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La Izquierda Diario
6 de septembre de 2021 Twitter Faceboock

École du futur ou école néo-libérale ?
Marseille. 50 directeurs vont recruter leurs enseignants : une menace pour le statut de fonctionnaire
Boris Lefebvre

Sous prétexte des difficultés des quartiers populaires, Macron a annoncé le lancement d’une expérimentation dans 50 écoles de la ville pour permettre aux directeurs de recruter leurs enseignants. Une offensive importante qui menace le statut de fonctionnaire.

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Crédits photo : AFP

Des « gros mots » pour les enseignants

Fidèle aux petites phrases assassines qui ont fait sa réputation de président des riches, Macron n’a pas hésité à dire « plein de gros mots pour beaucoup de gens » lors de sa visite à Marseille la semaine dernière. En effet, alors que le chef de l’État annonçait des budgets faramineux pour renforcer les forces de l’ordre, il s’en prenait aux enseignants chez qui il y a « trop de grèves » en usant d’un poncif éculé. Mais ce tacle envers des enseignants délaissés dans des établissements délabrés, insalubres et proches de la ruine n’est pas allé sans une annonce qui touche au cœur même du statut de la fonction publique, auquel Macron annonce de plus en plus ouvertement qu’il veut lui faire un sort.

Selon le président de la start-up nation, le problème principal de l’école dans les quartiers populaires n’est pas l’abandon des services publics par l’État ou le manque de moyens alloués aux structures mais... les enseignants. Ces derniers ne sont pas « pleinement motivés » pour travailler dans les quartiers populaires d’après le président. Pour remédier à cela, il faudrait que les directeurs d’école du premier degré puissent « choisir les enseignants, pour être sûr qu’ils sont pleinement motivés, qu’ils adhèrent au projet » et « avoir un peu plus d’encadrement ». Chaque école deviendrait ainsi comme une petite entreprise dirigée par un manager qui s’assurerait des performances de ses employés. Le service public s’en trouverait d’autant plus défiguré et assujetti aux logiques néo-libérales. C’est bien le projet annoncé ici : « caporaliser les choses, en permettant aux autorités académiques de placer les bonnes personnes pour appliquer la politique du ministre » et « basculer dans un fonctionnement libéral, où les critères subjectifs et le clientélisme pourront prendre leur place » comme le souligne Guislaine David, secrétaire générale du SNUipp-FSU (Syndicat National Unitaire des Instituteurs).

Si la mesure est dans les toyaux depuis deux ans, il aurait fallu attendre son annonce par Macron à Marseille pour que les syndicats s’y opposent vent debout. Sébastien Fournie, secrétaire départemental du SNUipp-FSU, s’en est pris au décalage criant entre les conditions d’enseignement indigne de près de 174 écoles de Marseille et les mesures néo-libérales et sécuritaires de Macron : « on a des rats dans les écoles, on n’a pas envie de devenir des rats de laboratoires », affirme-t-il avant de s’en prendre aux 150 millions d’euros alloués à la police : « on nous annonce 200 policiers supplémentaires, mais aucun enseignant supplémentaire ». La CGT Educ’Action critique à travers les projets du président « l’expérimentation du démantèlement du service public d’Éducation et du statut de fonctionnaire par des dispositifs de sélections discrétionnaires » tandis que Sud insiste sur « l’instauration de nouvelles hiérarchies ». Le projet annoncé s’inscrit, en effet, dans une volonté de refonte profonde de l’enseignement et du service public.

« École du futur » ou école néo-libérale ?

Le président veut aller vite pour « qu’on puisse commencer dès la rentrée 2022-2023 » à « adapter, repenser les projets d’apprentissage, les rythmes scolaires, les récréations, la durée des cours, les façons d’enseigner... ». Dans sa logique de territorialisation du système éducatif, déjà à l’œuvre avec Parcoursup et le bac local du lycée Blanquer, Macron veut instaurer une éducation différenciée en fonction des quartiers et des publics. Là où l’on trouve beaucoup d’élèves « qui sont allophones », il faut « adapter les rythmes scolaires » et les contenus. Derrière la « méthode radicalement nouvelle pour l’éducation de nos enfants » que vante le chef de l’État, c’est en réalité l’instauration d’une inégalité des territoires et des élèves face à l’école. Si cette inégalité existe déjà dans les faits, elle sera désormais normalisée en même temps que la casse en règle du système public d’éducation.

« L’école du futur » que Macron dessine comme l’un des préambules de sa campagne pour 2022 est une réponse en écho à un passé pas si lointain : en 2019, la directrice d’école Christine Renon se suicidait sur son lieu de travail et publiait une lettre alarmante sur la détresse de toute une partie de la profession, tiraillée entre l’exigence des missions de service public et l’absence de moyens sur le terrain. Avec la loi Rilhac, la députée LREM du même nom créait la fonction de directeur d’école, enterrant toute aide administrative aux directeurs et les surchargeant de travail par la même occasion... l’exact inverse de ce que revendiquait la lettre de Christine Renon. Avec sa dernière annonce, Macron va encore plus loin dans la voie tracée par son ministre de l’Éducation nationale et les députés de sa majorité : postes à profils dans 50 écoles de quartiers populaires de Marseille, recrutement par les directeurs d’école, enseignants « référents » pour accompagner les élèves du CM1 à la 5e...

« Toutes ces innovations, on en rêve », assène Macron dans son discours. Il s’agit là du rêve néo-libéral qui n’attend que les résultats de ces expérimentations pour se généraliser « dans d’autres territoires de la République ». De même qu’il n’avait rien d’autre à offrir aux jeunes issus des quartiers populaires en 2017 que l’auto-exploitation avec le statut d’auto-entrepreneur, il semble que la libéralisation et l’ubérisation de l’école soit la seule planche de salut que Macron avance pour faire face aux inégalités générées par l’école. Pour ce faire, Macron entend briser un corps de métier qui a repris le chemin des luttes ces dernières années et plus spécifiquement à Marseille où la tradition d’AG et d’auto-organisation est grande. Avec la réforme des retraites, la casse du statut de fonctionnaire apparaît comme la grande cause que Macron veut mettre au centre des débats pour sa campagne présidentielle.

 
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