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La Izquierda Diario
18 de mai de 2021 Twitter Faceboock

Entre l’offensive coloniale israélienne et la résistance palestinienne
Claudia Cinatti

Depuis le 9 mai, l’Etat colonial israélien bombarde Gaza et multiplie les attaques contre les territoires occupés à Jérusalem et en Cisjordanie. Face à cette offensive meurtrière qui a fait plus de 200 morts a ce jour, la résistance a le visage d’une jeune génération de palestiniens qui rejette l’oppression coloniale et s’affranchit tant de l’Autorité Palestinienne que de la direction du Hamas.

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Nous sommes le 15 mai et depuis six jours, l’État d’Israël bombarde sans relâche la bande de Gaza, un petit coin de la planète d’un peu plus de 300 kilomètres carrés, où quelque deux millions de Palestiniens survivent tant bien que mal. L’image de ces derniers jours n’est autre que l’effondrement d’une tour de 12 étages, laissant à sa place un nuage de fumée et de poussière. Le bâtiment qui s’est effondré à cause d’un bombardement de l’armée israélienne abritait les bureaux de la presse internationale à Gaza, non seulement de la chaîne qatarie Al Jazeera mais aussi de la très occidentale Associated Press (AP). Le gouvernement israélien tente de justifier l’attaque comme il le fait chaque fois qu’il fait sauter des maisons, des écoles et même des hôpitaux : il s’agirait de façades derrière lesquelles se cachent le Hamas et d’autres groupes "terroristes". Mais les journalistes et les correspondants disent le contraire. Ils dénoncent avoir été prévenus juste à temps pour partir avec leurs vêtements sur le dos et d’avoir dû laisser derrière eux des archives et des documents précieux. C’est le président de l’agence de presse américaine AP qui, dans un communiqué, a souligné l’évidence : le monde saura moins de ce qu’il se passe à Gaza.

Ce 15 mai fut aussi une journée de mobilisations, de résistance et de lutte. Dans les territoires palestiniens et dans les pays arabes, le souvenir de la Nakba est présent dans les rues, c’est-à-dire de la catastrophe qu’a impliqué la fondation de l’État d’Israël en 1948 et qui se poursuit avec la colonisation et l’occupation militaire. Et dans plusieurs villes, de Londres à Paris et New York, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour manifester leur solidarité avec le peuple palestinien attaqué par Israël. Même dans des pays comme la France cette mobilisation s’est organisée contre l’interdiction de manifester et la répression du gouvernement Macron, qui accuse d’antisémites ceux qui remettent en cause les crimes de guerre et l’oppression de l’État sioniste.

Bien que l’escalade militaire soit toujours en cours, plusieurs signes indiquent que, tant pour le gouvernement israélien que pour ses principaux alliés, parmi eux l’impérialisme nord-américain, le moment approche de négocier une trêve, avant que le conflit ne sorte du siège des territoires occupés et n’embrase le Moyen-Orient.
Le gouvernement américain, qui, comme toujours, s’est prononcé en faveur de l’État d’Israël, s’active de manière frénétique. C’est le président Joe Biden lui-même qui a personnellement appelé Netanyahu et le président de l’Autorité nationale palestinienne, Mahmoud Abbas, pour commencer à négocier un cessez-le-feu. Pendant ce temps, les responsables de la Maison Blanche envoient des messages aux dirigeants du Hamas (avec lequel Washington n’a pas de relation directe car il le considère comme une organisation terroriste) par l’intermédiaire d’alliés tels que l’Égypte.

L’escalade à Gaza remet en question les "accords d’Abraham", mis en place sous la présidence de Donald Trump pour que les pays arabes normalisent leurs relations avec Israël. Les premiers signataires ont été les Émirats Arabes Unis et Bahreïn. Ce réalignement géopolitique au Moyen-Orient prévoyait une alliance israélo-arabe contre l’Iran. Et il a laissé le peuple palestinien dans un isolement complet.

L’offensive militaire israélienne, et surtout l’attaque contre la presse nord-américaine à Gaza, a laissé Biden dans une position inconfortable. En interne, il fait face à une rébellion de la part de secteurs du Parti démocrate qui remettent en cause son alignement inconditionnel avec l’extrême-droite israélienne et le gouvernement de Netanyahu. En revanche, ils ne remettent pas en question l’alliance stratégique avec l’État d’Israël. Et sur le plan extérieur, elle oblige les États-Unis à tourner de nouveau leur attention vers le Moyen-Orient, alors que la priorité de la politique étrangère de Biden n’est autre que de réduire l’exposition des Etats-Unis dans la région (la tentative de revenir à une sorte d’accord nucléaire avec l’Iran fait partie de cet objectif), de se retirer de l’Afghanistan et de se concentrer sur la concurrence et la contention de la Chine.

Provocation et occupation coloniale

Comme à chaque fois que l’État d’Israël lance une opération militaire d’envergure contre le peuple palestinien, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a invoqué le droit de se défendre contre les "attaques terroristes" du Hamas, en référence aux roquettes lancées depuis la bande de Gaza sur le territoire israélien. Un argument répété par le président américain Joe Biden (allié inconditionnel de l’État sioniste) et par la droite argentine de Juntos por el Cambio (coalition ayant présenté aux présidentielles de 2019 le président de droite sortant Mauricio Macri, battu par le candidat de centre-gauche Alberto Fernández) et les journalistes de même sensibilité.

Contre cette propagande intéressée, l’intellectuel d’origine juive Norman Finkelstein affirme que « ni le blocus inhumain et illégal imposé à Gaza ni les "opérations" criminelles périodiques qu’Israël a déployées contre Gaza ne tirent leur origine des roquettes tirées par le Hamas. Il s’agit de décisions politiques israéliennes résultant de calculs politiques israéliens, dans lesquels les actions militaires du Hamas apparaissent comme un facteur nul » [1].

Même les grands médias impérialistes ont dû reconnaître que l’escalade militaire avait pour origine une succession de provocations à Jérusalem-Est, la zone arabe de la ville occupée par Israël, aussi bien par les institutions de l’État sioniste que par des groupes de colons d’ultra-droite.
Ces provocations comprennent l’interdiction de l’accès des Palestiniens aux lieux saints pendant le mois de Ramadan, l’expulsion de la mosquée Al Aqsa à coups de gaz lacrymogènes et de flashball, les célébrations par des secteurs de l’ultra-droite orthodoxe d’un nouvel anniversaire de l’occupation de Jérusalem, et les répressions successives au cours desquelles des centaines de Palestiniens ont été blessés et arrêtés. Mais le plus significatif, en raison de sa forte charge symbolique, a peut-être été l’ordonnance judiciaire d’expulsion de six familles palestiniennes de leurs maisons à Sheikh Jarrah, cédant à la revendication d’un groupe de colons. La loi israélienne donne aux Juifs le droit de revendiquer des propriétés à Jérusalem déclarées comme étant les leurs avant la division du territoire en 1948, mais refuse tout aussi énergiquement ce droit aux Palestiniens expulsés à qui est refusée une telle revendication.

Cette expulsion relie donc directement la politique actuelle d’expulsion de la population palestinienne de Jérusalem-Est au "fait colonial" fondateur, ou comme le définit l’historien d’origine israélienne Ilan Pappé, au "nettoyage ethnique" [2] du territoire sur lequel l’État sioniste a été fondé. Cela explique la profondeur de l’événement et de la réponse palestinienne.

Guerre et crise politique

Avec cette nouvelle escalade à Gaza, le Premier ministre Benjamin Netanyahu semble avoir atteint certains de ses objectifs. Il revient sur le terrain militaire ce qui est conforme à sa stratégie coloniale agressive d’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie, et il renforce sa base à l’(extrême) droite. Il a crié victoire sur le Hamas (et le Jihad islamique) car, selon sa version des faits, les bombardements aveugles sur Gaza ont non seulement tué plus de 212 civils (dont au moins un tiers d’enfants) et détruit l’infrastructure déjà précaire de cette "prison à ciel ouvert", mais ont également endommagé l’armement et le réseau de tunnels utilisés par le Hamas (le "métro" de Gaza, comme ils l’appellent).

Ces modestes succès (que peut-on attendre de moins d’une puissance militaire et nucléaire armée par les Etats-Unis ?) ne cachent pas le fait que l’attaque du Hamas a montré que même avec des méthodes asymétriques, un ennemi de moindre importance peut faire des dégâts, perturber la vie quotidienne et exposer certaines faiblesses militaires, à l’image de l’efficacité du "Dôme de fer" (qui a certes intercepté 90% des roquettes tirées par le Hamas, mais en a laissé passer 10%).
Mais s’il y a une victoire pour Netanyahu, celle-ci est politique plutôt que militaire. Cette guerre - pour l’instant limitée - était une bouée de sauvetage pour le Premier Ministre inoxydable qui, après 12 années ininterrompues à la tête d’une coalition avec des partis d’extrême droite, n’avait pas réussi à former un gouvernement après les élections du 5 mai.

La tâche revenait au leader de l’opposition, le journaliste Yair Lapid, qui tentait d’ajouter à sa coalition anti-Netanyahou le leader de l’extrême droite orthodoxe, Naftali Bennett, et le bloc des partis arabes représentés à la Knesset (assemblée législative israélienne). Cette tentative d’opposition a été enterrée sous les décombres de Gaza. L’unité nationale sioniste et religieuse autour de la défense de l’État d’Israël a joué en faveur de Netanyahu, qui restera au pouvoir, même si ce n’est qu’en tant que Premier ministre par intérim jusqu’à la convocation de nouvelles élections (les cinquièmes depuis 2019). De cette façon, Bibi, comme on le surnomme, évite la perspective inquiétante d’aller en prison pour les accusations de corruption dont il fait l’objet. Et il espère que la combinaison de l’étalage de la puissance militaire avec le succès de la vaccination contre le Covid-19, ainsi que le soutien renouvelé des États-Unis et de l’Union Européenne lui offriront un nouveau mandat.

L’Autorité nationale palestinienne, dirigée par Mahmoud Abbas, est dans une crise en phase. Il est circonscrit uniquement en Cisjordanie, ayant perdu Gaza au profit du Hamas. L’offensive israélienne pendant les années de la présidence de Donald Trump aux États-Unis a relégué Abbas à une position encore plus insignifiante et a exposé sa politique de collaboration avec les occupants. La suspension des élections présidentielles et législatives qui devaient se tenir le 22 mai après 14 ans sans élections est à la mesure de cette crise. Abbas a donné comme justification qu’Israël ne permettrait pas aux Palestiniens vivant à Jérusalem de voter, mais en réalité il avait des raisons justifiées de craindre une défaite et une extension de l’influence du Hamas en Cisjordanie. En fonction de l’issue de cet affrontement, le Hamas pourrait retrouver une certaine aura, même si, comme le soulignent plusieurs analystes qui suivent de près l’évolution politique à Gaza et des territoires occupés, son influence a diminué au sein de la nouvelle génération qui ne voit pas d’un bon œil le contrôle religieux et islamiste.

En attendant la troisième Intifada

Les provocations et l’offensive israéliennes ont été accueillies par une résistance qui n’avait pas été vue depuis des années. Non seulement dans les territoires occupés, mais aussi parmi les Palestiniens qui vivent comme des citoyens de seconde zone dans l’État d’Israël. C’est un problème majeur pour l’État sioniste. Les Arabes représentent une part non négligeable de 20% de la population israélienne. Leur réaction et leur présence dans les rues a montré que les politiques racistes de discrimination - politique, juridique, sociale - de l’État sioniste à l’encontre de la population arabe ont un prix. Ce n’est pas une coïncidence si le débat est ouvert pour savoir si les mobilisations qui ont lieu aujourd’hui dans les territoires occupés mais aussi dans l’État d’Israël préfigurent le début de la troisième intifada, c’est-à-dire un nouveau soulèvement palestinien généralisé contre l’occupation israélienne. Rappelons que la première intifada a été déclenchée à Gaza en 1987-88 et a été détournée par la signature des accords d’Oslo qui établissaient la "solution à deux États" qui allait bientôt s’avérer être une tromperie pour poursuivre l’occupation coloniale sioniste.

La seconde a été déclenchée en 2000 par une provocation de l’ancien premier ministre et leader de droite Ariel Sharon et s’est prolongée sur cinq ans , pour aboutir au retrait unilatéral d’Israël de la bande de Gaza.
Les conditions de vie extrêmement dures des territoires palestiniens sont venues ces dernières années s’ajouter à la haine historique de l’occupant. La situation est particulièrement alarmante à Gaza, soumise à un blocus par Israël depuis 2007. Selon le Bureau central palestinien des statistiques, le chômage à Gaza est passé de 45 % en 2019 à 47 % en 2020, atteignant 50 % dans certaines zones. La mission spéciale de l’OIT dans les territoires occupés souligne que le travail est sporadique, rare et que la majorité de la population survit grâce aux dons internationaux. En outre, en raison de la fracture entre l’Autorité palestinienne et le Hamas, la première retient les fonds et a cessé de verser des subventions à la bande de Gaza.

Ce qui est nouveau par rapport à ces deux soulèvements précédents, c’est le rôle joué par une jeunesse qui, comme le souligne Thomas Friedman dans une colonne du New York Times, ne répond pas à la direction traditionnelle du mouvement palestinien et crée donc un problème pour l’État d’Israël car il n’a pas d’interlocuteurs valables du côté palestinien pour exercer le rôle de police interne. L’Autorité nationale palestinienne qui gouverne la Cisjordanie est complètement discréditée par sa collaboration avec l’occupation israélienne, et le Hamas qui gouverne Gaza ne parvient pas non plus à contrôler cette nouvelle génération.

Un État, mais quel État ?

L’offensive coloniale de l’État d’Israël, qui s’est approfondie qualitativement ces dernières années, et l’échec définitif de toute illusion de la gauche d’une solution à "deux États", ont favorisé l’émergence d’intellectuels, d’universitaires, de militants et de personnalités d’origine juive qui dénoncent le caractère colonial, raciste et oppressif de l’État sioniste et proposent comme alternative un "Etat unique, binational et démocratique" qui émergerait du démantèlement, avant tout, de la superstructure légale de l’Etat d’Israël, qui est basée sur des lois similaires au régime d’Apartheid sud-africain. Même les organisations internationales des droits de l’homme utilisent la définition de l’apartheid. C’est le cas de Human Rights Watch, qui a publié fin avril un rapport complet de 213 pages, dénonçant les "crimes d’apartheid et les persécutions" de l’État d’Israël contre la population palestinienne.

Cette proposition d’un "État démocratique unique" est similaire à celle avancée par Edward Said et la gauche arabe après la désilusion occassionnée par la trahison du nationalisme bourgeois de l’OLP et les accords d’Oslo. En fait, l’historien britannique Tony Judt a été l’un des premiers à affirmer que l’idée d’un "État juif", fondé sur l’exclusion des citoyens non juifs, conduisait au nettoyage ethnique et que l’alternative était donc un État binational. Il a également dénoncé la manipulation de la mémoire de l’Holocauste par les États-Unis et Israël pour faire taire les critiques de l’État sioniste. Malgré cela, Judt continue de soutenir que le garant de cet État ne devrait être autre que les États-Unis [3].

Nombre de ces secteurs antisionistes sont regroupés dans des organisations, dont sont parfois membres des palestiniens, comme la campagne de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) qui, depuis des années, utilise diverses méthodes pour dénoncer le caractère raciste et ségrégationniste de l’État d’Israël.
Plus récemment, la campagne pour un seul État démocratique s’est formée sur la base d’un manifeste en 10 points qui appelle à la création d’un État démocratique avec des droits individuels et collectifs égaux pour les Arabes et les Juifs. Des Juifs comme des Palestiniens sont membres de cette plateforme. L’un de ses principaux référents, le sociologue Jeff Halper, qui préside le comité israélien contre la démolition des maisons palestiniennes, vient de publier un livre [4] dans lequel il donne un fondement théorique post-colonial à la campagne. Ces secteurs sont parvenus à une conclusion fondamentale : l’État sioniste d’Israël, allié de l’impérialisme, est une enclave raciste, fondée sur la colonisation et l’oppression nationale, qui a pour principe constitutif le caractère exlusivement juif de l’État (à titre de comparaison, ca serait définir que les États-Unis sont un État de chrétiens blancs). Et pour cette raison même, elle est totalement incompatible avec le droit à l’autodétermination nationale du peuple palestinien. Ainsi, l’alternative à un nouveau nettoyage ethnique, ou au "génocide progressif" en préparation que dénonce Ilan Pappe, et que Netanyahou est en train de perpétrer, est de démanteler cet État raciste et de le remplacer par un État unique, démocratique et non raciste.

Cependant, comme le démontre l’Afrique du Sud post-apartheid, pour liquider véritablement l’oppression, il est nécessaire de liquider ses bases matérielles. C’est pourquoi notre perspective stratégique est celle d’une Palestine ouvrière et socialiste et d’une fédération socialiste au Moyen-Orient. Parce que seul un État qui se propose de mettre fin à toute oppression, exploitation et à la réaction impérialiste sera en mesure de garantir une coexistence démocratique et pacifique entre Arabes et Juifs.

Traduction Flo Balletti et Julien Anchaing

[1] Finkelstein, N.G., Gaza. An Inquest Into Its Martyrdom, Berkeley, University of California Press, 2018.

[2] « La politique sioniste, qui en février 1947 était basée sur les représailles aux attaques palestiniennes, s’est transformée en une initiative de nettoyage ethnique complet du pays en mars 1948. (...) Lorsqu’il fut achevé, il avait déraciné plus que la population indigène de la Palestine (environ huit cent mille personnes), détruit 531 villages et vidé onze quartiers urbains ».
Pappé, I., Le nettoyage ethnique de la Palestine [« The Ethnic Cleansing of Palestine »] (trad. de l’anglais), Paris, Fayard, 2008, 394 p.

[3] Judt, T., “Israel : The Alternative”, The New York Review of Books, vol. 50 N. 16, octobre 2003.

[4] Halper, J., Decolonizing Israel, Liberating Palestine. Zionism, Settler Colonialism, and the Case for One Democratic State], Londres, Pluto Press, 2021.

 
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