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La Izquierda Diario
22 de janvier de 2022 Twitter Faceboock

Solidarité avec le peuple ouïghour !
Ouïghours. Dénoncer le génocide en cours sans aucune illusion sur l’impérialisme français
Irène Karalis

Ce jeudi, l’Assemblée nationale a adopté une résolution condamnant le génocide des Ouïghours par la Chine. S’il est essentiel de dénoncer les horreurs commises par le gouvernement chinois, il est aussi impératif de rappeler que l’émancipation des peuples opprimés ne pourra pas venir du soutien hypocrite des puissances impérialistes.

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Crédits photo : EMMANUEL DUNAND / AFP

Ce jeudi, l’Assemblée nationale a adopté une résolution condamnant le génocide des Ouïghours par la Chine. Mais cette condamnation des horreurs commises par le gouvernement chinois ne doit pas entretenir d’illusions à propos du Parlement et du gouvernement français, qui se sont toujours placés du côté de l’impérialisme et jamais du côté des peuples opprimés.

Un génocide culturel à des fins économiques

Principal groupe ethnique du Xinjiang, une région de l’Ouest de la Chine, les Ouïghours sont depuis des années enfermés dans des camps et subissent des persécutions allant du travail forcé à des viols, des stérilisations et des avortements forcés, en passant par une surveillance généralisée et la destruction de mosquées. Dans ces camps, tout est fait pour appliquer une politique d’assimilation forcée, afin que les Ouïghours « oublient leur religion et leur culture, et qu’ils deviennent patriotes ». Il y aurait ainsi un système de points pour évaluer « la transformation idéologique » des détenus, leur « respect de la discipline » et leur ardeur à « l’étude », les détenus étant désignés comme des « étudiants » devant « obtenir leur diplôme ».

Pour la Chine, au-delà de l’aspect culturel de ce génocide, la répression terrible des Ouïghours répond à des intérêts économiques bien précis. Les Ouïghours constituent en effet une main-d’œuvre nombreuse et gratuite pour Pékin puisque selon l’Institut australien de stratégie politique, des dizaines de milliers de Ouïghours travaillent dans des usines fournissant 83 marques telles qu’Apple, Sony, Adidas, Nike ou BMW. D’autre part, la région du Xinjiang constitue la première province productrice de coton en Chine. Elle constitue enfin une zone pétrolière et assure 28% des réserves de gaz naturel de la Chine et près de 40% des réserves de charbon. L’exploitation des ressources naturelles de la région permet donc de répondre à la demande énergétique de l’économie chinoise. En ce sens, pour continuer à piller et exploiter les ressources de la région, Pékin doit asseoir et maintenir sa domination sur les populations y habitant, quitte à réprimer, à mater les possibles révoltes et à enfermer des ethnies entières sous des prétextes culturels.

Bien que la proportion de Hans ait considérablement augmenté depuis 1949, date à laquelle le Xinjiang a été rattaché à la Chine, la population de la région reste majoritairement ouïghoure, musulmane et turcophone. Culturellement, le Xinjiang se rapproche plus de l’Asie centrale que de la Chine. C’est pourquoi la majorité des ouïghours sont hostiles à la tutelle de Pékin. Leur combat se dirige ainsi contre la domination économique et sociale des Hans, devenus l’élite de la région et les Ouïghours revendiquent le respect de leurs particularités, de leur culture et de leur identité.

D’une part, il y a donc une nécessité à être de façon absolue du côté des peuples qui luttent pour le droit à l’autodétermination et qui sont écrasés et parqués dans des camps de travail et d’internement dans le cas du peuple ouïghour par la bureaucratie au pouvoir à Pékin. Cette même bureaucratie qui torture des milliers de Ouïghours est la même qui bâillonne l’opposition démocratique en Chine et qui a réprimé les contestations de la jeunesse à Hong Kong. D’autre part, il y a un enjeu culturel et social à revendiquer le droit à l’autodétermination des Ouïghours, ainsi qu’à exiger des droits démocratiques.

Vote à l’Assemblée nationale pour reconnaître le génocide des Ouïghours : avancée sincère et progressiste ou dénonciation de façade ?

Ce jeudi, l’Assemblée nationale a adopté à la quasi-unanimité une résolution « portant sur la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que des crimes contre l’humanité actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l’égard des Ouïghours ». Parmi les députés, 169 ont voté pour, cinq se sont abstenus et un seul a voté contre.

Tour à tour, les députés qui ont défendu le projet de loi se sont fendus d’un soutien de façade. Olivier Faure, secrétaire du PS, a ainsi déclaré : « Nous avons le devoir de qualifier le martyre que subit aujourd’hui la minorité ouïghoure en Chine. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ». Constance Le Grip, députée Les Républicains, a renchérit, expliquant qu’il était « temps pour notre Assemblée nationale de sortir de son silence et de dénoncer solennellement les exactions de toutes sortes, les persécutions et violations graves et systématiques des droits de l’homme commises par les autorités de la République populaire de Chine à l’encontre du peuple ouïghour ». Des déclarations qui semblent bien hypocrites venant de la part d’un député du parti de Mitterrand, complice du génocide des Tutsis au Rwanda pour le premier, et, pour la deuxième, d’une députée du parti de ceux qui renchérissaient sur la nécessité de construire « un mur » à la frontière biélorusse.

En réalité, les droits de l’homme semblent être à géométrie variable pour la classe politique. La résolution adoptée à l’Assemblée nationale relève davantage de l’instrumentalisation du génocide ouïghour à des fins géopolitiques. Et pour cause : le Xinjiang cristallise le conflit entre les puissances impérialistes, en particulier entre la Chine et les États-Unis. L’ancien secrétaire d’État Mike Pompeo avait ainsi annoncé que les États-Unis bloqueraient l’importation des produits issus du « travail forcé » des Ouïghours, affirmant qu’il serait temps que la Chine « mette un terme au travail forcé supervisé par l’État et qu’elle respecte les droits humaines de tous les peuples ». Derrière les condamnations de façade se trouve ainsi en réalité pour les dirigeants des puissances impérialistes un moyen de faire pression sur la Chine et l’adoption d’une telle résolution ne doit pas entretenir d’illusions quant au soutien du Parlement et du gouvernement français aux Ouïghours.

D’une part, une telle résolution ne change pas grand-chose dans les faits. Mediapart explique ainsi qu’elle ne modifie en rien la position de Macron quant au génocide des Ouïghours : « S’il a condamné à plusieurs reprises la répression féroce dans cette région frontalière du nord-ouest de la Chine, le président de la République se garde bien d’employer ce terme pour ne pas froisser la République populaire de Chine, deuxième puissance économique mondiale et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. » Plus encore, le journal écrit : « Il est peu vraisemblable que les parlementaires de La République en marche qui ont voté pour le texte se battent pour faire en sorte que cela devienne une réalité. » Une telle résolution ne semble donc pas changer grand-chose pour le gouvernement français, qui a par exemple refusé de boycotter diplomatiquement les Jeux Olympiques d’hiver de Pékin, qui commenceront le 4 février.

D’autre part, le Parlement français n’a aucune légitimité à se solidariser du peuple ouïghour. Ce même Parlement qui prétend soutenir les Ouïghours cautionne l’offensive islamophobe du gouvernement depuis deux ans et votait il a un an la Loi Séparatisme. Si évidemment, il ne s’agit pas de mettre sur le même plan le génocide Ouïghour et la sitgmatisation des musulmans en France, il est hypocrite pour le Parlement de solidariser d’une population musulmande quand, dans le même temps, il fait tout pour les ériger en ennemi intérieur sur le territoire national.

Plus largement, il s’agit de rappeler le caractère réactionnaire et profondément pro-impérialiste du parlement français : ce dernier votait en 1956 le projet de loi visant à remettre les pleins pouvoirs à l’armée en Algérie pour commettre des crimes et écraser la population algérienne en lutte pour son indépendance. C’est également ce même Parlement qui votait il y a quelques mois l’État d’exception colonial en Guadeloupe, permettant par là-même à l’État français de réprimer la population guadeloupéenne. En réalité, le Parlement, de par son histoire et ses pratiques consistant à couvrir les politiques et les crimes commis par la France ou des pays dont l’impérialisme français est complice, n’a aucune légitimité ni morale, ni politique, pour se solidariser des peuples qui luttent pour leur liberté. La résolution, en invitant « le gouvernement français à reconnaître officiellement, et condamner, les crimes contre l’humanité et le génocide perpétrés par la République de Chine à l’encontre des Ouïghours », entretient ainsi des illusions sur le caractère réactionnaire et impérialiste de l’État français qui, dans son histoire, a bien plus opprimé des populations qu’elle n’en a aidées.

Contre le régime chinois et l’impérialisme, solidarité avec le peuple ouïghour !

Lors du vote, les quatre députés de la France Insoumise et le député PCF présents se sont abstenus. Mais dans quelle mesure leur abstention est-elle progressiste et liée au fait que les députés ne reconnaissent aucune légitimité au Parlement pour se solidariser du peuple ouïghour ?

Dans son discours devant les parlementaires, Clémentine Autain pointe justement l’hypocrisie d’une telle résolution : « Si génocide il y a, comment peut-on envoyer une délégation aux Jeux Olympiques à Pékin, nouer des partenariats commerciaux et même entretenir des relations diplomatiques avec la Chine ? ». Mais le reste de son argumentaire est discutable, cette dernière remettant en cause le terme de « génocide » : « Il s’agit ici d’une résolution qui engage la parole de la France et les mots doivent être pesés avec justesse et précision. Je suis historienne de formation et je sais que la communauté scientifique n’est pas unanime, il n’y a pas de consensus en son sein pour parler de génocide. » La députée se refuse ainsi à employer le terme de « génocide » quand il s’agit pourtant de dénoncer avec force et fermeté les crimes commis par la Chine.

Allant encore plus loin, le chef de file de la France Insoumise a expliqué auprès de 20 Minutes et de TF1 « ne pas croire à la thèse du génocide ». Plus encore, écartant le terme de « génocide culturel », Jean-Luc Mélenchon a presque qualifié le génocide ouïghour d’évolution culturelle, expliquant : « là on arrive dans une idée encore plus folle où il y aurait une norme et plus aucune société ne pourrait évoluer ». Enfin, cerise sur le gâteau, le candidat insoumis à la présidentielle reprend l’argumentaire du gouvernement chinois et réduit le génocide des Ouïghours à une « répression que fait le gouvernement chinois contre les organisations islamistes ouighoures ». Un tel argumentaire n’est pourtant pas tenable. Ainsi, le politologue et spécialiste de la Chine Rémi Castets explique auprès de 20 Minutes qu’il n’existe pas d’organisations islamistes de masse au Xinjiang.

Le député communiste Jean-Paul Lecoq, lui, a tenu à se dédouaner en expliquant que la qualification en génocide n’appartenait pas au législateur « mais au juge international ». Plus encore, affirmant que « la Chine est donc devenue un rival systémique. Dans cette nouvelle guerre froide, beaucoup de forces économiques et politiques ont intérêt à faire de la Chine un État sanguinaire pour préparer l’opinion à la guerre économique voire pire », le député tend à minimiser le nettoyage ethnique en cours au Xinjiang, faisant primer sa sympathie pour la bureaucratie chinoise.

En réalité, il s’agit de condamner fermement le génocide des Ouïghours commis par le gouvernement chinois au nom de la lutte contre le terrorisme, au même titre qu’il s’agit de dénoncer les crimes commis par les impérialismes français et américain au Maghreb, au Moyen-Orient et dans tous les endroits par lesquels l’impérialisme est passé. Mais la question n’est pas, comme le fait la résolution adoptée par l’Assemblée nationale, d’interpeller le gouvernement français, ce même gouvernement qui n’a aucun problème à passer des contrats avec les grandes entreprises occidentales qui profitent criminellement de la main-d’oeuvre ouïghoure, qui opprime les populations musulmanes sur son territoire ou qui refuse l’autodétermination des peuples qu’il opprime comme en Kanaky. À rebours d’une telle logique, il s’agirait de pousser le mouvement ouvrier et la jeunesse en Europe, aux États-Unis, en Chine et partout dans le monde, à se solidariser des peuples en lutte pour leur liberté. Enfin, dénoncer le nettoyage ethnique en cours implique d’ouvrir les frontières et de concéder le droit d’asile pour tous les réfugiés.

 
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