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La Izquierda Diario
8 de décembre de 2021 Twitter Faceboock

Grève des travailleurs dans la social !
"Depuis 20 ans nos salaires sont gelés" : trois travailleurs sociaux témoignent sur leur grève nationale

Yohan est éducateur spécialisé dans la protection de l’enfance ( MECS) à Toulouse, Lucas est travailleur au Samu social et intervient auprès de sans-abris, et Nicolas est animateur en centre social et en foyer de jeunes travailleurs, à Lille. Tous trois militants à Révolution Permanente sont revenus sur la grève très suivie du travail social, mardi 7 décembre et reviennent sur les perspectives du mouvement.

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Crédit : Karim Ait Adjedjou

RP : Pouvez-vous revenir sur la grève d’hier dans le travail social ?

Lucas : Hier il y avait une grève nationale pour plusieurs raisons, la première c’est des conditions de travail déplorables avec des salaires bas, des contrats précaires, la seconde c’était contre le manque de moyens dans le secteur, bien en dessous des besoins que nous rencontrons. Depuis le début de la crise Covid il y a deux ans, on est un des métiers qui a été le plus exposé, pourtant à part des beaux discours nous n’avons rien eu. Il y a un vrai sentiment d’injustice, le social est un secteur très difficile, avec des risques psychosociaux très élevés. On a tous des collègues qui ont fait des burn-out, d’autres qui viennent bosser sous médocs pour tenir le coup. On voit des professionnels diplômés depuis à peine quelques années craquer et partir écœurées, se réorienter dans d’autres domaines parce qu’ils ont été dégoutés. On fait des métiers où la bonne volonté que nous mettons en œuvre ça ne suffit pas, il y a tellement aucun moyen qu’on ne peut plus bien bosser.

Nicolas : Ce qu’on a pu voir hier, c’est qu’il y avait une grève qui a été largement suivie dans le secteur. Plusieurs milliers de travailleurs ont manifesté à Paris, Toulouse, Bordeaux, Strasbourg, Quimper ou encore à Lille, où nous étions plus de 3000 à défiler. De façon évidente, ça montre ras-le-bol, notre secteur est un des grands oubliés, depuis 20 ans les salaires sont gelés. Comme c’était dit hier dans nos manifs, le travail social n’est pas à vendre. Là pour 2022 ils veulent nous imposer la fusion de deux conventions collectives, la 57 T1 et la 66 et d’en faire une unique, ce qui veut dire, la précarisation des travailleurs sociaux et supprimer les avantages que nous avions gagnés.

Yohan : Hier on était en grève et dans les manifestations, la mobilisation était appelée par les collectifs et syndicats du travail social. On se bat contre la fusion des conventions collectives et contre la dégradation de nos salaires et de nos conditions de travail depuis plusieurs années. C’est une grève inédite, on a rarement été aussi nombreux, il y a des rassemblements partout en France. Ça s’explique aussi parce que pendant le covid on a été en première ligne dans les foyers, dans les maisons d’enfants, dans les IME, dans le secteur de le handicap ou encore de l’insertion sociale, on est les invisibles de la société, personne n’a parlé de nous et on a été méprisé pendant le Ségur. C’est simple, on n’a eu aucune augmentation, nous on revendique aujourd’hui une augmentation d’au moins 300 €, et 190 € immédiatement, avec l’élargissement du Ségur pour le personnel éducatif, social et administratif des établissements sociaux et médicaux sociaux.

RP : La mobilisation des travailleurs du social elle exprime quelle situation du secteur pour vous trois ?

Yohan : Ils veulent avec leur projet de fusion des conventions collectives nivelées par le bas, on veut combattre la précarité en précarisant ceux qui bossent contre ça, mais depuis de nombreuses années la réalité c’est qu’on nous casse. Les indices de nos salaires sont gelés depuis des années, je ne vous parle même pas des éducateurs en formation, ils sont obligés de trouver des stages qui ne sont pas payés souvent ou payés au max 500 € par mois, ce n’est pas suffisant pour vivre.

Lucas : Il y a un fossé qui se creuse entre les moyens alloués et les besoins depuis des années, que ce soit dans le privé ou dans le public. On a des situations catastrophiques quels que soient les secteurs. Au niveau de l’hébergement d’urgence pour l’insertion adulte, tous les dispositifs sont plus que saturés. Il y a 300 000 personnes qui vivent dans la rue, des familles entières, des personnes âgées, des personnes en situation de handicap. Quand on a un enfant en situation de handicap, on peut attendre plusieurs années une orientation en structure spécialisée tellement on manque de places. La protection de l’enfance, c’est un des secteurs dans lequel il y a le plus de maltraitance, avec des travailleurs sociaux démunis qui ne savent plus quoi faire pour répondre aux besoins d’enfants en détresse.

Nicolas : Plus largement il y a un parallèle à faire avec le monde associatif, et notamment les animateurs. Le travail social est traversé par l’associatif, la plupart des foyers pour jeunes, des ESAT, des travailleurs des foyers de travailleurs sont des associations. Il faut dénoncer le fait que les financeurs sont une bureaucratie déconnectée du terrain et la catastrophe qu’est la logique libérale de l’appel à projet. En gros, les projets sont financés avec la mise en concurrence des assos les unes envers les autres. Cette réalité on la retrouve dans l’enfance, les handicaps mais aussi tout le social.

Yohan : Comme le dit Lucas on marche sur les œufs, on est toujours face à des obstacles pour obtenir des subventions. Par exemple, dans le privé, les salariés font face à un double obstacle dès qu’on réclame plus de moyens. En premier, les financeurs, c’est-à-dire les pouvoirs publics à travers la préfecture, le conseil départemental ou l’agence régionale de Santé par exemple, qui distribuent les subventions aux associations. Vu les budgets de l’Etat alloués au social et au médico-social, leur but à eux c’est de donner le moins possible, donc ils mettent en concurrence les associations, en lançant des appels à projets. Pour obtenir les subventions, les associations se battent pour proposer les coûts les moins élevés possible. C’est là qu’on rencontre le deuxième obstacle, les employeurs. Pour rester dans les bonnes grâces des financeurs, les employeurs proposent les projets les moins chers possible. Bien sûr, ceux qui en paient le prix derrière, c’est les salariés qui sont sous-payés, et les personnes qu’on accompagne pour lesquelles on n’a aucun moyen.

RP : Comment vous voyez la suite maintenant ?

Nicolas : Les grèves sectorielles c’est bien, ça a permis de lancer une dynamique mais maintenant faut aller plus loin. Déjà dans notre propre secteur faut qu’on arrive à faire du lien entre les différents secteurs du travail social mais aussi avec l’animation. Plus largement, il faut faire du lien avec les travailleurs en grève dans les transports, la santé ou encore le monde de l’éducation mais aussi ceux qui se sont battus par exemple à Leroy Merlin. On est dans une situation où on doit imposer la question des salaires et du pouvoir d’achat face aux réactionnaires de Zemmour à Macron. Face à leurs délires réactionnaires nous on veut gagner sur nos conditions de vie et il faut qu’on tape ensemble, qu’on force les syndicats à appeler à un vrai plan de bataille, pour l’instant ce n’est pas le cas, on le voit avec l’animation il y avait une première date début novembre, là on avait une date chez les travailleurs sociaux et là on a de nouveau une date dans l’animation. Il faut qu’on construise des liens et qu’on descende ensemble dans la rue.

Lucas : Le 7 c’était une réussite, mais ça doit être une répétition générale, maintenant faut se redonne RDV mais la prochaine fois on ne sort pas juste une journée, on sort pour bloquer jusqu’à ce qu’on obtienne des résultats. Il faut sortir de la logique d’interpellation des gouvernements, financeurs, employeurs, on ne doit pas juste tirer la sonnette d’alarme. En face ils sont très conscients de la situation et de la galère que c’est, mais ils s’en foutent. Le seul moyen d’amélioration que nous avons, c’est de leur imposer ce qu’on veut et pas d’attendre de les attendrir. Ils essayent de nous endormir, c’est ce que font en ce moment les syndicats employeurs comme Nexem, ça fait 20 ans qu’ils gèlent le point d’indice et qu’ils refusent toute revalorisation, mais aujourd’hui ils font semblant de demander que notre secteur soit concerné par la même revalorisation que le Segur de la santé. Une bonne manière de se relégitimer et de faire semblant qu’ils sont dans notre camp. Sauf que le Segur c’est 183€ mensuels, alors que pour rattraper nos salaires gelés depuis 20 ans il faudrait au moins 300 ou 400€ de plus pour toutes et tous.

Pourtant, on a vu pendant le Covid que le problème ce n’était pas l’argent qui manquait, mais bien les choix politiques. Le gouvernement a sorti 100 milliards de son chapeau pour financer des grandes entreprises qui dans le même temps licenciaient des milliers de personnes. Quand on voit l’enrichissement des plus grandes fortunes, alors que depuis 2018, le nombre de SDF a doublé en passant de 150 000 à 300 000 en France, on voit bien que l’argent il existe et qu’on pourrait s’en servir. De plus en tant que travailleurs sociaux on voit bien que le « monde d’après » qui arrive, va être encore plus terrible et que ce qu’ils veulent nous offrir c’est la précarité. Que ce soit tous les licenciés de la crise du Covid, les gens qui vont être jetés dans la misère par la réforme de l’assurance-chômage, la perte du pouvoir d’achat… En plus de ça, le climat actuel met hors du débat ces questions en nous parlant sans arrêt d’immigration, d’islam et de thèmes réactionnaires. On voit bien dans notre travail qui nous amène à aider ceux dans la misère que ce sont des diversions et des bêtises sans nom, face à ça il faut qu’on réussisse à s’imposer, à mener nos luttes et à discuter avec les autres secteurs.

Yohan : La grève du 7 était importante pour impulser un mouvement, il faut aller au-delà de ça. Comme dans le travail social, dans l’éducation, la santé ou dans différentes grèves à l’image de Leroy Merlin comme en parlait Nicolas, la question du salaire et des conditions de vie se pose. Les organisations syndicales doivent appeler à unir les colères et les grèves pour parler pouvoir d’achats et salaires. On ne peut pas se contenter uniquement de mobilisations sectorielles, qui font qu’hier c’était les animateurs, que demain ce sera les profs ou la santé, ça ne suffit pas, il faut qu’on se batte ensemble sinon on n’a pas d’impact. Il faut qu’on se rassemble, que les travailleurs se battent de manière commune pour imposer nos revendications. C’est aussi ce qu’on porte tous les trois dans la campagne qu’on mène actuellement avec Anasse Kazib pour 2022, la nécessité de relever la tête et de prendre le contrôle de nos luttes.

 
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