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25 de mars de 2021 Twitter Faceboock

#OnENSpeutplus : une vague de témoignages sur les violences sexuelles ébranle l’ENS Lyon
Enora Lorita

Depuis quelques jours surgissent de nombreux témoignages de violences sexistes et sexuelles au sein de l’École Normale Supérieure (ENS) de Lyon. Entre agressions sexuelles et omerta cultivée par la présidence de l’école, rencontre avec des étudiantes qui témoignent du climat qui règne dans cette prestigieuse institution.

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Crédit Photo / Hypothèses

Depuis quelques jours, surgissent de nombreux témoignages de violences sexistes et sexuelles au sein de la prestigieuse école, un phénomène qui n’est pourtant pas nouveau. En réalité, depuis plusieurs années, les histoires se multiplient, mettant en cause professeurs, étudiants et médecin de l’école, sous silence de l’administration. Face à cette situation d’omerta intenable, des organisations étudiantes féministes ont lancé le 25 février un appel à témoignages. Ce dernier a eu un grand écho puisque quinze à vingt cas ont été recensés en quelques jours, pour une école d’environ 2000 étudiants et professeurs.

Chloé*, étudiante en première année à l’ENS Lyon et mobilisée contre les violences sexistes et sexuelles au sein de son école commence l’entretien en nous racontant : « Dès les premières fois où j’ai rencontré des personnes de l’école, on m’a immédiatement raconté des histoires de viols, en m’expliquant qu’il ne fallait pas en parler, et que la direction étouffait ces affaires. »

Une libération de la parole et de l’écoute** qui n’est pas nouvelle dans l’école

Chloé nous explique que dès 2018, plusieurs histoires avaient déjà éclaté dans les médias. Fin 2018, Médiacités publie un article sur la culture du silence face aux affaires de harcèlement au sein de l’ENS Lyon, et met en lumière le cas d’un médecin de l’école contre qui les témoignages se sont multipliés. Une étudiante attestait ainsi que celui-ci lui avait demandé de se mettre en sous-vêtements, et, après avoir commenté son corps avec des regards insistants, lui avait demandé de ne pas se rhabiller « parce que c’était plus agréable ». Ce même médecin avait tenu envers une autre étudiante des propos anti-avortement et culpabilisant, tandis qu’il avait affirmé à une autre que sa consommation d’alcool était trop élevée « pour une fille ».

A l’époque, la présidence avait commencé par nier totalement les faits, envoyant un mail à l’ensemble de l’école suite à la diffusion d’une pétition contre le harcèlement, dans lequel il était écrit : « s’est retrouvé particulièrement mis en cause le Service Médical […] Ces attaques diffamatoires […] sont inadmissibles et nous les condamnons sans équivoque. » Le médecin avait finalement écopé d’un rappel à l’ordre. Chloé nous explique que ce médecin est en poste depuis sept ans, et que, malgré les nombreuses plaintes et l’article de Médiacités, il exerce toujours à l’ENS Lyon.

En réponse à la multiplication de témoignages relatant des agressions sexuelles, une Commission « Egalité » composée de représentants de professeurs permettant de faire remonter anonymement les cas se met temporairement en place en 2018. Mais à nouveau, la présidence fait sourde oreille, et menace même les victimes et leurs représentants. Surtout, un membre de la direction intègre la Commission, et minimise les faits pour protéger l’école.

En effet, au moment de sa création, une étudiante s’adresse à la Commission pour relater des faits de harcèlement de la part de l’un de ses profs. Alors qu’elle passait un oral d’entrée à l’ENS sur l’hypersexualisation des femmes orientales, l’un des jurys se permet de blaguer sur le sujet puis lui lance « Je me souviendrai de vous mademoiselle ». Puis, quelques mois plus tard, ce professeur la harcèle sur les réseaux sociaux, et commente ses publications. Sous l’une de ses photos Facebook, il écrit : « Il ne peut t’échapper que tu donnes à voir ici une taille cambrée de donzelle dont la posture latéralisé́ (sic) révèle en figurine un... Bocu-se. On ne d’étonnera (sic) plus du réchauffement des Paule désormais. » Il commente également : « Venez plutôt chercher dans ma suite Four Stars, confort scandaleusement optimal, lit large et moelleux pour des tarifs bas. Je vous négocie des prix littéralement avantageux. (je ne suis pas vendeur mais professeur à l’ENS...) ». L’étudiante, en possession de preuves et de captures d’écran, s’adresse à cette commission en précisant qu’elle souhaite garder l’anonymat. Mais elle se heurte aux intimidations de l’administration, qui veut à tout prix lever son anonymat, l’intimide, explique même que ce serait l’étudiante qui aurait provoqué le professeur et finit par étouffer l’affaire. Le professeur ne subit aucune sanction, et est envoyé à Harvard pour enseigner pendant deux ans, avant de revenir exercer à l’ENS Lyon.

« Aucune confiance en la direction »

En 2019, la CGT lance une enquête auprès des étudiants et personnels de l’ENS Lyon. Les résultats de celle-ci sont glaçants : 46% des femmes ayant répondu ont subi des discriminations sexistes, 15% se disent victimes d’agressions sexuelles, majoritairement dans le cadre de l’école, et 5% d’entre elles se sont adressées à la direction après leur agression. Pour plus de la moitié des victimes s’étant adressé à la direction, aucune mesure n’a été prise. Pire encore, après la publication de cette enquête, la direction a dénigré les résultats, expliquant qu’il fallait les « relativiser » au regard du faible nombre de réponses (165).

Malgré les interpellations des élus, la direction de l’Université continue à faire la sourde oreille. En effet, la médiatisation de plusieurs cas en 2018 et l’enquête menée par la CGT n’ont entraîné aucun changement au sein de l’école, et les agressions ont continué. En mai 2020, au cours d’une fête organisée par l’ENS dans les jardins de l’école, une élève, ayant accepté de témoigner au micro de Libération, se fait agresser par un étudiant de quatrième année qui l’embrasse par surprise, et qui l’emmène chez lui alors qu’elle est fortement alcoolisée et la force « à faire des choses sexuelles que je n’avais pas du tout envie de faire ». Il se permet également de lui tenir des propos racistes et grossophobes tels que : « Je baise enfin avec une Arabe, t’es ma petite tigresse » ou « t’es trop grosse, tu serais une bombe sinon ». Elle signale l’agression à l’administration qui lui « ri au nez ».

Elsa*, étudiante de l’ENS Lyon avec qui nous nous sommes entretenus, l’affirme : « Si des violences m’arrivaient, je n’en parlerais pas aux profs, qui resteraient loyaux à leur hiérarchie, et j’aurais extrêmement peur de m’adresser à l’administration. La culture du viol règne dans cette école, et notamment envers les primo-arrivantes ». Elsa nous explique qu’elle n’irait certainement pas voir le médecin de l’école contre qui pèsent des accusations de harcèlement : « Il répond aux filles : « ah oui, en effet, quand on est un peu trop alcoolisé, les garçons en profitent ». Dans cette école, ils sont champions de la culpabilisation des victimes. ».

#OnENSpeutplus

Face à l’inertie de la direction, plusieurs organisations étudiantes féministes ont lancé un le hashtag #OnENSpeutplus et une pétition pour tenter de visibiliser la situation et libérer la parole. Un rassemblement contre les violences sexuelles et sexistes%7D] est d’ores-et-déjà prévu ce jeudi dans les locaux de l’école.

Photo : les étudiants dénoncent avec sarcasme l’omerta de la direction de l’ENS

Chloé nous raconte d’ailleurs que les organisations féministes sont « dans le viseur de la présidence ». C’est ce qui ressort d’ailleurs des articles de presse publiés ces derniers jours, au sein desquels les victimes et membres des associations gardent l’anonymat, par peur de représailles professionnelle, dans un milieu où parler peut signifier ruiner son avenir.

Ces témoignages interviennent dans un contexte de libération de la parole et de l’écoute, notamment dans les grandes écoles, engendré par l’affaire Duhamel ayant eu pour conséquence la démission de Frédéric Mion de la tête de Sciences Po Paris. Depuis, le hashtag #SciencesPorcs a mis en lumière une multitude de témoignages au sein des grandes écoles. Qu’il s’agisse de Sciences Po ou de l’ENS, cette vague de dénonciation des violences sexistes et sexuelles dans le milieu étudiant des grandes écoles ouvre une crise importante au sein des directions de ces établissements prestigieux. A contrario de cas isolés, ces témoignages dressent le portrait d’une dynamique structurante de ce type d’école, où le patriarcat est partie intégrante de la reproduction sociale et idéologique de « l’élite ». Ainsi, la libération de la parole dans ce type d’établissement est un coup porté au cœur de l’appareil politique du pays, où sont formés les futurs ministres et conseillers du gouvernement dans l’impunité la plus totale, à l’image des ministres Darmanin et Dupont-Moretti, respectivement accusé de viols et auteur de propos anti MeToo.

* Les prénoms ont été modifiés
** Les victimes ayant toujours parlé, le changement se situe dans la reception de cette parole

 
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