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30 de juin de 2021 Twitter Faceboock

Bordeaux
Squat de L’Eclaircie : portraits de ces habitants qui ont fui leur pays pour sauver leur famille
Jyhane Kedaz
Observatoire social et du travail Bordeaux

Les lieux de vie de l’Eclaircie et La vie est belle à Gradignan, menacés d’expulsion début juillet par la mairie de Bordeaux, hébergent plus de 130 personnes. Et autant d’histoires et de traversées. Quatre chef(fe)s de famille ont accepté de nous raconter un bout de leur parcours.

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Crédits photo : Juliette / Collectif Partout Chez Elles

Melania et Henrita sont arméniennes et ont fui la guerre au Haut-Karabakh. Mariam* et Shalva ont tous deux quitté la Géorgie pour des raisons médicales. La jeune femme souhaitait offrir un traitement à sa fille, atteinte de la mucoviscidose tandis que Shalva est venu avec sa mère, qui souffre d’une forme grave de diabète. Tous risquent la rue d’ici à dix jours.

« Je m’appelle Melania, comme Melania Trump ! », plaisante la jeune femme lorsqu’on lui demande de se présenter : « J’ai 35 ans, et cela fait 9 mois que je vis à l’Eclaircie avec mes deux enfants, une fille et un garçon de 12 et 13 ans qui vont au collège à Mérignac. Ils travaillent très bien », raconte-t-elle avec satisfaction.

« Nous avons quitté notre pays pour nos fils, qui auraient à leur majorité été obligés de rentrer à l’armée. Quand la guerre a éclaté il y a quelques mois, beaucoup de nos enfants ne sont pas revenus »

Arrivés en France il y a deux ans, Melania et ses enfants sont arméniens, plus précisément originaires de la région du Haut-Karabakh, où les tensions croissent depuis plusieurs années, jusqu’au ravivement du conflit avec l’Azerbaïdjan en septembre, qui a annexé une partie du territoire avec le soutien de la Turquie.

« J’ai quitté mon pays, parce que j’ai un fils. Quand la guerre a éclaté il y a quelques mois, beaucoup de nos enfants ne sont pas revenus », explique la mère de famille, l’inquiétude dans le regard. Dans moins de dix jours, Melania et ses enfants seront à la rue. Elle fait partie des familles, femmes et hommes seuls des squats de l’Eclaircie et La Vie est Belle, qui ne se sont vu proposer aucune solution de relogement par le CCAS de Bordeaux.

Ce samedi après-midi-là, un repas festif est organisé sur le lieu de vie afin d’appeler à la solidarité, avec un buffet auquel ont participé toutes les familles. Dans sa main, elle sert un carnet de recettes écrit par les habitantes de l’Eclaircie, le bâtiment où sont hébergées les femmes, et montre fièrement la page consacrée à sa spécialité : des pâtisseries arméniennes. Mais pour ce déjeuner, Melania explique qu’elle n’a pas eu le cœur à la cuisine : « Je suis trop fatiguée. Hier j’ai dû aller à droite et à gauche, j’ai beaucoup de rendez-vous, avec des avocats, assistantes sociales… je passe la journée dans les bus. On me demande beaucoup de papiers, c’est compliqué, en plus je ne parle pas bien français », explique la mère de famille qui se bat pour sa régularisation et celle de ses deux enfants.

« Ici je ne peux pas travailler, car je n’ai pas de papiers. Pas de travail, pas de logement, et pas de logement, ça veut dire pas de travail »

Pour se sortir du dédale de l’administration française, qui fait tout pour compliquer les démarches de régularisation, Melania suit des cours de français. « Deux à trois par semaine, mais je voudrais en avoir plus », explique-t-elle déterminée. Elle a ainsi entamé l’apprentissage de sa sixième langue. Après l’arménien sa langue maternelle, la jeune femme a dû, dans son itinérance, apprendre aussi le russe, l’allemand, le tchèque et l’anglais.

Au sein du lieu de vie, elle partage avec Henrita, la deuxième mère de famille arménienne de l’Eclaircie, une grande complicité. Henrita aussi a deux enfants, deux fils, scolarisés à l’école primaire. Également originaires du Haut-Karabakh, elle a voulu leur épargner le déchirement de la guerre, et a d’abord fui en Russie. « Je travaillais dans une cantine pour enfant, je servais à manger. Et quand je vivais au Haut-Karabakh en Arménie, j’étais manucure », raconte-t-elle en montrant sur son téléphone des photos de mains aux ongles soigneusement repeints de rose pâle ou fluo. Elle sourit, et on sent sur son visage la nostalgie d’un temps où les choses étaient peut-être un peu plus simples.

« Ici je ne peux pas travailler, car je n’ai pas de papiers. Pas de travail, pas de logement, et pas de logement, ça veut dire pas de travail », résume Henrita. Elle non plus ne sait pas où elle ira dans dix jours, quand les forces de l’ordre de la Préfecture, sollicitées par la mairie de Bordeaux viendront évacuer les lieux. « Et encore, nous les adultes, on peut supporter la rue. Mais pas les enfants, je ne veux pas que mes enfants dorment à la rue », déplore-t-elle en se préparant au pire. « C’est compliqué », conclue-t-elle avec un sourire triste, et on sent à cet instant le poids du monde sur ses seules épaules. Quand on leur demande si elles sont ici avec leur homme, elles répondent simplement « Il n’y a pas de maris ».

« Les enfants sont très stressés. Devoir changer de lieu de vie sans cesse, avoir constamment peur de la police. Cela leur échappe »

Nombre d’entre elles ont tenté le voyage seules, avec leurs enfants sous le bras. Mariam* elle, est géorgienne. Elle s’exprime dans un anglais très fluide. « Quelques mois après la naissance de ma fille en Géorgie, on lui a diagnostiqué la mucoviscidose. Mais les médecins géorgiens ne savent pas traiter cette maladie. Le pédiatre m’a dit « je ne sais pas ce que c’est, si tu veux je peux regarder sur Google ». J’avais 35 ans quand on lui a découvert la maladie. J’ai arrêté mes études et je suis directement venue en France », raconte-t-elle en désignant du regard la petite fille de trois ans, qui danse plus loin avec sa sœur et les autres enfants, devant l’entrée du bâtiment.
« Maintenant elle va mieux. On a fait des analyses récemment à l’hôpital Pellegrin, et le médecin m’a assuré qu’elle était en bonne santé, et j’en suis heureuse. Mais je ne peux pas retourner en Géorgie, les tests et les traitements coûtent trop chers, cela me coûterait plusieurs milliers d’euros et je n’ai pas les moyens de payer. Les laboratoires géorgiens n’ont pas la technologie nécessaire, ils doivent envoyer les analyses en Allemagne, tout cela est très compliqué ». Mariam* marque une pose dans son récit, alors que sa fille lui saute au cou pour lui demander de l’aider à ouvrir son emballage de glace. Elle repart aussitôt joyeuse, en recoiffant ses longs cheveux bouclés attachés avec des chouchous roses.

La plupart des enfants de l’Eclaircie sont scolarisés à l’école primaire à Mérignac. Leur mère parcourt ainsi près d’une heure et demie de transport matin et soir pour les y emmener. « C’est si loin », déplore Mariam. « Mon aînée y est scolarisée. Mais je ne veux pas la changer d’école, ça fait deux ans qu’elle y est et elle s’y sent bien, elle va voir une psy toutes les semaines. Les enfants sont très stressés, ils ne comprennent pas ce qu’ils font ici. Cela fait deux ans et demi que je suis en France et nous avons déjà changé trois fois de maison. Pourquoi est-ce qu’on change d’endroit ? Pourquoi la police vient chez nous ? Tout ça leur échappe ».

Mariam a fait le choix de poursuivre ses études de marketing. A la fin du mois, elle passera des examens sur le campus de Pessac et devrait obtenir sa licence. Elle espère continuer, mais avant cela, elle doit faire face à une autre bataille, celle pour la régularisation. « Tout est un combat, tout. Mais on n’a pas le choix ».

« Mes enfants et moi allons dormir dehors, ou dans la voiture, mais j’ai peur que ma mère ne survive pas à tout cela »

Shalva lui a 41 ans. Il vit avec sa femme et ses deux enfants âgés de douze et six ans, et avec sa mère, atteinte de diabète. « En Géorgie le coût de la vie est trop cher et les soins médicaux sont manquants. C’est pour ça que je suis venue en France, pour ma mère : pour qu’elle puisse recevoir un traitement. Elle a commencé une dialyse qui la fait terriblement souffrir et elle doit encore recevoir une greffe de rein. A mesure que son diabète avance, elle devient aveugle », explique cet habitant, qui craint pour la vie de sa mère. « Je ne sais pas comment faire. Aucun organisme n’a pu l’accueillir, ils disent qu’ils n’ont plus de place. Elle a rapidement besoin d’un logement sain car elle ne va pas pouvoir continuer comme ça. Mes enfants et moi allons dormir dehors, ou dans la voiture, mais j’ai peur que ma mère ne survive pas à tout cela ».

Pour continuer à mener leur combat, les habitantes et habitants de l’Eclaircie nécessiteront notre soutien. Menacés d’expulsion début juillet, pour permettre un projet d’aménagement visant à gentrifier le centre-ville de Gradignan, une douzaine de famille et une soixantaine d’hommes n’ont pour l’heure aucune perspective de relogement. Mobilisons-nous contre l’expulsion du lieu de vie et pour la régularisation de tous les habitants !

Alors que vingt-milliers de logements sont vides sur la seule métropole bordelaise, exigeons leur réquisition par les communes afin que personne ne soit forcé de dormir dehors ! Oui à la libre-circulation des personnes et à leur liberté d’installation : demandons l’ouverture des frontières et la fermeture des CRA, véritables prisons pour migrants !

Ce mercredi 30 juin sera l’occasion d’exiger l’ensemble de ces revendications, au rassemblement de solidarité avec les habitants de l’Éclaircie et La Vie est Belle, à Hôtel de Ville 17H.

*Le prénom a été modifié

 
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