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25 de janvier de 2022 Twitter Faceboock

Amérique latine
Du Chili à la Grèce : les gouvernements néo-réformistes et l’opposition révolutionnaire
Fabián Puelma

Le nouveau président du Chili, Gabriel Boric, avait promis de sérieux changements, mais son programme réformiste est fait pour décevoir les masses. D’importantes similarités existent entre son gouvernement et celui de Syriza en Grèce de 2015 à 2019. Lors d’une discussion sur les questions internationales, Fabián Puelma, un révolutionnaire socialiste du Chili, est intervenu au meeting des organisations Trotskystes de Grèce.

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Camarades, avant tout j’aimerais vous remercier pour l’invitation. Je partage complètement avec vous l’idée de se réunir pour partager nos expériences entre le Chili et la Grèce, cela peut être réellement intéressant pour réfléchir sur la lutte révolutionnaire dans ces deux pays. En effet, le gouvernement de Gabriel Boric cherche l’inspiration dans les expériences réformistes de cette dernière décennie en Europe. Certes, la soumission rapide du gouvernement Syriza à la Troïka, et l’énorme déception que cela a généré dans des secteurs de la classe ouvrière et du peuple, nous permettent d’anticiper certaines des contradictions qui marqueront inévitablement la nouvelle expérience réformiste que nous vivons au Chili.

J’aimerais m’excuser d’avance pour mes erreurs d’anglais. Je partagerai avec les organisateurs la présentation écrite au cas où des parties ne sont pas comprises correctement.

Le gouvernement de Gabriel Boric (soutenu par le Frente Amplio, Front large du Chili, un groupe néo réformiste inspiré de Podemos en Espagne et par le Communist Party) représente une tentative de restaurer un nouveau projet de centre-gauche et de consolider la canalisation institutionnelle de la rébellion populaire d’octobre 2019. Rappelons-nous que la progression néolibérale (représentée par la Concertación, qui était l’alliance de partis qui a mené le pacte de transition à la fin de la dictature de Pinochet) traverse une phase de crise profonde. C’est pourquoi nous parlons de restauration. Ce n’est pas un hasard si Boris négocie aujourd’hui avec ces partis pour la conformation du gouvernement.

Comme je le disais, le gouvernement de Gabriel Boric chercher à consommer la déviation institutionnelle de la rébellion populaire. C’est pourquoi, avant d’aller plus loin dans la situation actuelle, j’aimerais expliquer brièvement quelles sont les caractéristiques de la révolution populaire.

Tout d’abord, nous devons placer la révolte dans un contexte international. Elle fait partie d’un cycle de la lutte de classe internationale qui a été initié par les Gilets jaunes en France à la fin de 2018. Dans ce même cycle, nous avons vu les protestations à Hong Kong, à Porto Rico, au Liban, et la résistance contre le coup d’État en Bolivie, entre autres processus. Nous pouvons appeler cela un « deuxième cycle de la lutte des classes » depuis l’éclatement de la crise capitaliste de 2008. Le premier cycle a été marqué par des processus comme le printemps arabe, le mouvement des Indignados 15M dans l’État espagnol, le mouvement de la place Taksim en Turquie, ou les manifestations massives de juin 2013 au Brésil. Je pense que les grèves générales en Grèce peuvent être placées dans ce contexte.

Une décennie de lutte

La révolte d’octobre au Chili a suivi plusieurs expériences de lutte dans le pays. La plus importante est celle des étudiants qui se sont mobilisés dans les années 2006 et 2011. Il y a eu également eu d’importants processus de grève des travailleurs précaires des mines et des ports. Sans oublier le mouvement massif contre le système de retraite privé et l’émergence d’un puissant mouvement de femmes.

Le gouvernement de Michelle Bachelet, de progressisme néolibéral, a essayé de contenir les mobilisations. Cependant, elle ne réussit pas à inverser la crise politique et la délégitimation des institutions. Après est venue la victoire de Sebastián Piñera. Il put gagner avec ses promesses de baisse de chômage et d’augmentation de la croissance économique. Mais ces attentes se sont heurtées à un mur. 2019 avait été une année de mauvaises nouvelles pour l’économie. Et les familles de travailleurs ont commencé à le ressentir dans leurs poches avec des revenus plus faibles et toujours plus d’endettement.
Le déclencheur de la rébellion a été la répression brutale de l’État contre les mobilisations déclenchées par les lycéens. Piñera a fait appel à l’armée pour mettre fin aux mobilisations, mais cela a fait exploser la colère dans tout le pays. Il s’agissait au départ d’une protestation contre l’augmentation du prix du métro, mais en quelques jours, elle a remis en question tout l’héritage de la dictature. Elle a ébranlé l’ensemble du système politique.

Le point culminant de la rébellion a eu lieu lorsque les principaux syndicats et organisations sociales ont appelé à une grève générale pour le 12 novembre 2019. L’aspect important de cette date est que le pays entier était paralysé. D’important secteurs de l’économie étaient bloqués, comme le secteur portuaire, les fonctionnaires, la santé et l’éducation. Au même moment, Il y avait des barrages routiers dans tout le pays, des barricades et de durs affrontements avec les forces répressives. À ce moment, le président Piñera était sur le point d’être renversé.

La classe dirigeante et les principaux partis politiques ont trouvé le moyen de sauver Sebastián Piñera en concluant un accord politique en vue d’élaborer une nouvelle constitution. Quelques jours plus tard, après la grève générale, l’ « Accord de Paix et la nouvelle Constitution » étaient signés. Cet accord fut établi lors d’un moment clé du calendrier électoral, l’élection d’une Assemblée Constituante. Mais une série de règles et de pièges ont été établis pour limiter la participation populaire. Parallèlement, il a été convenu que Piñera terminerait son mandat présidentiel.

Toutefois, l’accord a été perçu par beaucoup comme une trahison, comme un pacte conclu à huis clos et dans le dos du peuple, un accord signé par les mêmes partis de la droite, du progressisme néolibéral, et du réformisme. C’est à ce moment que Gabriel Boric s’est fait connaître comme un traître, puisqu’il a même signé l’accord à titre individuel, sans que son parti n’y souscrive officiellement. Alors que le Parti Communiste avait critiqué l’accord et ne l’ont pas signé. Ce ne fut pas facile de désamorcer la rébellion. La bureaucratie syndicale a joué un rôle très important à cette époque. Depuis la signature de l’accord, elle n’a appelé à aucune grève nationale pour exprimer ce rejet dans la rue. Le Parti Communiste et la bureaucratie syndicale empêchaient l’émergence de toute alternative à l’accord. C’était le moyen de désactiver la rébellion.

Au moment où la pandémie est arrivée, la déviation institutionnelle de la rébellion était déjà en cours. Après cela, ce qui a prévalu pendant les années 2020 et 2021, ce sont les élections. L’Assemblée Constituante a été installée avec une présence importante de candidats indépendants. C’est un processus qui est encore ouvert. Cependant, l’assemblée est restée subordonnée aux institutions du régime. La dernière de ces élections a été l’élection présidentielle où Gabriel Boric a gagné.

Le parti révolutionnaire des travailleurs

Quelles ont été les positions politiques que nous avons promues au cours de ces années ? La plupart d’entre vous ne connaissent peut-être pas notre parti. Notre organisation, le Parti révolutionnaire des travailleurs (PTR), fait partie de la Fraction trotskyste de la Quatrième Internationale (FT-CI). Notre organisation a émergé lors des mobilisations étudiantes des années 2006 et 2011. Après cela, nous nous sommes insérés avec succès dans différents lieux de travail, notamment parmi les enseignants, l’industrie et la santé. Nous avons également eu une première expérience électorale au cours de l’année 2017. À Antofagasta (une des principales villes du pays, et qui est une capitale minière, industrielle et portuaire du nord du Chili), nous avons réussi à obtenir plus de 3 % des voix.

Durant la révolte, nous avons convergé avec des milliers de manifestants pour lutter avec les slogans : renverser Piñera par la grève générale, pour une Assemblée constituante réellement libre et souveraine, et pour mettre fin à tout l’héritage de la dictature, dans la perspective de lutter pour un programme anticapitaliste et un gouvernement des travailleurs.

L’un de nos principaux combats a été de promouvoir des exemples d’auto-organisation. Nous avons appris qu’au plus fort de la lutte des classes, il est possible d’imposer le front unique à la bureaucratie. Cela nécessite une accumulation préalable, dans les syndicats, en nombre de militants et en reconnaissance politique. C’est ce que nous avons réalisé dans des villes comme Antofagasta. Pendant la rébellion, nous avons promu le Comité d’urgence et de protection, qui était l’organisation qui a coordonné la grève générale du 12 novembre dans la région avec les syndicats [et] les organisations de quartier et d’étudiants.

En 2021, nous avons participé aux élections de l’Assemblée constituante et des gouverneurs dans les principales villes du pays. Nous avons obtenu 52 000 voix, et notre camarade Lester Calderón, dirigeant des travailleurs miniers et candidat au poste de gouverneur, a obtenu 21 000 voix, ce qui correspond à environ 13 %.

Un nouveau gouvernement

Quelle est notre lecture du scénario actuel ? L’élection a été polarisée. Mais en arrière-plan, il y avait deux projets de restauration. José Antonio Kast, un ultra-droite et ultraconservateur, représentait la défense de la constitution politique de Pinochet. Gabriel Boric représente le projet de reconstruction d’une alliance entre le réformisme et le centre-gauche néolibéral.

La victoire de Boric a généré de large attentes en termes de changement. Il a gagné en proposant l’augmentation du salaire minimum et la réduction du temps de travail. Cependant, durant le second tour, il s’est rapidement tourné vers le centre. Il a promis de respecter l’ajustement fiscal de 22,5 % du budget pour cette année. En même temps, il ne parle plus de refondation de la police ou de la liberté des prisonniers de la rébellion. Il parle maintenant de renforcer la police. Il dit aussi qu’il sera difficile de mettre fin au système de retraite privé. Et au même moment, il est en négociation avec les partis de la Concertación pour une alliance de gouvernance.

C’est-à-dire que la plupart des revendications de la rébellion ont été remises en cause par le président lui-même. De plus, l’aile droite a été renforcée au Congrès, et tous les analystes disent que la situation économique pour cette année ne sera pas bonne. Une période s’ouvre dans laquelle la classe ouvrière et le peuple feront une expérience avec un nouveau gouvernement réformiste. Les attentes et les illusions prévalent encore, mais elles ne seront pas faciles à satisfaire.

Au sein du Parti révolutionnaire des travailleurs, nous ne nous battons pas seulement pour l’indépendance politique vis-à-vis du nouveau gouvernement. Nous pensons également qu’il est important de préparer l’organisation et la lutte pour les revendications de la rébellion d’octobre. Aucune de ces revendications n’a été satisfaite, et les conditions de vie de la classe ouvrière après la pandémie se sont dégradées. C’est pourquoi nous pensons que nous devons promouvoir la lutte pour ce programme, pour la fin du système de retraite privé, pour la fin de l’éducation et de la santé marchandes, pour la nationalisation de l’exploitation minière, pour la restitution des terres au peuple mapuche, entre autres mesures.

Notre organisation fait partie du mouvement pour la liberté des prisonniers politiques de la rébellion. Avec des dizaines de parents de prisonniers, nous promouvons la campagne de signatures pour que la Convention constitutionnelle inclue l’amnistie dans la constitution. En même temps, nous exigeons que le gouvernement accorde une grâce générale, comme le font les familles. Et nous dénonçons les tentatives de la coalition gouvernementale d’inclure les policiers dans cette grâce. C’est pourquoi nous pensons qu’il est nécessaire de construire une opposition de gauche au gouvernement. Et nous pensons que c’est une erreur que certains groupes trotskystes aient soutenu politiquement Boric.

Comme tout gouvernement social-démocrate réformiste, le gouvernement de Boric s’appuiera sur des alliances et des négociations avec les partis bourgeois. Il ne s’appuiera pas sur la mobilisation active de la classe ouvrière, la seule capable de faire échec au plan d’ajustement des grands capitalistes. C’est à la base de la trahison des réformistes, comme j’imagine que vous le savez très bien avec l’expérience de Syriza.

C’est dans cette perspective que nous nous battons pour construire un parti de la classe ouvrière, socialiste et révolutionnaire. En commençant par appeler à se regrouper tous ceux qui veulent se battre pour gagner les revendications d’octobre de manière totalement indépendante des partis réformistes et faire échec au plan d’ajustement.

 
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