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2 de octobre de 2021 Twitter Faceboock

Féminicide de Chahinez : comment les institutions l’ont laissée mourir
Louisa Eshgham

Le 4 mai dernier, Chahinez était tuée par son mari à Mérignac. 5 mois après ce féminicide effroyable, de nombreux éléments mettent l’accent sur la prise en charge inexistante de Chahinez et démontrent l’abandon et le mépris total auquel elle s’est confrontée, ce qui a conduit au pire.

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Crédit photo : © Mehdi FEDOUACH / AFP

Un nouveau rapport de l’IGPN rendu il y a quelques jours vient confirmer qu’il y a bien eu ce que le rapport présente comme des « défaillances » dans l’affaire Chahinez. Le rapport pointe « une succession de fautes professionnelles et des erreurs d’appréciation qui mises bout à bout ont contribué à ne pas empêcher le mari de commettre l’irréparable. »
Les « erreurs » en question, c’est par exemple le fait que deux mois avant qu’elle soit assassinée, Chahinez avait porté plainte contre son mari après qu’il l’ait battue et séquestrée durant deux heures. Or, le Canard enchainé avait révélé il y a quelques temps que le policier qui avait recueilli sa plainte à ce moment-là était lui-même condamné pour des faits de violence conjugales, et sa plainte n’avait donc évidemment pas été prise au sérieux. 

L’IGPN souligne ensuite qu’une « vraie traque au mari violent » n’a pas été menée correctement, et explique qu’il s’agit d’une succession de faits isolés qui ont abouti au drame, comme le fait que le personnel était mobilisé sur une autre affaire, que certains policiers étaient absents à cause du covid ou encore qu’il y a eu une mauvaise communication entre les services de police et le service pénitentiaire en charge du suivi de Mounir, l’auteur des faits. On apprend donc que le directeur général de la police va convoquer un conseil de discipline, et que les policiers responsables recevront éventuellement des blames ou « des sanctions plus importantes ».
 
Le cas de Chahinez, révélateur de "défaillances" ou du traitement habituel des victimes de violences ?

Qu’un policier auteur de violence conjugales puisse être le premier interlocuteur d’une femme battue et soit chargé d’enregistrer sa plainte, que Chahinez ne soit même pas informée que son mari qui la battait est sorti de prison, qu’elle continue de vivre au même domicile dont il connait l’adresse tout en l’ayant menacée à de multiples reprises, qu’il la tabasse et la séquestre mais qu’encore après ça il ne soit pas pris en charge dans une structure adaptée, qu’à aucun moment Chahinez ne soit mise en sécurité, autant d’éléments qui choquent et questionnent. Mais peut-on vraiment parler, pour reprendre le vocabulaire de l’IGPN, de "défaillances" ? 

D’abord, il faut souligner que ce n’est pas rare que des policiers eux-mêmes coupables de violences contre les femmes soient en poste. Rien d’étonnant venant d’une institution comme l’institution policière, qui est chargée de réprimer les mobilisations notamment féministes, qui est connue pour ses racines profondément misogynes, et surtout qui est l’incarnation du système capitaliste patriarcal qu’elle défend. À titre d’exemple, on pense au policier récemment écroué pour viols et pédocriminalité à Marseille, ou encore aux militantes féministes violemment arrêtées lors de l’action toutes aux frontières en juillet dernier et ayant subi un sexisme décomplexé de la police. La féministe Anna Toumazoff a aussi récemment relayé sur les réseaux sociaux la violence et le mépris à laquelle les victimes de violences sexistes et sexuelles doivent se confronter lorsqu’elles vont porter plainte à Montpellier. Pourtant, Schiappa continue de répéter « qu’il ne faut pas répéter ad nauseam aux victimes de violences conjugales qu’elles seront mal accueillies ». Et lorsqu’on ose le dénoncer, la police et le ministère n’hésitent pas à accuser les victimes de mentir avec une rhétorique que l’on connait bien, et à les menaces de poursuites pour diffamation, comme ça a été le cas pour Anna Toumazoff

Le Canard enchainé a d’ailleurs révélé que dans le cadre de l’affaire Chahinez, la hiérarchie était « parfaitement au courant », qu’une « demande de renvoi devant un conseil de discipline » avait eu lieu, et que les chefs reconnaissaient que l’« affectation [du policier coupable de violences] au bureau des plaintes était discutable ». Rien d’alarmant donc, pour la police. Loin d’être un problème relatif à certains policiers, il s’agit d’un problème propre à l’institution policière et a ses missions. 

Au-delà de ça, cette affaire montre à quel point Chahinez a été laissée livrée à elle-même et n’a pas été protégée ni accompagnée, ce qui là encore n’est pas un fait isolé. À chaque féminicide, on constate que la victime avait appelé à l’aide mais n’avait pas été entendue.
Et ce n’est pas un hasard. Aujourd’hui, très peu de dispositifs existent pour permettre aux victimes de fuir et surtout d’être prises en charge correctement, dans une structure adaptée. Les centres d’accueil d’urgences reposent sur des associations qui sont de moins en moins financées et sont surchargées. Rien n’est fait pour s’assurer que les victimes soient en capacité matérielle de fuir, de sortir d’une spirale violente, de se reconstruire dans un environnement adéquat, qu’elles soient suivies par des professionnels spécialisés, qu’elles aient accès à un logement, à un revenu. 

Les associations de prise en charge des victimes ne cessent de dénoncer des «  mesures inadaptées à l’accueil et à la prise en charge des victimes  », le FNSF explique par exemple «  il faut héberger les femmes victimes dans des centres d’hébergement spécialisés qui permettent un accompagnement par des professionnels formés et expérimentés, pas dans des chambres d’hôtel avec leurs enfants, sans accompagnement. Souvent, cela aboutit à un retour à domicile  ». L’association dénonce aujourd’hui que le montant alloué aux victimes par jour représente « moitié moins que les coûts actuels et sont très en deçà de ce que nécessite un accompagnement adapté aux besoins de ces femmes. ». Concernant certains dispositifs d’aide au logement, ils sont réservés aux victimes bénéficiant des ressources nécessaires, ce qui exclut par exemple les victimes les plus jeunes qui ne bénéficient pas des minima sociaux et qui sont précaires du fait même de ces violences. 

Et cela n’est pas de l’ordre d’une "défaillance" ponctuelle. au contraire c’est le fonctionnement du gouvernement Macron, qui prétend lutter contre les violences de genre mais qui n’accorde pas les moyens nécessaires à la prise en charge des victimes et se contente de mesures répressives inutiles. Inviter les victimes dans des « grenelles » ou des « conférences inversées » pour faire semblant de prendre en charge la question ne sert à rien si aucun moyen effectif n’est affecté à cette lutte, et surtout si les mesures proposées ne répondent pas aux demandes des victimes et des mouvements féministes. Car c’est tout l’inverse que nous propose le gouvernement incarné par Schiappa et Dupont-Moretti sur ces questions, c’est-à-dire des mesures qui se concentrent sur du tout répressif, sur des modifications de la loi, voire sur des propositions complètement hypocrites, aberrantes et insultantes telles que de proposer des casques en réalité virtuelle aux auteurs de violence pour qu’ils puissent « se mettre à la place des victimes » 

En clair, les réponses proposées se font toujours sur le terrain judiciaire et pénal, ce qui permet d’éviter de remettre en question les racines structurelles de ces violences. Le mépris, c’est aussi que ce même gouvernement qui prétend lutter contre les violences de genre continue de précariser toujours d’avantage les femmes avec ses multiples réformes antisociales telles que la réforme de l’assurance chômage qui va d’ailleurs toucher encore plus violemment les femmes, qu’il continue aussi la casse de l’hôpital public alors que la question de la prise en charge médicale psychologique des victimes est au centre de nos revendications, ou encore qu’il mêne une offensive islamophobe qui là encore touche a fortiori les femmes. 

Quelles mesures pour lutter efficacement contre les violences conjugales ? 

Beaucoup d’associations de défense des victimes regrettent, dans le cas de Chahinez, que Mounir, son mari et meurtrier, n’ait pas fait l’objet d’un bracelet anti-rapprochement, ou du fait qu’elle ne possédait pas de « téléphone grave danger ». Des outils que Eric Dupont moretti juge « formidables » et dont il regrette lui aussi qu’ils ne soient pas plus souvent utilisés. Mais que peut-on attendre de ces dispositifs, mis en place fin 2020 par le gouvernement à l’issue du Grenelle contre les violences conjugales ? 

On ne peut qu’être d’accord avec l’objectif de ces associations, qui, comme Nous Toutes, demandent une protection plus efficace des victimes, mais qu’en est-il s’agissant des mesures de protection proposées, comment faire pour que la protection des victimes soit réelle ? Est-ce que cela passera par des « ordonnances de protection » délivrées par un juge, et par un meilleur accueil dans les commissariats de police ? 

L’idée derrière le dispositif de bracelet anti-rapprochement est de neutraliser l’auteur des faits s’il ne respecte pas une obligation d’éloignement. Mais ça revient à placer nos espoirs dans l’intervention de policiers. Or, comme dit plus haut, on ne peut pas s’en remettre à une institution aussi violente que l’institution policière, qui ne sera jamais de notre côté, dont le seul rôle est de réprimer, et qui, comme l’illustre l’histoire de Chahinez, va jusqu’à confronter les victimes de violences conjugales à des policiers eux-mêmes auteurs de ce type de violences. 

De même, l’idée de ces dispositifs est, une fois neutralisé l’auteur des faits, de le punir, en l’envoyant en prison par exemple. Ces réponses répressives sont absolument l’inverse de ce dont nous avons besoin. Déjà, parce qu’elles reposent sur l’une des institutions la plus violente que le système connaisse, l’institution carcérale, qui enferme, violente, déshumanise des milliers de personnes des classes populaires, et encourage par sa violence à reproduire la violence. Aussi, parce que ces réponses ne permettent pas d’endiguer des phénomènes qui sont structurels, comme celui des violences de genre, qui nécessitent un traitement qui repose sur la protection des victimes et une prise en charge réelle des auteurs de violences.

Plutôt que des bracelets électroniques, il nous faut revendiquer l’ouverture massive de structures adaptées aux auteurs de violences conjugales, afin qu’ils soient pris en charge par des professionnels et qu’ils ne puissent plus nuire à leurs victimes. 

S’agissant des ordonnances de protection, elles visent à demander à un juge de prononcer des interdictions à l’égard du conjoint violent (par exemple l’interdiction de s’approcher du domicile familial), et permet en théorie une « mise à l’abri » de la victime. Mais cette mise à l’abri n’est absolument pas effective dans les faits, et ne peut l’être qu’en revendiquant des moyens massifs pour garantir à toutes les victimes un logement en structure adapté et un salaire permettant de vivre correctement, qui doit être au minimum de 1800€ net par mois. Demander davantage d’ordonnance de protection n’a de sens que si les victimes sont effectivement protégées et ont les moyens matériels pour vivre sans leur conjoint violent.

Dans ce sens, on constate qu’en 2019 79 millions ont été alloués à la lutte contre les violences faites aux femmes, . Pour comparer, le budget alloué à la "grande cause du quinquennat" est... 500 fois inférieur à celui alloué à la défense (armée et police) pour cette même année (36 milliards d’euros). Par ailleurs, si on étudie le budget dédié à l’Egalité homme/femme, à retrouver sur le site gouvernemental, on se rend compte que les ressources allouées à la police et à la gendarmerie sont quatre fois plus élevées que celles réservées à l’hébergement et à la protection des victimes d’agressions sexistes et sexuelles.

Cette disparité montre que la priorité du gouvernement n’est en aucun cas la lutte contre ces violences. On voit aussi que le chiffre de un milliard d’euros, réclamé par beaucoup d’associations, est en réalité très en deçà de ce qu’il nous faudrait pour permettre effectivement aux victimes une indépendance économique en plus des mesures d’urgence, et assez marginal quand on compare au budget de la police et de l’armée. L’argent dont nous avons besoin pour mettre en place toutes les mesures que l’on a évoquées ne pourra pas être obtenu par la simple négociation avec l’Etat, mais par des luttes massives, qui remettent profondément en cause un système qui encourage et participe à la reproduction des violences faites aux femmes. 

 
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