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La Izquierda Diario
24 de février de 2021 Twitter Faceboock

« Neutralité carbone » de Total : le greenwashing encore à l’oeuvre
Léon Sidhoum

En mai dernier, la troisième entreprise du CAC40 dévoilait sa nouvelle ambition : devenir une entreprise neutre en carbone d’ici 2050. Mais derrière le coup de comm’ se cache un lifting vert pour rassurer les investisseurs sans réelle rupture avec les énergies carbonées, dénoncé par les grévistes de la raffinerie de Grandpuits.

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Patrick Pouyanné, PDG de Total (©️ A. Buchanan / AFP)

En mai dernier, le conseil d’administration de Total a validé son « ambition pour le climat » avec un objectif de neutralité carbone en 2050. Cette réorientation stratégique du groupe intervient dans un contexte de crise inédite de l’industrie pétrolière suite à la pandémie. La troisième entreprise du CAC40 s’est donc retrouvée contrainte de répondre aux inquiétudes de ses investisseurs à travers un nouveau plan qui fait suite à ceux d’autres majors comme BP ou Shell. Alors que Total est pris dans un conflit avec les raffineurs de Grandpuits, ce nouveau plan fait figure d’un vaste plan d’économie et de délocalisation sur fond de greenwashing.

Une diversification marginale vers de fausses solutions

Pour devenir une entreprise neutre en carbone d’ici à 2050, Total dit vouloir principalement avancer vers une diversification de sa gamme de produits énergétiques en incluant du gaz et de l’électricité pour réduire sa part de pétrole. Une annonce qui réjouit les investisseurs inquiets face à un marché du pétrole trop volatile. Mais derrière ces annonces, se cache en réalité des investissements marginaux vers une série solutions qui ont plusieurs limites.

Les gaz naturels, bien que moins polluants à la combustion que les carburants issus du pétrole, restent tout de même une énergie carbonée qui participe au réchauffement climatique. Avancer des ambitions sur le gaz naturel permet à Total continuer à prospecter et exploiter des réserves aux quatre coins du monde sous une étiquette verte. Cette politique d’accaparement s’incarne dans le projet gazier du Mozambique où Total va jusqu’à demander l’intervention de l’armée française pour sécuriser son investissement.

Mais Total ne compte pas seulement sur le gaz naturel. La troisième entreprise du CAC 40 veut devenir le premier fournisseur de gaz renouvelable de France. Pour ce faire, Total investit dans les technologies de méthanisation à travers le rachat de Fonroche Biogaz qui possède 10 % du marché. Non seulement ces biogaz sont tout aussi polluants que les gaz naturels à la combustion, mais sa production repose sur un procédé encore peu développé qui produit du lisier résiduel utilisé comme engrais mais dont la toxicité pour les sols fait polémique chez les scientifiques. La méthanisation reste tout de même une technologie intéressante par la valorisation des déchets de l’agriculture qu’elle permet, mais le procédé nécessite encore d’être développé pour pallier ses défauts. Néanmoins, cela ne semble pas être la priorité de Total qui ne mentionne nulle part dans ses plans la limite de ces technologies.

Au-delà des ambitions gazières, Total affirme vouloir devenir le leader de l’électricité d’ici 2050, notamment dans le domaine du photovoltaïque à travers une série d’acquisitions. Sur ce volet encore, Total ne mentionne nulle part les limites de cette technologie, notamment le recours à des terres rares, nécessaires à la production des panneaux photovoltaïques. Par ailleurs, le niveau dérisoire des investissements relègue ce projet à une initiative cosmétique plus qu’à une réelle intention.

Bien que ces différentes technologies présentent encore des défauts, il est clair qu’elles n’atteindront pas leur plein potentiel dans les mains des grandes firmes aux logiques industrielles. Ce n’est que dans le cadre d’un plan d’ensemble reposant sur les nécessitées locales que ces différentes technologies renouvelables pourront être implémentées de manière équilibrée et raisonnée.

Au-delà des ambitions gazières et électriques, Total souhaite aussi verdir ses produits pétroliers grâce aux agrocarburants comme nous l’avons abordé dans un précédent article. Une transition vers les Bio et agrocarburants que Total avance notamment pour ses raffineries en France ; mais de nombreux rapports ont démontré que ces carburants n’ont rien d’écologique. En effet, les agrocarburants consomment plus de CO2 lors de leur production que le carburant issu du pétrole brut. Le scandale de l’huile de palme importée pour faire tourner sa bioraffinerie de la Mède, a démontré le fait que les cultures nécessaires devaient être importées de pays victimes de la déforestation. La réalité de l’ambition des agrocarburants s’apparente plutôt à un mariage entre l’industrie pétrolière et l’agro-industrie.

Enfin, l’hydrogène qui est pourtant une énergie prometteuse, est presque complètement marginalisé par Total qui se contente d’une collaboration avec Engie et 100 timides millions d’euros. Une somme dérisoire aux vues des profits gigantesque de Total.

Une fausse neutralité carbone

Cette nouvelle « ambition » de Total se propose de réaliser la neutralité carbone d’ici 2050, mais ce qu’omet de dire Total, c’est que la multinationale ne s’engage que sur les émissions de ses activités industrielles. Les émissions dues à l’ensemble de ses produits énergétiques vendus n’est pas prise en compte. Ce sont pourtant ces émissions qui génèrent la majeure partie de l’empreinte carbone de Total. Cette stratégie cache une occasion d’optimiser ses activités industrielles sans remettre en cause son modèle pétrolier.

Mais l’hypocrisie ne s’arrête pas là. Pour atteindre ses objectifs de neutralité, Total veut « compenser ses émissions » par ce que l’on appelle des « émissions négatives » afin d’afficher une soit-disante neutralité. Le principe de cette compensation est de planter des arbres pour absorber l’équivalent du CO2 émis. Ce système de « crédit carbone » est une escroquerie des capitalistes qui leur permet d’acheter de nouveaux droits à polluer en feignant « d’absorber du carbone » par l’implantation d’une forêt ou d’un parc éolien industriel. Non seulement ce concept est purement théorique et totalement éloigné des réalités biologiques, mais il permet aux entreprises de générer des crédits carbone qu’ils peuvent ensuite revendre sur un marché dédié. Total a donc commencé à investir 100 millions de dollars par an dans un objectif affiché de stockage de 5 MtCO2/an d’ici à 2030. Mais l’ensemble des émissions du groupe se situe autour de 440 MT de CO2/an. L’objectif fixé est donc ridiculement bas et ne correspond qu’à 1,2 % des émissions.
Les objectifs lointains et le faible niveau d’investissement démontrent que ces solutions sont bien plus une façade qu’une réelle vocation de neutralité carbone. Mais ces annonces permettent d’éviter la nécessité de réduire la production de pétrole, et en effet, dans le discours de Total : « Tous les scénarios prédisent qu’il y aura encore des hydrocarbures dans le mix énergétique européen et mondial en 2050 ».

Un greenwashing centré sur l’Europe

Non seulement Total ne s’engage pas sur la totalité de ses émissions carbone, mais les objectifs annoncés dans son plan 2050 ne concernent que l’Europe. La 17éme entreprise la plus polluante du monde ignore donc volontairement 40 % des émissions dont elle est responsable. Non seulement l’ambition “neutralité carbone 2050” de Total ne fait que s’aligner sur les objectifs de l’Union européenne, mais elle intervient sur le continent où les ventes d’hydrocarbures sont en constante baisse depuis quelques années.

Patrick Pouyanné affirme dans son entretien à l’Usine nouvelle que le groupe table sur un pic de consommation d’hydrocarbure vers 2030 suivi d’un déclin de 1 à 2 % par an. Cette augmentation jusqu’en 2030, sera principalement due à l’augmentation de la consommation des pays dits émergents dans lesquels Total se prépare à réaliser la majeure partie de ses profits à moyen et long termes. Pour répondre à cette demande émergente, le PDG de Total réaffirme la nécessité de continuer à prospecter « un baril à moins de 20 dollars » qui s’incarne par le projet pétrolier en Ouganda. Total affermit à travers cette nouvelle stratégie ses ambitions impérialistes qui consistent à aller chercher de nouveaux marchés et ressources à exploiter dans les pays dominés par l’Occident.

En bref, Total ne réalisera pas sa neutralité carbone pour 2050 car la multinationale compte bien vendre des hydrocarbures pour encore plusieurs décennies, notamment sur les continents “émergents”. Les différents rapports scientifiques sur le climat sont pourtant unanimes et indiquent la nécessité de sortir urgemment des énergies carbonées qui sont la principale cause du réchauffement climatique. Le Programme des Nations Unies pour le développement estime qu’il faut dès maintenant commencer à réduire les émissions globales de 7 % par an, seulement pour rester dans le cadre des accords de Paris.

La nécessité d’une transition écologique planifiée et non guidée par les profits !

Comme l’affirme Adrien Cornet, raffineur en grève de la raffinerie de Grandpuits, Total n’est pas et ne sera jamais un acteur de la transition écologique ! Et en effet, Patrick Pouyanné le dit lui-même, la transition énergétique de Total sera « dirigée par la demande ». Une demande énergétique qui est celle d’une société capitaliste qui s’organise toujours autour d’une surconsommation d’hydrocarbures, où les pays occidentaux ont les infrastructures routières les plus développées. Cette surconsommation d’énergie, à laquelle Total compte bien continuer à répondre, s’appuie notamment sur les pays émergents comme le dit Patrick Pouyanné dans sa communication : « nous sommes une major de pétrole et du gaz, notre ambition est de le rester. Dans 25 ans [...] nous serons une major de pétrole et gaz, j’en suis convaincu. Mais la révolution énergétique offre de nombreuses opportunités à saisir ». Finalement, c’est bien la demande de rentabilité qui guide le groupe capitaliste, qui souhaite « saisir l’opportunité » d’acquérir de nouveaux marchés juteux, en pleine expansion, de la « transition énergétique ». Le plan 2050 de Total est la démonstration qu’un acteur privé ne peut être un acteur crédible de la transition écologique, car les problématiques liées à l’écologie sont indissociables de celles du système capitalisme lui-même.

Atteindre une véritable neutralité carbone impliquerait une stratégie allant vers la sortie des hydrocarbures. Une transition énergétique ne peut se faire que par un contrôle démocratique par les travailleurs eux-mêmes des infrastructures de production et de distribution d’énergie afin de pouvoir mettre en place une planification énergétique basée sur les besoins réels.

 
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