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La Izquierda Diario
15 de décembre de 2021 Twitter Faceboock

Intervention impérialiste
Mali. Barkhane quitte le nord du pays, les raisons d’un redéploiement
Philippe Alcoy

Les forces de Barkhane ont quitté la base de Tombouctou après Kidal et Tessalit mais l’impérialisme français reste au Mali et dans la région. Les raisons de cette réorganisation sont multiples dans un contexte d’hostilité populaire grandissante.

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Ce mardi les forces de l’opération française Barkhane ont quitté la base qu’elles occupaient à Tombouctou, importante ville du nord du Mali. Ce retrait s’ajoute à celui des bases de Kidal et Tessalit, aussi dans le nord et il fait partie du plan de réorganisation de l’intervention française dans le pays et dans le Sahel annoncé par Macron en juin dernier. Selon ce plan de redéploiement les forces françaises de Barkhane doivent abandonner le nord du pays et se concentrer dans le centre, notamment dans la zone des la triple frontière (Mali-Niger-Burkina Faso). Ainsi, les soldats partis de Tombouctou se concentreront dans la base de Goa. L’idée du gouvernement français est de réduire le nombre de ses troupes de 5100 à autour de 3000 d’ici 2023 et de donner un rôle plus important aux soldats européens de la task force Takuba (900 membres) et à la mission de l’ONU, la MINUSMA (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali).

Il s’agit d’une évolution importante après près de 9 ans d’intervention française, qui cependant n’est pas encore finie. En effet, Tombouctou est une ville symbolique non seulement par ce qu’elle représente pour le Mali et pour la culture islamique, mais aussi parce que c’est dans cette ville que François Hollande faisait un premier discours triomphaliste en 2013, laissant croire que l’armée française intervenait dans l’intérêt des populations civiles contre les groupes et armées islamistes. Une intervention qui, selon le président de l’époque, devait être « courte ».

Plus de huit ans plus tard les résultats de cette intervention impérialiste sont calamiteux, principalement pour les travailleurs et les populations locales. Non seulement la promesse de la « protection des populations civiles » n’a pas été tenue, mais même d’un point de vue militaire et politique les groupes et armées islamistes se sont multipliés, leur aire d’action s’est étendue non seulement à d’autres régions du Mali mais aux pays voisins, notamment le Niger et le Burkina Faso. Autrement dit, huit ans plus tard le Mali est devenu un pays profondément militarisé et les pays voisins comme le Burkina Faso qui faisaient figure de « pays stables » vivent aujourd’hui sous la menace constante d’attaques terroristes.

A cela il faut ajouter des crises internes provoquées par le conflit lui-même. Certains analystes dénoncent « l’ethnicisation » du la guerre. Ainsi, Mady Ibrahim Kanté affirme : « Alors que l’intervention française était censée aider le Mali à combattre le terrorisme, la crise dans la région s’est métamorphosée en un conflit ethnique interne. Dans la région de Mopti, il existe un conflit entre les Peuls et les Dogons, ainsi qu’entre les Bambaras et les Peuls. A Tombouctou et à Gao, il y a un conflit entre les Touaregs et les Arabes d’une part, et entre les Touaregs et les Songhaïs d’autre part ». En ce qui concerne Tombouctou par exemple, cette ville a su être un point touristique important mais depuis près de dix ans elle n’en a pas vu. C’est-à-dire qu’aux difficultés de la guerre, ethniques et politiques s’ajoutent les problèmes économiques qui résultent de la crise.

Il n’est donc pas étonnant que dans ce contexte l’hostilité de la population à l’égard de la France et à son armée soit de plus en plus forte. Et cela non seulement au Mali mais également dans les pays voisins, comme on l’a vu au Burkina Faso où un convoi de l’armée française en direction de la base de Gao au Mali a été bloqué à deux reprises par des manifestants exigeant la fin de l’intervention française. Plusieurs manifestants ont été blessés par balles et au moins deux manifestants ont été morts suite à ces incidents. Ces morts s’ajoutent à d’autres crimes imputés à la France et ses alliés au cours de ces longues années d’intervention contre les populations civiles.

La méfiance et l’hostilité grandissante de la population de ces pays devient ainsi l’une des difficultés les plus importantes de l’armée française sur place. Et pourtant au début de l’opération Serval (devenue Barkhane) la population se montrait plutôt favorable aux troupes françaises. Aujourd’hui celle-ci est perçue de plus en plus comme une armée d’occupation, ce qui dans un contexte de grande concurrence inter-puissances dans la région est très dangereux pour les intérêts de l’impérialisme français au Sahel et en Afrique en général.

Du point de vue des classes dominantes locales, cette guerre sans fin est source de tensions permanentes, comme on a pu le constater lors de deux coups d’Etat en août 2020 et avril 2021. L’intention de réorganisation de Barkhane n’a fait qu’accentuer les inquiétudes d’une partie des élites maliennes dont l’instinct de survie a poussé à tenter de diversifier ses alliés, ouvrant une période de crise avec la France. Notamment après que la presse ait révélé que les putschistes maliens seraient en discussions avec la compagnie russe de mercenaires le Wagner Group. Voyant un danger trop important pour ses intérêts dans le pays (et avec le précédent centrafricain en tête) le gouvernement français n’a pas épargné les discours cyniques et hypocrites sur les « violations des droits humains » (certes, réels) de cette « entreprise ».

C’est dans ce contexte complexe et périlleux qu’il faut comprendre la réorganisation de l’opération Barkhane. En effet, celle-ci même du point de vue des objectifs impérialistes c est désastreuse, un gouffre financier incroyable et, de plus en plus, un risque de déstabilisation politique pour les gouvernements français. La réduction des effectifs de Barkhane et leur remplacement par des troupes européennes, internationales (ONU) et les armées locales représente comme un bol d’air frais pour l’impérialisme français. Or, rien ne peut présager le succès de cette manœuvre. Et en même temps la France ne peut pas se payer un échec au Mali comme celui des Etats-Unis en Afghanistan. Le Sahel et l’Afrique jouent un rôle central d’un point de vue géopolitique et économique pour la France et sa soi-disant « grandeur ».

Pour les militaires maliens beaucoup de questions se posent. Un déploiement de la Russie à la place de la France semble assez improbable, notamment en ce moment où la Russie est de plus en plus inquiète pour la sécurité de sa frontière occidentale. D’ailleurs, du point de vue des intérêts de la classe ouvrière et des classes populaires maliennes, un déploiement de la Russie et/ou du Wagner Group ne représenterait rien de positif. Au contraire. Il est beaucoup plus probable que le gouvernement malien opte pour une négociation avec certains groupes et armées islamistes. Une perspective à laquelle la France s’est toujours opposée jusqu’ici. Sans aucun doute la visite d’Emmanuel Macron au Mali lundi prochain aura comme l’un des points importants ces questions.

Alors, l’armée française quitte le nord du Mali mais aucunement le Mali, le Sahel et encore moins l’Afrique. Elle ne peut pas se le permettre. L’Afrique est trop importante pour l’impérialisme français. Cela veut dire que la situation va continuer à se dégrader au Sahel et que les exactions (révélées ou occultées) contre les paysans, les travailleurs et la jeunesse vont aussi continuer. Cette situation ne peut avoir une issue progressiste que si la classe ouvrière et les secteurs opprimés de la région se soulèvent contre la présence des armées impérialistes au Sahel mais aussi contre les gouvernements corrompus et dictatoriaux locaux.

 
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