http://www.revolutionpermanente.fr/ / Voir en ligne
La Izquierda Diario
7 de janvier de 2016 Twitter Faceboock

A l’écran
Les Suffragettes. Briser des vitres pour vivre autrement
Cynthia Lub

Sorti sur les écrans français en novembre dernier, le film Les Suffragettes retrace l’histoire du mouvement pour le droit de vote des femmes en Grande-Bretagne au début du vingtième siècle. Le personnage principal est une femme travailleuse qui luttait dans des conditions terriblement difficiles, en affrontant non seulement le gouvernement et son mari, mais également l’exploitation patronale.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Les-Suffragettes-Briser-des-vitres-pour-vivre-autrement

« Et le droit de vote, que signifierait-il pour vous, madame Watts ? demandait le premier ministre à une jeune blanchisseuse.
Pour l’idée selon laquelle… il existe une autre façon de vivre sa vie, répondit-elle. »
Ce dialogue eu lieu dans la chambre des communes, une jeune travailleuse - Maud Watts - entourée d’hommes en costume. Dans le film Les Suffragettes, le rôle est joué par l’actrice Carey Mulligan. La protagoniste représente toutes ces femmes ouvrières qui, pendant qu’elles luttaient avec détermination pour le droit de vote des femmes, devaient en même temps briser d’autres chaînes.

Le dialogue est aussi profond que l’étaient les luttes des femmes travailleuses au sein du mouvement des « suffragettes » britanniques. A la suite du mouvement suffragiste « constitutionnel » ou « modéré » de la fin du XIXe siècle, le mouvement des suffragettes fut au départ un mouvement radical, qui défendait l’action directe, qui s’est illustrée par la fondation en 1903 à Manchester - cœur de la révolution industrielle - de l’Union Sociale et Politique Féminine (USPM), par Emmeline Pankhurst et ses filles Christabel et Sylvia. Ce mouvement suffragiste radical est devenu un mouvement de masse interclassiste, et a acquis une grande importance politique et sociale à travers de puissantes campagnes militantes qui ont mobilisé des milliers de femmes.

La réalisatrice Sarah Gavron et la scénariste Abi Morgan ont donné à Emmeline Pankhurst, interprétée par Meryl Streep, une présence inspiratrice dans l’ombre de cette grande mobilisation. Il est déjà surprenant que le cinéma commercial propose un film sur l’un des plus importants mouvements de femmes en Angleterre, mais il est encore plus étonnant que la protagoniste soit une femme blanchisseuse. C’est bien évidemment un fait dont nous devons nous réjouir, alors qu’en plein XXIe siècle l’histoire de la classe travailleuse est rendue invisible, tout comme les expériences des femmes ouvrières.

Les magnifiques images gris-bleues prises au travers des vapeurs de la blanchisserie racontent de manière à la fois poétique et crue les terribles conditions dans lesquelles les travailleuses se battaient pour le droit de vote des femmes. Leur lutte impliquait non seulement de s’affronter à la famille et au mari, mais aussi à l’exploitation à l’usine et à l’oppression du patron qui ne se contentait pas de leur sang et de leur sueur, mais abusait également d’elles sexuellement. Il s’agissait donc de lutter contre l’oppression patriarcale dans sa forme de domination la plus profonde.

Le film retranscrit de façon fidèle les scènes de femmes occupant les rues, mettant feu aux boites-aux-lettres et jetant des pierres sur les commerces et établissements publics ; tout comme leur revendication à être reconnues prisonnières politiques en se mettant en grève de la faim dans les prisons.
Ce qu’il manque, c’est de montrer que faisant partie d’un mouvement massif, elles n’étaient pas isolées socialement. Au contraire, la radicalisation de ce mouvement qui a abouti à l’emprisonnement généralisé des suffragettes qui refusaient de payer les amendes - le film parle de 1000 femmes -, a créé un imaginaire collectif de « martyrs », avec des scènes de foule en soutien à leur lutte, lorsqu’elles étaient en liberté.

Il y a de quoi rester de glace quand on voit la jeune Maude faire grève de la faim en prison, face à la dureté du traitement carcéral qui appliquait l’alimentation forcée. Pour autant, ces femmes étaient loin d’être isolées quand elles sortaient de prison, comme le montre le film. Une indignation publique s’était développée en leur faveur, qui a y compris forcé le gouvernement à adopter une loi qui permette de libérer les activistes en grève de la faim quand celle-ci mettait leur vie en danger. Cette loi dit « du chat et de la souris » avait ses limites, puisqu’une fois que les femmes allaient mieux, elles devaient retourner en prison.

Rappeler leur histoire, une tâche militante pour l’émancipation des femmes

Ce film revêt d’une grande importance pour la lutte des femmes encore aujourd’hui. Son approche, qui part de l’expérience d’une femme ouvrière qui se radicalise est un point de vue très peu développé au cinéma. Pour beaucoup d’entre nous, femmes militantes, ce film permet de réfléchir sur toute l’histoire des « suffragettes ».

Le film se passe en 1912, au moment le plus fort du mouvement qui s’était renforcé par un processus de grève commencé en 1911, lors duquel la répression s’est amplifiée. Ce n’est pas anodin si la police de Scotland Yard utilisait pour la première fois de l’histoire un appareil photo afin de poursuivre les militantes et les emprisonner, comme le montre le film.

Edith Ellyn, jouée par l’actrice Helena Bonham Carter, est une autre suffragette, pharmacienne et « cuisinière » de bombes renommée. Elle est l’unique militante recevant l’appui de son mari dans le film, militant fidèle pour la cause des femmes. C’est lui qui dans un passage du film, évoque un moment crucial du mouvement des suffragettes : sa division face à la remise en cause par Sylvia, une des filles d’Emmeline Pankhurst, de la stratégie militante de sa mère.

Depuis 1911 déjà, Sylvia montrait ses divergences avec l’Union fondée par sa mère, considérant que celle-ci s’éloignait des principes socialistes. C’est après la Première Guerre mondiale, où le film s’arrête, que les divergences se sont approfondies.

Emmeline Pankhurst a opéré un virage politique pour se mettre au service du gouvernement britannique, et l’USPM a remplacé le nom de son journal « La Suffragette » par « La Britannique ». Elle a même été jusqu’à dire qu’il fallait suspendre les revendications des femmes afin d’appuyer le gouvernement britannique dans la guerre. Cependant, Sylvia a poursuivi son travail militant avec les femmes ouvrières, luttant pour le droit de vote des femmes et pour l’égalité salariale, tout en suivant la position pacifiste prise par les organisations du mouvement ouvrier. Elle a fondé la Women’s Peace Army (l’armée des femmes pour la paix) et a milité au sein du parti travailliste.

Quelques années plus tard, Sylvia a appuyé la Révolution Russe de 1917 et a rencontré Lénine lors d’une visite en Russie soviétique. Cela lui a coûté cinq mois d’emprisonnement en Angleterre à son retour. On a alors commencé à la surnommer « la petite demoiselle de Russie », lorsqu’en juillet 1917, le journal qu’elle dirigeait a pris le nom « le cuirassé des femmes ». Elle est fondatrice du parti communiste anglais, duquel elle s’est ensuite éloignée durant le régime stalinien. Sylvia a également soutenu la révolution Espagnole.

La première Guerre mondiale a partiellement mis fin au mouvement suffragiste qui avait acquis une dimension internationale, se développant dans plusieurs pays d’Europe. Le mouvement s’est retrouvé bloqué lorsque la majorité des organisations féministes se sont volontairement mises au service de leurs propres gouvernements. Emmeline Pankhurst et sa fille Christabel ont appelé à une manifestation en 1915 avec le slogan : « le vote pour les héroïnes, de même que pour les héros », au moment le plus important de la division du mouvement féministe au niveau international.

En 1918, le droit de vote est concédé aux femmes de plus de 30 ans ayant un haut niveau économique. Les femmes obtiennent finalement le suffrage universel dans les mêmes conditions que les hommes en 1928.

Le film nous montre que pour obtenir cela, des dizaines d’années plus tôt, des centaines de femmes ont dû se battre contre la police, être emprisonnées et subir tous types de maltraitances et d’humiliations. On peut mentionner l’alimentation forcée par un tuyau mis dans les narines et la bouche, et en introduisant la nourriture à l’aide d’un entonnoir. Elles perdaient leur travail quand elles se rebellaient en donnant des coups de planche sur les mains de leur patron. Elles perdaient leurs enfants face au mépris de leurs maris.

Le droit de vote fut accordé aux femmes parce qu’auparavant, elle avaient fait la grève de la faim, du sommeil et de la soif. Ou encore parce qu’elles avaient brûlé des courriers, fait exploser la maison de vacances du premier ministre, qu’elles avaient été écrasées par le cheval du prince, avaient pris les rues, avaient brisé les vitres des édifices publics et des partis politiques qui considéraient que si les femmes votaient, « la structure sociale se perdrait ».

Elles voulaient voter. Elles voulaient « vivre leur vie d’une autre manière », que les futures petites filles ne naissent plus dans l’usine pour ensuite y travailler dès l’âge de sept ans et grandir avec les douleurs au corps que leur courte vie pourrait supporter.

Nous devons rappeler leur histoire pour continuer à militer contre ce système patriarcal qui légitime le système d’exploitation actuel. Parce que la moitié de l’Humanité revendique encore de pouvoir « vivre autrement », vivre sans féminicides ni agressions sexuelles, sans morts d’avortements clandestins, sans précarité au travail ni inégalité salariale, sans expulsions ni pauvreté, sans droits interdits ni réduits.

 
Revolution Permanente
Suivez nous sur les réseaux
/ Révolution Permanente
@RevPermanente
[email protected]
www.revolutionpermanente.com