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La Izquierda Diario
7 de septembre de 2021 Twitter Faceboock

Saint-Denis, les terrasses et le Bataclan
Procès du 13 novembre, rendre justice ?
Claude Piperno

C’est aujourd’hui que s’ouvre le V13 ou procès des attentats du 13 novembre 2015 à Saint-Denis et à Paris. Le procès de la tragédie qui, ce soir-là, s’abat sur la capitale et sa proche banlieue. 130 morts et des centaines de blessés, une tuerie de masse revendiquée par l’organisation État Islamique et pilotée depuis son centre opérationnel, à Raqqa, en Syrie.

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C’est le procès d’attentats ignobles et effroyables, le procès de tous les superlatifs, de par la longueur de l’instruction, qui a duré près de six ans, sur plusieurs pays, avec ses 43.000 procès-verbaux, les plusieurs centaines de milliers de pages du dossier, les 1800 victimes, proches des disparus, blessés ou rescapés, qui se sont constitués partie civile. De par la logistique, également, déployée pour que le procès se tienne dans des salles spéciales du Palais de justice de la capitale, construites pour l’occasion, sur une île de la Cité bunkérisée le temps de la procédure, qui devrait durer neuf mois, alors que les audiences seront filmées.

Ce que justice est censée dire

Si l’on s’en tient au droit français tel qu’il existe, rendre justice implique de rendre aux victimes leur histoire, à défaut de leur rendre la vie, ou du moins leur vie d’avant les attentats, pour celles et ceux qui ont survécu ou pour les proches des personnes massacrées par les commandos de l’EI qui, le soir du 13 novembre 2015, se sont livrés à une tuerie impitoyable. Selon Le Monde, « le droit [est] l’ultime réponse au terrorisme. (…) C’est l’ultime réponse des démocraties au défi de la violence terroriste : le droit, tout le droit, rien que le droit. C’est le moment où les citoyens passent du statut de cibles et de victimes à celui d’artisans d’un processus rationnel et responsable, celui de la justice. » Au regard de la façon dont le procès s’annonce et se retrouve scénarisé, politiquement, par l’exécutif, et médiatiquement, par les grands médias, on est en droit d’être perplexe.

Un calendrier presque présidentiel

Tout d’abord parce que la procédure est censée prendre fin en mai 2022. Le verdict à l’encontre des vingt personnes accusées, dont quatorze seront effectivement présentes dans le box, sera donc prononcé au beau milieu de l’élection présidentielle, un enjeu central pour Macron qui aspire à la réélection. Pour celui qui entend placer le curseur très à droite, s’emparer des questions régaliennes, de sécurité et de police, de chevaucher la question de l’immigration et de la place de l’islam en France pour drainer vers lui les voix de l’électorat le plus conservateur, le timing est presque parfait. L’émotion collective que le procès ne manquera pas de susciter pendant ses moments forts, à son ouverture et au cours des dernières semaines notamment, aura obligatoirement de fortes répercussions au niveau politique. On peut aisément imaginer les raccourcis et l’instrumentalisation qu’une telle procédure, appelée à durer plusieurs mois, pourrait générer.

Alors bien entendu, personne en Macronie n’est aujourd’hui assez veule pour se frotter les mains. Ce serait déplacé. Mais le procès des attentats du 13 novembre 2015, qui ont donc eu lieu sous le quinquennat de Hollande, est une pièce dans la communication politique de l’exécutif en campagne. Déjà, d’ailleurs, les plus ambitieux des ministres de Macron, Eric Dupont-Moretti et Gérald Darmanin, la mine grave, ne se sont pas privés d’instrumentaliser le procès. Le premier en visitant les locaux construits spécialement pour l’abriter, ayant beau jeu d’asséner qu’il s’agit de « l’occasion pour notre justice de réaffirmer qu’elle fonctionne avec un certain nombres de règles intangibles, qui distinguent la civilisation de la barbarie, et il est important de le redire. ». Le second en surjouant le discours sur la recrudescence du risque d’attentats terroristes –alors que ce genre de dossiers sont, normalement, traités dans la plus grande discrétion, pour des raisons évidentes-, en mettant en avant le rôle assigné aux quelques 300 gendarmes et policiers qui seront déployés autour du Palais de justice.

Une cour d’exception

L’autre élément, indépendant du calendrier de la procédure, a trait à la justice elle-même et la façon dont elle sera rendue. Alors que l’ouverture du procès coïncide quasiment avec le vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001, Le Monde rappelle que « la puissance américaine (…) a répondu par les prisons secrètes de la CIA, l’enlèvement de suspects à travers le monde et leur transfèrement dans le camp pénitentiaire militaire de Guantanamo, ouvert spécialement à cet effet, hors de la zone du droit pénal américain – hors aussi des yeux du public [alors que] le procès du 13 Novembre, à Paris [devrait] montrer qu’il est possible de juger démocratiquement le terrorisme. »

On aimerait le croire, mais trois objections de taille taraudent autant de certitudes, assénées avec assurance. La première relève tout simplement du fait que les vingt personnes qui vont comparaître le feront devant la Cour d’assises spéciale, à savoir un tribunal d’exception. Cette Cour d’assises spéciale est l’avatar de la Cour de sûreté de l’État, instituée dans l’après-guerre d’Algérie par De Gaulle, en 1963, pour juger les infractions politiques et les actions qualifiées d’atteinte à la sûreté nationale. Abolie par Robert Badinter, ministre de la Justice de Mitterrand dont c’était une promesse de campagne, elle était considérée comme l’expression judiciaire du « coup d’État permanent », expression utilisée pour qualifier la V° République. Les crimes et délits portant atteinte à la sécurité de la nation devaient relever, selon les socialistes de l’époque, de la justice ordinaire. Sur ce dossier comme sur bien d’autres, les promesses de Mitterrand et du PS ont fait long feu. Un tribunal d’exception est effet rétabli en 1982 sous le nom qu’il recouvre actuellement, la Cour d’assises spéciale. Par la suite, avec le retour de la droite au pouvoir, la juridiction est consolidée en 1986, sous la houlette d’un Jacques Chirac qui avait fait de l’instrumentalisation du terrorisme (prises d’otage, attentats, etc.), l’une de ses grosses ficelles politiques.

Le second élément, corrélé au premier, est le fait que cette Cour d’assises spéciale existe, aujourd’hui, dans un continuum de mesures liberticides et d’exception qui ont été versées progressivement dans le droit commun ou inscrites dans la Constitution, notamment à partir de 2015, dans le sillage du raidissement de l’exécutif à la suite de la vague d’attentats qui frappe à plusieurs reprises le territoire. Il est impossible de séparer cette cour d’exception d’une législation semblable que Hollande, tout d’abord, puis Macron, à sa suite, ont conforté, précisément au nom de la « lutte contre le terrorisme islamiste. »

Le procès de qui, le procès de quoi ?

Enfin, et quand bien même la Syrie sera l’une des toiles de fond du procès compte-tenu du fait qu’il s’agissait de la base opérationnelle de l’EI et du point de départ de nombreux terroristes, il s’agira du procès de vingt hommes. Cinq étant présumés morts, quatorze seront réellement présents, six, dont Salah Abdeslam, le seul survivant des commandos du 13 novembre, étant des cadres de l’EI, les sept restants étant des complices présumés, membres d’un second cercle (un autre homme incarcéré en Turquie sera jugé en absence, également). Et pourtant, si parmi ces hommes figurent les assassins ou leurs complices, ceux qui ont appuyé sur la gâchette ou se sont fait exploser, le nœud central et, dans un sens, la vérité sur les attentats, est à chercher du côté de l’Irak et de la Syrie.

En effet, les attentats du 13 novembre comme tous les attentats meurtriers perpétrés au nom de l’idéologie djihadiste ultra-réactionnaire et qui frappent, en premier lieu, les populations des pays arabo-musulmans, ne s’expliquent que par la façon dont la région, au sens large, a été déstabilisée et certains pays se sont disloqués au gré des interventions occidentales des vingt dernières années, après le 11 septembre 2001, avec l’agression impérialiste contre l’Afghanistan à laquelle a participé la France, puis à la suite de mars 2003, avec l’invasion anglo-étatsunienne de l’Irak, et enfin les interventions occidentales, et notamment françaises, au Sahel puis en Libye et en Syrie, notamment, après 2011.

Les juges de la Cour spéciale diront qu’il ne s’agit pas de faire de la géopolitique, et encore moins de la politique, eux qui ont pourtant fortement partie liée avec leur ministère de tutelle, et que l’objet du procès est de faire comparaître des hommes accusés de terrorisme ou de complicité. Et pourtant, c’est aussi le procès d’un enchaînement impérial, fait d’interventions, d’agressions, de déstabilisations, qu’il faudrait faire, si l’enjeu était, réellement, de comprendre. Si, à cela, on ajoute un calendrier judiciaire qui épouse presque à la perfection les contours de la campagne pour les présidentielle et de l’élection, il n’est aucunement sûr que justice sera effectivement rendue. Ni pour les victimes, ni pour leurs proches, ni pour leur mémoire.

 
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