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La Izquierda Diario
29 de mars de 2021 Twitter Faceboock

Justice de classe
Arc de Triomphe : "Ce procès est le symbole de l’emballement judiciaire gonflé par le pouvoir politique"
Enora Lorita
Mica Torres

La semaine dernière sept manifestants accusés d’avoir dégradé l’Arc de Triomphe lors de l’acte III des Gilets jaunes étaient jugés. Au lendemain du délibéré, nous avons interviewé Maître Xavier Sauvignet, avocat de l’une des prévenues.

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Crédit photo : Denis Allard

Cette semaine étaient jugés devant le Tribunal Correctionnel de Paris les sept manifestants accusés d’avoir dégradé l’Arc de Triomphe lors de l’acte III des Gilets jaunes, le 1er décembre 2018. Finalement, alors que plusieurs avaient fait de la détention provisoire avant le procès, aucun ne sera condamné à de la prison ferme. Au lendemain du délibéré, nous avons rencontré Maître Xavier Sauvignet, avocat de Cécile, l’une des prévenues.

Révolution Permanente : Bonjour Xavier, peux-tu revenir sur la journée du 1er décembre 2018 qui a amené ta cliente devant la justice ?

Xavier Sauvignet : Il s’agissait du procès de l’acte III des Gilets jaunes à Paris, l’acte de scènes que certains ont qualifiées d’insurrectionnelles. Le 1er décembre 2018, les Gilets jaunes ont la volonté de se rendre à Paris et défiler sur les Champs Élysées car ils considèrent que c’est le lieu où leurs revendications seront le mieux entendues.

Ce jour-là, la préfecture avait décidé de complètement couper l’accès aux Champs-Élysées. Les Gilets jaunes se sont donc retrouvés sur les artères environnantes et notamment celles qui convergeaient vers la Place de l’Etoile. Leur objectif était de prendre le plus grand rond-point de France, lieu hautement symbolique. Toute la journée, c’est le chat et la souris avec la police pour prendre, déprendre, se faire prendre Place de l’Etoile. L’ambiance est insurrectionnelle : des dizaines de voitures sont retournées, des barricades se dressent, on voit des scènes d’affrontements dans un quartier au sein duquel le mouvement social classique n’a pas l’habitude de se mouvoir.

En face, la répression est impressionnante : des tirs de LBD fusent dans tous les sens. Selon un article du Monde, 15 000 grenades lacrymogènes seront tirées pendant la journée. Dans les ministères qui sont situés dans ces quartiers riches de la capitale, il y a vraiment eu un sentiment de peur. Il y avait une ambiance de fin de règne ce jour-là. La plupart des policiers et gendarmes étaient affectés à la protection de l’Élysée et peu sur les autres lieux de pouvoirs. L’Hôtel de Rothschild a par exemple été attaqué au cours de la journée et la police a été totalement dépassée.

Ce jour-là, la police a été dépassée et surtout il y a la prise symbolique de l’Arc de Triomphe. Les manifestants prennent le monument vers 14-15 heures et la police ne fera aucun assaut avant 19 heures. En fin de journée, énormément de Gilets jaunes seront interpellés. La prévenue que je défends, Cécile, est l’une de ceux qui ont assumé leur geste politiquement à l’audience. Elle a ainsi affirmé qu’elle était venue faire entendre sa voix lors de cette manifestation, lutter contre les inégalités. Elle a par exemple expliqué qu’elle paye trop cher son loyer à son propriétaire. Lorsqu’elle a été arrêtée, avenue Mac Mahon, on a retrouvé sur elle des babioles de souvenirs touristiques de l’Arc de Triomphe. C’est pour cette raison que son dossier a été joint à ceux de l’Arc de Triomphe. Pour ces dossiers, un juge d’instruction a été directement saisi. La ministre de la justice elle-même a, dès le lendemain, expliqué qu’il y aurait une réponse judiciaire. On a vraiment assisté à une utilisation politique de la justice pour décrédibiliser le mouvement. En réalité, les dégradations étaient minimes.

Après son arrestation, Cécile a eu un contrôle judiciaire de « grand bandit » : obligation de pointer, interdictions de territoires, interdictions de sortir la nuit, et surtout, le couvre-feu à partir du samedi midi pour l’empêcher de retourner en manifestation. Le procureur avait même voulu la placer en détention provisoire et l’envoyer à la prison de Fleury-Mérogis. Elle y a échappé, ce n’est pas le cas de tous. Finalement, personne ne sera condamné à de la prison ferme.

RP : Comment expliques-tu une telle disproportion entre l’emballement médiatique et finalement des peines minimes ?

Xavier Sauvignet : La montagne accouche en effet d’une souris… On peut noter une disproportion entre le délibéré et la présentation médiatique du procès, qui était monté en épingle dès le début. D’ailleurs, on voit que le premier jour de procès a été très couvert médiatiquement. En revanche, à la fin la couverture a été minime. Le délibéré qui montre bien l’emballement médiatique disproportionné n’a malheureusement pas fait la une des journaux.

Pourtant, c’est intéressant car ce procès avait été présenté comme très symbolique. Finalement, on en voit le symbole inverse : le symbole de l’emballement judiciaire gonflé à l’hélium par le pouvoir politique pour un dossier en réalité vide.

Il y avait un mythe qui voulait qu’il y ait des instigateurs de la prise de l’Arc de Triomphe, des coupables qui auraient tout organisé. Mais il s’agit d’une vision paranoïaque de l’histoire. Finalement, il n’y avait que des Gilets jaunes qui sont venus manifester, à qui on a empêché l’accès aux Champs Élysées et qui, dans une scène de chaos où des tirs de flashball fusent, ont décidé de rentrer dans l’Arc de Triomphe.

Dans ce procès, on a voulu faire de la responsabilité individuelle alors qu’il s’agit d’un mouvement collectif et cela n’est pas possible. Nous pouvons noter une tendance similaire avec le délit de groupement, initialement conçu par la droite sarkoziste dure pour s’en prendre aux jeunes des quartiers populaires. Il a été ensuite utilisé contre les manifestants à partir de 2016. La qualification permet de reprocher à quelqu’un d’avoir eu l’intention de commettre des violences. L’existence de ce délit permet de placer tout le monde en garde-à-vue puis de communiquer des chiffres d’arrestation dans la presse. C’est une bataille de l’opinion. Dans ce dossier par exemple, tous les prévenus ont été relaxés sur le délit de groupement et ont été condamnés à des peines minimes. Ma cliente a été condamnée à 70 heures de travaux d’intérêt général pour intrusion et une amende de 100 euros pour recel.

RP : Tu as aussi travaillé sur d’autres dossiers de Gilets jaunes. Est-ce que tu considères qu’il y a eu une accélération de la répression judiciaire avec ce mouvement, et si oui comme l’interprètes-tu ?

XS : La répression du mouvement social s’est accélérée avec les Gilets jaunes et a été rendue visible. Systématiquement tous les week-ends il y a avait de la répression, à un moment on est monté à 1 000 gardes à vue en région parisienne. L’acte III correspond à l’un des premiers gros coups de filet, avec 500 arrestations. C’est pourquoi, face à cette énorme répression, nous avons décidé avec un petit groupe d’avocats qui défend historiquement des manifestants de défendre les Gilets jaunes.

Rapidement nous nous sommes rendus compte du traitement systématique des Gilets jaunes exercé par la section du parquet qui est spécialisée sur les comparutions immédiates. Ce traitement était caractérisé par l’utilisation systématique du délit de groupement dont je parlais précédemment. Les gardes-à-vue étaient utilisées pour empêcher les gens de manifester, même de manière préventive. C’est ce que prouve une note du préfet, publiée dans le Canard Enchaîné, qui disait qu’il fallait garder à vue les manifestants pour les empêcher de revenir en manifestation et les poursuivre systématiquement. La comparution immédiate est l’endroit où les magistrats frappent le plus forts, cela permet aussi de communiquer sur des chiffres rapidement. Également, des lois sont venues accompagner la répression, notamment la loi anti-casseurs en 2019, celle qui a permis les fouilles systématiques et les arrestations en amont des manifestations. Mais la plupart des dossiers étaient si vides, que les Gilets jaunes écopaient de rappels à la loi.

RP : Plus largement, on a vu que la loi sécurité globale attaquait frontalement la liberté de manifester, et notamment celle de filmer la police. Est-ce que tu as l’impression que ces nouvelles mesures liberticides sont aussi prises préventivement, pour éviter un nouvel épisode type « Arc de Triomphe » ?

XS : Une des victoires du mouvement des Gilets jaunes, est qu’il a mis en lumière les violences policières avec, malheureusement, un grand nombre de blessés, d’estropiés, d’éborgnés. Ces images se sont retournées contre le pouvoir. Les violences policières sont devenues un objet médiatique et politique en soi.

Cette répression disproportionnée a été permise par le visuel, les images, et les reconstitutions qui en ont découlés. Cette visibilisation des violences policières par les images a entraîné un nouveau type de violences de la part des policiers, qui ne voulaient plus taper devant les caméras, c’est ce que mon confrère Raphaël Kempf a appelé les « violences judiciaires ». Ces violences permettaient de dissimuler la répression du mouvement social derrière les murs des commissariats, par des intimidations physiques, humaines, financières, par les garde-à-vue, les rappels à la loi, ou encore l’utilisation des amendes. Ces amendes se sont d’ailleurs multipliées avec la pandémie.

En effet, l’état d’urgence sanitaire a eu un effet d’aubaine pour le pouvoir : les lois et règlements établis à des visées sanitaires ont été utilisés à fins de répression des mouvements sociaux. D’ailleurs, j’ai été désigné dans un dossier concernant les amendes attribuées par caméra de surveillance pendant le confinement. La vidéo surveillance a été utilisée dans les quartiers populaires pour imposer des amendes sans contact, c’est-à-dire sans vérification de l’attestation. Ainsi, des personnes pour la plupart racisées, qui exerçaient par exemple la profession de livreur et qui se trouvaient dehors pendant le confinement, ont reçu parfois trente amendes sur la même semaine. Ils avaient été reconnus sur des caméras de surveillance alors qu’ils étaient à l’extérieur. La loi interdisait de se déplacer et des personnes ont été verbalisées alors même que la légitimité de leur déplacement n’avait pas été contrôlée. Ces amendes étaient en plus, pour des raisons procédurales, très dures à contester.

De plus, pour revenir sur la loi sécurité globale, il est important de noter que la police est très entendue au sein du gouvernement, il y a eu un très fort lobbying des syndicats de police qui effraient le pouvoir en place. Pour cette raison, le gouvernement leur a donné ce qu’ils voulaient à savoir interdire de filmer en manifestations. Pour moi, c’est presque une question périphérique, un effet d’annonce, puisque les gens vont continuer à filmer sur le terrain.

 
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