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La Izquierda Diario
29 de juillet de 2021 Twitter Faceboock

Gestion coloniale
La Martinique reconfinée, un désastre sanitaire dont l’impérialisme français est à la source
Philippe Alcoy

Reconfinement, couvre-feu, la Martinique et la Guadeloupe s’enfoncent dans la crise sanitaire. Une situation qui révèle le mépris de la France envers les populations de ces territoire sous sa domination.

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Crédit photo : Cedrick Isham CALVADOS / AFP

Ce vendredi à 19h la Martinique va être à nouveau confinée pendant au moins trois semaines. La situation sanitaire sur l’île devient très inquiétante avec des hôpitaux au bord de la saturation. De son côté la Guadeloupe a vu l’état d’urgence sanitaire décrété mercredi dernier ainsi qu’un couvre-feu de 21h à 5h. Sur cette île la progression du virus est « fulgurante » également. Cette aggravation de la crise sanitaire se développe dans ces territoires où la population reste encore très peu vaccinée (16% de la population de plus de 12 ans a été totalement vaccinée en Martinique et 17% en Guadeloupe) et où le virus est en train de s’attaquer à la population jeune. Cette situation vient en réalité mettre à nu la structure sociale et économique essentiellement colonialiste de ces territoires.

Une situation dramatique

En Martinique cette semaine on a enregistré 3 537 cas de Covid-19 contre 2 241 cas la semaine dernière. Le taux d’incidence lui passe de 280 à 995 pour 100 000 habitants. Quant aux hôpitaux, ils sont sous forte pression et l’on craint qu’ils soient saturés très rapidement ; on envisage même de transférer certains malades soit en Guadeloupe soit en France. L’exemple du CHU de Martinique est parlant : fin juin l’hôpital ne comptait que 8 hospitalisations pour Covid-19 et 4 personnes en réanimation, aujourd’hui on compte 120 hospitalisations et 26 réanimations. Dans d’autres hôpitaux de l’île il n’y a pratiquement plus de lits en réanimation.

Quant à la Guadeloupe, du 19 au 25 juillet on a compté 1 072 cas contre 281 la semaine précédente. L’évolution est très semblable à celle de la Martinique. Cette semaine le taux de positivité (le pourcentage de tests positifs) est passé de 10% à 15,6%. Et cela inquiète particulièrement car 30% de la population guadeloupéenne est à risque de part leur âge, les taux élevés d’obésité et de maladies de longue durée.

C’est dans ce cadre que le gouvernement a décidé d’appliquer un nouveau confinement en Martinique à partir de ce vendredi ainsi qu’un couvre-feu de 21 à 5h ; les restaurant, les salles de sports, etc. fermeront. En Guadeloupe, comme nous le disions, pour le moment les autorités ont réimposé un couvre-feu et l’interdiction des déplacements de personnes non-vaccinées entre l’île et la France à compter du 2 août.

Faible taux de vaccination, une population anti-vax ?

L’aggravation de la situation sanitaire en Martinique et en Guadeloupe inquiète car le taux de vaccination de ces territoires est très faible. En outre, pour le moment le variant dominant y est l’Alpha et non le Delta comme en France, qui est particulièrement plus contagieux et dangereux. Dans la presse, pour expliquer ce retard dans la vaccination en Martinique, en Guadeloupe mais aussi dans les autres territoires d’outre-mer sous domination française, le fait que les populations y seraient « réticentes, culturellement, à la médecine pharmaceutique », qu’elles préfèreraient la « médicine traditionnelle ». C’est une explication douteuse et surtout très pratique pour le gouvernement.

Il ne s’agit évidemment pas ici de nier l’existence d’une frange de la population de ces territoires qui comme en France ont des doutes et des réticences vis-à-vis des vaccins. Cependant, d’autres problèmes viennent rendre plus compliqué l’accès aux vaccins pour ces populations, notamment pour les plus précaires. Car des responsables du secteur sanitaire de différents territoires d’outre-mer témoignent d’effets positifs de l’ouverture de la vaccination à la population mais la réalité socio-économique rend souvent très difficile de vacciner massivement la population. Comme on peut le lire dans un article d’avril dernier du Figaro : « les ARS doivent surtout composer avec un territoire qui n’est pas toujours accessible. Les départements d’Outre-mer ont suivi les recommandations du gouvernement et installé au moins un centre de vaccination pour 100.000 habitants. Ce qui ne signifie pas que toute la population puisse y accéder. En Guyane, par exemple, « il existe des zones où il n’y a pas de routes et il faut parfois faire deux jours de pirogue pour accéder à certaines zones, précise Clara de Bort [directrice de l’ARS Guyane]. C’est un territoire immense et peu dense donc faire de grands centres de vaccination n’est pas forcément adapté » ».

Nous devons ajouter un autre élément qui explique ce retard dans la vaccination des populations des territoires d’Outre-mer : le retard et le manque de doses au démarrage de la campagne vaccinale. En effet, en Martinique la première dose a été administrée le 7 janvier et en Mayotte le 28 janvier, alors qu’en France la campagne de vaccination commençait le 26 décembre. Cependant, toujours selon l’article déjà cité du Figaro, « ce démarrage plus lent ne suffit toutefois pas à expliquer pourquoi, encore aujourd’hui, les territoires ultramarins demeurent loin derrière. En plus d’une logistique encore plus difficile à mettre en place que dans l’Hexagone, certaines régions indiquent avoir reçu peu de doses au démarrage de leur campagne (…) Mayotte, par exemple, n’a obtenu que 975 doses lors de sa première livraison. (…) Du côté de la Guyane, la directrice de l’ARS, Clara de Bort, regrette que son département ait été « le moins bien doté en doses de vaccin » pendant plusieurs mois en raison du peu de personnes âgées à vacciner ».

Le colonialisme français mis à nu

Ces témoignages de la part de certains responsables dans les hautes sphères de l’Etat montrent que les discours du ministère des Outre-mer sur les « réticences culturelles » des populations outre-marines à la « médicine pharmaceutique », reposent sur une réalité plus que partielle et alimentent des préjugés racistes. Ce discours sert avant tout à dissimuler la responsabilité du gouvernement français et sa politique erratique ; il sert également à occulter le rapport colonial que la France entretient avec ces territoires où, malgré certaines adaptations légales, ses habitants sont toujours considérés comme des citoyens de seconde voire de troisième zone.

Il est évident que si le taux de vaccination avait été plus élevé en Martinique et en Guadeloupe la situation sanitaire actuelle ne serait aussi catastrophique. Et cela d’autant plus que ces îles sont touchées par le variant Alpha, celui d’origine. La réticence au vaccin n’a rien à voir avec des infrastructures sous-développées. La réticence au vaccin n’a rien à voir non plus avec des doses insuffisantes. Elle n’a rien à voir avec un secteur de la santé sous-financé.

Plus encore, si une partie de la population dans les territoires outre-marins, mais aussi en France, est sceptique de la vaccination ou sous-estime son importance, cela est aussi de la responsabilité du gouvernement. Aujourd’hui les témoignages abondent sur le fait que le virus est en train de s’attaquer aux jeunes en Martinique. Or, c’est le gouvernement qui pendant des mois a affirmé et laissé entendre que le virus était moins dangereux pour les jeunes, entre autre pour maintenir les établissements scolaires ouverts. Aujourd’hui c’est normal que beaucoup de jeunes pensent qu’ils ne risquent pas beaucoup face au virus. Les errements dans la campagne et les discours du gouvernement aussi alimentent cette méfiance populaire vis-à-vis du vaccin.

La campagne de vaccination a pris beaucoup de retard en Martinique et en Guadeloupe, ainsi que dans les autres territoires sous domination française. Et c’est de la responsabilité du gouvernement. Au lieu de « criminaliser » et de menacer les soignants, qui sont au bord du burn out, le gouvernement ferait mieux de former plus de médecins et d’infirmiers, d’investir dans la santé, notamment dans ces territoires délaissés, pour faire face à la pandémie. Ce sont précisément les travailleurs et travailleuses de la santé qui devraient être à la tête d’une campagne massive de sensibilisation à la vaccination. Tant que la réponse reste la répression et l’autoritarisme, les confinements continueront de se répéter, et encore, les morts du covid continueront de s’accumuler.

 
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