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La Izquierda Diario
14 de janvier de 2016 Twitter Faceboock

Tribune
Le « sécuritarisme » version Valls-Hollande sera inefficace

Le 13 janvier 2016

« La guerre !... Qui osera contredire ce cri si imposant ? Personne, si ce n’est ceux qui sont convaincus qu’il faut délibérer mûrement , avant de prendre une résolution décisive pour le salut de l’Etat et pour la destinée de la Constitution, ceux qui ont observé que c’est à la précipitation et à l’enthousiasme d’un moment que sont dues les mesures les plus funestes qui aient compromis notre liberté…C’est pendant la guerre que le pouvoir exécutif déploie la plus redoutable énergie, et qu’il exerce une espèce de dictature qui ne peut qu’effrayer la liberté naissante... C’est pour la guerre…qu’ont été combinées les dispositions trop peu connues de ce nouveau code qui…. fait taire … les lois qui protègent les droits des citoyens. » Robespierre.

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La théâtralisation des morts du Bataclan et des environs a permis aux communicants de « vendre » ou « d’accréditer » l’image d’un Exécutif protecteur, en présidentialisant un Président qui le semblait fort peu aux yeux d’une très large partie de la population. L’état de guerredéclaré, sous cet angle, n’apparaît pas sans homologie avec l’usage que l’équipe Bush fit du 11 septembre pour assoir l’autorité du président des Etats-Unis et imposer lePatriot Act. La guerre grandit qui la déclare et s’en proclame chef. Alors qu’en France, l’Exécutif était perçu comme incapable de protéger du chômage, incapable de maintenir les services publics qui protègent, alors que ce Président semblait l’un des moins charismatiques qu’ait connu la fonction, voici que l’usage et la gestion de la situation (la théâtralisation des morts et la théâtralisation de la menace) le placent dans une position inespérée : en charge de la« sécurité » des français et« en plein centre » d’un jeu politique hexagonal qui passera par la révision constitutionnelle, ce qui n’est pas pour rien dans la brusque hausse de sa côte de popularité. Sans doute espère-t-il passer ainsi d’un charisme situationnel à un charisme personnel.

A présent, le gouvernement, poussé par la logique de guerre qu’il a décidée, affolé sans doute par la montée du FN et probablement soucieux de conquérir une partie de l’électorat de l’extrême droite, non seulement appelle à « l’état d’urgenceéconomique et social » mais propose de l’étendre en augmentant considérablement les pouvoirs de la police et de l’autorité politique au détriment de l’indépendance de la justice. Ce n’est pas nouveau, l’Etat cherche depuis longtemps à limiter l’autorité des magistrats indépendants. Cette guerre aux terroristes, théatralisée, sorte de « Patriot Act » à la française,{}étendue à la guerre en Syrie et en Irak, pousse à renforcer l’arsenal répressif et entraîne des risques considérables d’atteintes aux droits essentiels des citoyens. Au nom d’une mobilisation contre l’extrême droite ces mesures reprennent à leur compte des propositions du FN qui s’empresse de pavoiser et de se poser en garant moral en proclamant qu’« être français ça se mérite », et qui réclame leur extension à d’autres catégories. Rien ne dit, en effet, que les procédures et les sanctions ne s’appliqueront qu’aux seuls « terroristes » et ne seront pas étendues à d’autres délits, réels ou supposés, commis ou intentionnels, comme on l’a vu avec l’assignation à résidence de militants écologistes pendant la COP 21. Affirmant vouloir protéger les citoyens de telles mesures fragilisent les droits ! En cas de conflits sérieux dans une entreprise ou contre une politique économique qui démantèle les droits des salariés, l’arsenal répressif nouveau permettra de rapidement « criminaliser » le mouvement social.

Ces mesures entrainent un déplacement du champ politique dans son ensemble vers la droite qui ne peut, surenchère électorale oblige, que pousser chaque parti un peu plus à droite. Ne serait ce qu’en rappelant à tous les étrangers que leur présence n’est que temporaire et aux français récemment naturalisés et aux français, fils d’immigrés, nés sur le sol français, qu’ils sont révocables, et, pire, que la nationalité qu’ils croyaient posséder n’était qu’une nationalité de chiffon. Une telle violence légale qui engendre l’appréhension de la précarité, ne peut, hélas, que susciter la violence. D’ores et déjà, les « contrôles au facies » deviennent encore plus fréquents et comme encouragés. Plus de 3000 personnes« représentant des risques pour la sécurité et l’ordre public » se sont vues refuser l’entrée sur le territoire national. Les discriminations xénophobes s’intensifient (dans l’accès aux logements, à l’embauche, etc.). Le « racisme ordinaire » dont se nourrit le FN s’en trouve légitimé.

Ce glissement à droite légitimera aussi, et bien vite, les dominants économiques à réclamer toujours plus d’avantages et à limiter toujours plus les droits des salariés comme l’affirme aujourd’hui le président du MEDEF qui veut flexibiliser le travail, casser le code du travail et contrôler la formation professionnalisante plus que ce n’est déjà le cas, et comme le président du CNPF de 1938 l’avait fait après la répression du syndicalisme organisée par le gouvernement de Daladier.

L’Histoire, en effet, peut nous laisser craindre le pire. En 1938, le gouvernement Daladier, dans un contexte de crise économique et de tensions internationales, durcit considérablement la réglementation sur le séjour des étrangers, créa des camps (dès janvier 1939 en Lozère) pour les « étrangers indésirables », ficha les militants syndicaux et communistes, fit arrêter les « meneurs », instaura une collaboration économique avec l’Allemagne nazie, rétablit les bonnes mœurs en promulguant le « Code de la famille », en somme prépara Vichy avant Vichy. Les restrictions apportées aux libertés pourraient dans quelques mois et dans d’autres situations politiques se révéler tout aussi dangereuses.

Reste que le « sécuritarisme », version Valls-Hollande, sera en tout point inefficace. Il n’impressionne aucun djihadisme. Tout à l’inverse ! Les actions terroristes fonctionnent, elles aussi, et très sciemment, comme des théâtralisations de la violence (par rapport aux vraies guerres infiniment plus violentes et plus cruelles en pertes humaines). Depuis novembre l’Exécutif, en en rajoutant dans cette théâtralisation, donne à DAECH une publicité que ce groupement (qui, lui-même, est en compétition avec d’autres de même genre) recherche avidement. La réaction de l’Etat, en même temps qu’elle banalise les thèmes traditionnels et les solutions du Front National, sert ainsi la cause de DAECH, sous couvert d’essayer de l’éradiquer.

Christine Delphy, Christian de Montlibert , Willy Pelletier (sociologues)

Notre première rencontre antiguerre se tient comme prévu à la Bourse du Travail de Paris, 3 rue du Château d’Eau (métro République), salle Varlin, le vendredi 15 janvier à 19H, à l’appel des signataires de la tribune« A qui sert leur guerre ? »

Parmi les signataires du texte « A qui sert leur guerre ? » :GiorgioAgamben (philosophe), Etienne Balibar (philosophe), Ludivine Bantigny (historienne), Emmanuel Barot (philosophe), Judith Bernard (enseignanteen lettres, comédienne etmetteureenscène), Jacques Bidet (philosophe), Christophe Bonneuil (historien), Thomas Bouchet (historien), Louise Bruit Zaidman (historienne), Claude Calame (helléniste et anthropologue), Déborah Cohen (historienne), Thomas Coutrot (économiste), Alexis Cukier (philosophe), François Cusset (historien des idées), Laurence De Cock (historienne), Christine Delphy (sociologue), Judith Depaule (metteure en scène), Paul Dirkx (sociologue), Joss Dray (auteure, photographe), Cédric Durand (économiste),Sophie Fesdjian (anthropologue),Eric Fournier (historien),Fanny Gallot (historienne), Isabelle Garo (philosophe), Franck Gaudichaud (politiste), François Godicheau (historien), Nacira Guénif (sociologue et anthropologue), Eric Hazan (éditeur), Louis Hincker (historien), Sabina Issehnane (économiste), François Jarrige (historien), Fanny Jedlicki (sociologue), Nicolas Jounin (sociologue), Razmig Keucheyan (sociologue), Bernard Lacroix (politiste), Rose-Marie Lagrave (sociologue), Xavier de Larminat (sociologue), Fanny Layani (historienne), Marius Loris (historien, poète), Pascal Maillard (universitaire et syndicaliste), Philippe Marlière (politiste), Laurent Mauvignier (écrivain), Rostom Mesli (chercheur en études du genre),Marwan Mohammed (sociologue), Jeanne Moisand (historienne), Jean-Luc Nancy (philosophe), Olivier Neveux (historien de l’art), Frédéric Neyrat (philosophe), Frédéric Neyrat (sociologue), Valérie Osouf (réalisatrice), Ugo Palheta (sociologue), Eugénia Palieraki (historienne), Elise Palomares (sociologue), Robert Pelletier (syndicaliste), Willy Pelletier (sociologue), Irène Pereira (sociologue), Pierre Salama (latino-américaniste), Valentin Schaepelynck (chercheur en science de l’éducation), Siné (dessinateur), Bernard Stiegler (philosophe), Annie Thébaud-Mony (sociologue), Julien Théry-Astruc (historien), André Tosel (philosophe), Rémy Toulouse (éditeur), Sylvie Tissot (sociologue), Enzo Traverso (historien),Eleni Varikas (politiste), Christophe Ventura (Mémoire des luttes), Xavier Vigna (historien), Louis Weber (sociologue)

 
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