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19 de février de 2021 Twitter Faceboock

Culture
U-Roy et Tonton David morts la même semaine, le reggae en deuil
Eric Bezou, ancien cheminot

Le monde du reggae vient de perdre Tonton David, décédé à 53 ans d’un AVC et son aîné jamaïcain, U-Roy qui disparaît à 78 ans et qui a influencé Tonton David. Le ska, le rocksteady, le reggae, le raggamuffin... comment une petite île des Antilles a-t-elle pu donner naissance à autant de styles musicaux et qui ont conquis la planète ?

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Crédits photos : Le Tamanoir - Pinterest

Les Antilles sont un vrai creuset de mélange des cultures. À l’arrivée des colons blancs, elles étaient habitées par les indiens Arawaks (pacifiques) et Caraïbes ou Kalinagos (plus guerriers). Les Arawaks, trop pacifiques, ont vite disparu mais il reste quelques poches de population des indiens Caraïbes, notamment en Dominique. Toujours est-il qu’une partie au moins de leur patrimoine génétique perdure dans la population antillaise avec les métissages surtout entre esclaves noirs et populations locales. Et certainement des traces de leur culture également.

D’un point de vue climatique, les Antilles représente un véritable paradis terrestre. Pas de gros prédateurs, peu d’espèces dangereuses, pas de fièvres transmises par les moustiques, une exubérance végétale avec des espèces productives et savoureuses qui ont permis à la population locale, très pauvre car exploitée par les propriétaires terriens, de se nourrir pendant des générations, en plus des apports de la mer. Cette autosuffisance alimentaire a d’ailleurs certainement contribué à la résistance des antillais face à l’oppresseur blanc. Une tradition de révolte des esclaves est également bien ancrée avec les Maroons pour les îles anglophones, et les nèg’marrons pour les Antilles françaises.

Cette diversité culturelle a débouché d’abord sur le ska, un genre découlant de la musique des blancs revisité par la population noire, très très opprimée et habitant dans des ghettos principalement à l’époque. Puis l’influence des Etats-Unis a fait évoluer le ska en rock-steady en intégrant plus de notions de blues. La proximité géographique du continent américain (on capte les radios américaines dans beaucoup d’îles antillaises), ainsi que la communauté linguistique, mais aussi les échanges de population car beaucoup de Jamaïcains allaient, et vont encore travailler au USA, ont favorisé les échanges musicaux et culturels entre les populations noires américaines et antillaises.

Puis, est arrivé le reggae dans la seconde moitié des années 60 avec le mot utilisé pour la première fois dans la chanson « Do the reggay » de Toots and the Maytals. Si le blues est né durant l’esclavage, donc transportant plutôt les plaintes et le mal-être des esclaves, surveillés dans leur expression, le reggae, moins contrôlé, a permis d’exprimer beaucoup plus de critiques, via l’influence du rastafarisme, une religion issue du christianisme adaptée par les descendants d’esclaves et qui rejette totalement la société blanche, Babylone. Il faut comprendre que ce terme fait référence au capitalisme et pas uniquement à la police, comme l’ont réduit certains. Le reggae, en plus d’être une musique du ghetto, est une musique engagée politiquement, anticapitaliste.

U-Roy émerge dans cette période, non pas comme compositeur, mais comme interprète récupérant les morceaux d’autres artistes ou groupes de certains labels (notamment The Gladiators et même The Wailers) pour poser ses textes dans une forme semi parlée, appelée deejaying à l’époque. Les deejays parcouraient la Jamaïque pour « toaster » leurs morceaux avec des sonos ambulantes appelées « sound-system ». Les faces B des 45 tours avec les versions instrumentales (les dubs versions) se prêtaient bien à cet exercice tenant presque du bulletin d’information vivant. D’après certains, le mot dub viendrait du nom d’un amateur de ces versions instrumentales qui aimait les diffuser. Ce genre va évoluer petit à petit et les Jamaïcains vont l’amener aux États-Unis où les noirs américains vont s’en saisir et créer le rap.

En Jamaïque, cela va déboucher sur le raggamuffin, avec la transformation des deejays en MC (master of ceremony) dans les années 80, un style plus rapide et plus chanté, dans l’air du temps de l’évolution mondiale de la musique.

On peut donc bien saisir tout l’apport qu’un chanteur, quasi inconnu en dehors de la Jamaïque comme U-Roy (et toute sa génération) dans le patrimoine musical mondial. Bien sûr, il y a eu des dérives, surtout au moment du ragga, avec des courants sexistes, homophobes, racistes, bien loin du message de réconciliation et d’amour universel originel des rastas.

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C’est ce style ragga et humaniste dont va s’inspirer Tonton David pour conquérir la scène musicale française en 1990. Son titre phare « Peuples du monde » de l’album « Blues des racailles » assume totalement les racines du ghetto contre Babylone avec notamment le refrain : « Issu d’un peuple qui a beaucoup souffert, nous sommes issus d’un peuple qui ne veut plus souffrir ». Traduction d’une phrase de Marcus Garvey, une des principales figures tutélaires des rastas et militant du retour vers l’Afrique des esclaves déracinés au début du 20ème siècle.

Évidemment, cette démarche s’est heurtée très vite aux représentants de Babylone, qui ne voulaient pas voir partir leur main d’œuvre bon marché et qui ont tout fait pour discréditer la compagnie maritime fondée par Garvey, la Black Star Line, et lui-même, en inventant des malversations avant que sa démarche n’ait trop de succès...

Le texte, mais également le clip de « Peuples du monde » sont révélateurs de l’appartenance revendiquée de Tonton David aux quartiers populaires et montrent sa gentillesse et son humanité, qui ne sont pas en contradiction, au contraire, avec des convictions bien établies.

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Avec « Sûr et certain », en 1994, Tonton David réaffirme ses principes rastas et il serait bien irrespectueux de le réduire à « Chacun sa route », chanson certes sympa, mais qui ne résume pas à elle seule la personnalité de son auteur.

Aujourd’hui, le ragga est présent dans de nombreuses chansons de tous les pays. La dernière ex-croissance du reggae est le reggaeton en Amérique du Sud, et il y a fort à parier que ce ne soit pas la dernière évolution de ce genre musical.

Bonne route David et U-Roy, vous pourrez toaster tous les 2 « inna combination » pour l’éternité près d’un dieu « un peu plus foncé » (dirait David) avec des dreadlocks et qui fleure bon la colliweed. Big up et nuff respect !

 
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