste, les rendant intouchables, et fait passer au second plan la santé de tous, a notamment servi de base à la stratégie du gouvernement argentin.

Face à cela, l’épidémiologiste Rob Wallace et son équipe ont quant à eux proposé de cibler les causes structurelles de la pandémie : « La modélisation des situations d’urgence, aussi nécessaire soit-elle, ne permet pas de savoir par où et quand commencer. Les causes structurelles font partie de l’urgence. Ces modèles nous aident à découvrir la meilleure façon de réagir au-delà du simple redémarrage de l’économie qui a produit des dégâts [...] Le principe de fonctionnement sous-jacent est que la cause du Covid-19 et des agents pathogènes similaires ne réside pas seulement dans l’objet d’un agent infectieux ou dans son évolution clinique, mais aussi dans le domaine des relations écosystémiques que le capital et d’autres causes structurelles ont occulté à leur profit. »

Ce sont ces questions structurelles qui sont effacées dans une vision centrée uniquement sur la solution médicale. Par conséquent, les spécialistes anglo-saxons ont proposé une stratégie d’éradication du virus. Celle-ci comprenait le dépistage, le traçage et l’isolement ainsi que la mise en place des ressources sanitaires et économiques nécessaires pour permettre l’arrêt total de la circulation du virus sans que les travailleurs n’en supportent les coûts, c’est-à-dire aux dépens des capitalistes. A ces mesures, s’ajoutait la socialisation des entreprises pharmaceutiques, et la nationalisation des systèmes de santé publics et privés.

Les vaccins : nécessaires et urgents mais insuffisants face au virus

Un an après le début de la pandémie, la grande majorité des gouvernements a choisi, comme objectif maximal, de ne pas laisser s’effondrer les systèmes de santé et d’« attendre » le vaccin. Ainsi, ils n’ont pas pris de mesures non pharmacologiques de base telles que la recherche des cas contacts, les tests et l’isolement efficace des cas. Une stratégie pourtant nécessaire pour couper les chaînes de contamination. L’austérité qui sévit dans les systèmes de santé publique, leur marchandisation croissante et la recherche du profit au détriment des besoins sociaux ont guidé cette décision qui nous a laissé peu d’outils efficaces pour faire face à la pandémie. Une situation toujours justifiée par le même discours néolibéral, qui met la responsabilité sur les individus alors que l’État privilégie les intérêts privés au détriment des droits sociaux.

Concernant le pari médical, nous avons aujourd’hui au moins 5 vaccins autorisés dans le monde, mais l’on assiste à une guerre et à un nationalisme des vaccins qui démontrent comment le « pari pharmacologique » se heurte à l’irrationalité capitaliste. La concurrence capitaliste conduit au gaspillage des ressources pour la production de vaccins et de traitements tandis que le système des brevets empêche la production et la distribution mondiales, urgentes et nécessaires, d’un bien financé centralement par les États mais que les compagnies pharmaceutiques se sont appropiés. Les différences géopolitiques abyssales entre les États impérialistes et riches et les États dépendants, arriérés ou pauvres font que tandis que certains monopolisent les doses plus que nécessaire, d’autres n’y ont pratiquement pas accès. La lutte pour l’annulation des brevets et l’accès aux vaccins pour le monde entier devient alors une mesure urgente et élémentaire.

Le problème devient par ailleurs encore plus grave, car la vaccination mondiale n’est peut-être pas la solution promise pour mettre fin à la pandémie. Comme l’indique un éditorial de The Lancet, « il sera important de faire savoir aux décideurs politiques et au grand public que les vaccins de première génération ne sont qu’un outil parmi d’autres dans la réponse globale de santé publique au Covid-19 et qu’il est peu probable qu’ils soient la solution définitive que beaucoup espèrent ». En effet, si les études montrent que les vaccins approuvés sont efficaces contre la maladie (immunité efficace), ils peuvent ne pas être aussi efficaces contre l’infection et la transmission asymptomatiques (immunité stérilisante), de sorte que la circulation et l’évolution du virus peuvent se poursuivre [5].

En ce sens, il est très inquiétant que le taux de vaccination soit bien inférieur au taux d’infection. À ce sujet, le virologue Paul Bieniasz met en garde : « Permettre au virus de circuler de manière incontrôlée, accumuler la diversité génétique, puis protéger incomplètement la population par des vaccins, voilà ce que l’on ferait pour générer des mutants résistants aux vaccins ». Même avec des doses complètes, la différence de rythme entre l’évolution de la vaccination mondiale et la propagation du virus crée des conditions plus que favorables à la sélection de souches plus résistantes, transmissibles ou capables d’échapper au système immunitaire.

L’évolution est en retard : nouvelles variantes du virus

Le Sars-Cov-2, responsable de la pandémie de Covid-19, est un virus à ARN qui, comme tous les virus, est en constante mutation. Bien que le taux de mutation ne soit pas aussi important que celui des autres virus à ARN (même Sars-Cov-2 possède un "vérificateur de mutation"), et que la plupart des mutations ne soient pas bénéfiques pour le virus, la propagation rapide et libre du virus dans le monde entier, la rencontre de contextes très différents (des populations aux systèmes de santé très disparates) lui a ouvert la possibilité d’évoluer dans toutes sortes d’environnements. En d’autres termes, le nombre de personnes infectées fait pencher la balance vers l’émergence de nouvelles souches plus problématiques.

Pour cette raison, Wallace souligne que « c’est un processus de sélection interdémique [ou de "groupe"] qui permet aux agents pathogènes de travailler dans un espace d’expérimentation évolutif » et propose d’introduire la notion de « multiplicité des groupes » : « Plus il y a de personnes infectées, plus le virus a de chances d’apporter des solutions à nos diverses interventions. Minimiser la propagation devrait donc aider à réduire les combinatoires évolutives sur lesquelles le virus peut tromper les scientifiques de laboratoire. »

Ce n’est pas un hasard si c’est en Angleterre, en Afrique du Sud ou au Brésil, pays où le virus a pu se propager très rapidement, que trois nouvelles souches du virus ont été détectées pour la première fois, appelées respectivement B.117, B.1.351 et P1 (une quatrième, P2, détectée à Rio de Janeiro, est en cours d’investigation). De plus, la première - déjà détectée dans au moins 70 pays et en augmentation par rapport aux souches précédentes - est au moins 50% plus transmissible et les autres semblent réduire l’immunité naturelle antérieure, voire l’immunité acquise à certains vaccins.

Qu’implique la transmissibilité accrue du virus ? Pour illustrer son propos, le mathématicien britannique Adam Kucharski a comparé une mutation du virus qui était 50 % plus mortelle avec une autre qui augmentait la transmission de 50%. Avec un taux de reproduction d’environ 1,1 et un taux de mortalité de 0,8 %, les souches actuelles de Covid-19 causent aujourd’hui 129 décès pour 10 000 infections. Selon son modèle, un virus 50 % plus meurtrier tuerait 193 personnes en un mois, tandis qu’un variant plus transmissible en tuerait 978 dans le même laps de temps. C’est pourquoi M. Kucharski et un nombre croissant d’experts parlent d’une « nouvelle pandémie » et d’une course contre la montre pour mettre en œuvre les mesures de vaccination et d’éradication du virus afin d’empêcher la propagation de nouvelles souches. Selon l’épidémiologiste Eric Feigl-Ding : « Deux pandémies dans une course contre la montre : beaucoup pensent qu’avec la chute des cas, la pandémie touche à sa fin. Mais la vérité est qu’il existe deux pandémies #SARSCoV2 divergentes : la vieille souche est en déclin, tandis que la souche #B117, plus contagieuse, domine. Nous serons bientôt très durement touchés. »

Ainsi, au Canada, qui a acheté 5 fois les vaccins nécessaires pour toute sa population, ou au Danemark, où les infections ont chuté à des niveaux significatifs, les spécialistes avertissent que sans mesures, la nouvelle souche plus transmissible fera des ravages en quelques semaines avant que les populations n’aient pu être vaccinées [6]. Et bien que les États-Unis aient financé une grande partie des vaccins les plus sophistiqués et accumulent un nombre excessif de doses, ils ne sont toujours pas en mesure de déployer une campagne de vaccination adéquate et de brutales inégalités s’expriment dans l’accès à la vaccination [7]. Ils se trouvent également en retard sur les nouvelles souches.

Si les études manquent encore pour mieux comprendre quel type d’immunité les vaccins génèrent, pendant combien de temps, et même comment fonctionne l’immunité « naturelle » que l’organisme génère contre la maladie, les nouvelles mutations ajoutent leur part d’incertitude. L’exemple de Manaus au Brésil, qui connaît une deuxième vague après un taux d’infection estimé à 76 %, remet en question la notion d’ « immunité collective » pour le Covid-19.

D’autre part, les résultats récemment publiés des vaccins Novavax et Johnson & Johnson de phase 3 montrent une efficacité élevée de 90 à 95 % contre les formes graves et légères de la maladie, mais tombent à 49-57 % en Afrique du Sud, où la souche B.1.351 circule principalement (de manière significative, le taux de réinfection de 30 % des personnes rétablies montre qu’elle affecte également l’immunité "naturelle"). Les résultats du vaccin d’AstraZeneca ont montré que, bien qu’il soit efficace à 90 % contre la maladie, ce vaccin n’offre pratiquement aucune immunité stérilisante et les réinfections sont aussi fréquentes que les infections initiales, ce qui permet au virus de continuer à muter [8].

Face à l’émergence de nouvelles lignées, l’industrie se prépare à pouvoir adapter les vaccins, mais là encore dans une course de vitesse où l’intervention vient toujours plus tard, mal répartie et avec des résultats imprévisibles. La situation qui s’est ouverte avec les nouveaux variants ne fait que mettre en évidence l’importance des interventions visant à freiner ou à supprimer la contagion, essentielles pour mettre fin à la pandémie une fois pour toutes. En ce sens, de plus en plus de spécialistes, compte tenu de la situation générale, insistent sur le fait qu’à côté de la vaccination de masse, qui est nécessaire et urgente, il faut également poursuivre les mesures préventives non pharmacologiques (que nous détaillons à la fin), pour éviter une nouvelle contagion.

Que faire : le “zéro Covid”

Face à cette situation, dans de nombreux pays, des campagnes sont menées et gagnent en visibilité, pour en finir avec une stratégie visant à atténuer l’épidémie, et plutôt en mettre en place une qui permette d’atteindre le "Zéro Covid", c’est-à-dire réduire à zéro le nombre de cas [9].

En Argentine, le gouvernement a été à l’origine de ces mesures, pariant sur une quarantaine sans aucune sorte de planification, en renforçant la coercition de l’État soutenue par un discours individualisant. Loin des tests, du dépistage et de l’isolement nécessaires, et malgré la production de tests financée par l’État, il a maintenu la capacité de test en dessous de ce qui était nécessaire, il n’a pas amélioré le système de santé en dépit de ses beaux discours, et a laissé les travailleurs de la santé faire face à l’épidémie avec des ressources minimales. Pariant sur le vaccin pour atteindre « l’immunité collective en juillet » tout en étant touché par le « nationalisme vaccinal », il refuse toujours d’exiger ouvertement la levée des brevets comme le font l’Afrique du Sud et l’Inde. Avec un niveau significatif d’infections et de décès, et alors que le gouvernement et l’opposition appellent à la réouverture des écoles sans aucun protocole ni soin, ont déjà été détectés dans le pays.

Mettre fin au Covid-19 implique une vision non réductrice et non biologique de la pandémie, qui envisage les limites des interventions pharmacologiques, les causes structurelles de l’origine, de la propagation et de l’évolution du virus, ainsi que les conséquences dynamiques et contradictoires des mesures qui sont prises et de celles qui ne le sont pas. A partir d’une épidémiologie critique, qui ne naturalise pas les structures sociales et économiques du capitalisme, il est possible d’étendre de façon importante le champ des possibles et de penser à partir de là nos revendications concernant les mesures à mettre en place pour lutter contre l’épidémie.

Wallace [10] résume les mesures nécessaires dans cette perspective :

« 1. Mettre en place une politique d’éradication du virus, comme d’autres pays, beaucoup moins riches que les États-Unis ont pu le faire en quelques mois sans vaccin.
2. Renforcer le système de santé publique à la hauteur de la situation pandémique. Augmenter la capacité des hôpitaux, les tests, le suivi des cas contacts et la distribution de vaccins et d’équipements de protection individuelle (EPI) – gratuits pour tous.
3. Suspendre le fonctionnement normal du capitalisme [11]. Les confinements ne fonctionnent pas si seuls les riches ont les moyens de rester chez eux. Payer les personnes qui ont des emplois non essentiels pour qu’elles restent à la maison. Mettre en suspens leur loyer, leur hypothèque et leurs dettes. Mettre à disposition des restaurants et des camions de nourritures financés par la municipalité. Recruter des millions d’agents pour assurer le service. Rémunérer les travailleurs essentiels, payer et fournir suffisamment d’EPI et de vaccinations [...] ;
5. Réintroduire l’agroécologie. Pour éviter que les Covid-21, -22 et -23 n’apparaissent ensuite, que ce soit sous la forme d’un autre SRAS ou de la grippe aviaire, du virus Ebola, de la peste porcine africaine ou de l’une des centaines de protopandémies possibles, nous devons mettre fin à l’agrobusiness, à l’exploitation forestière et minière tels que nous les connaissons. Nous devons recréer des écosystèmes à même d’empêcher l’évolution des agents pathogènes les plus mortels. »

Evidemment, ces mesures doivent aller de pair avec le fait de dénoncer fortement le moindre renforcement de l’appareil d’Etat et des régimes bonapartistes sous couvert de gestion sanitaire. Un aspect que cache fréquemment la célébration de la réussite des stratégies mises en place dans des pays comme la Chine, la Corée du Sud, l’Australie ou Taiwan.

 
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