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31 de mars de 2022 Twitter Faceboock

Discussion
Mélenchon, la guerre en Ukraine, la diplomatie et l’autodétermination
Damien Bernard

Depuis le début de l’invasion en Ukraine, les attaques fusent contre Mélenchon. En cause notamment son opposition aux livraisons d’armes à l’Ukraine, une position fustigée avec virulence par Jadot. Si nous dénonçons ces attaques sur la droite, nous pensons nécessaire de débattre les positions de Mélenchon sur la guerre que nous pensons problématiques sur un terrain stratégique.

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Crédits Photo : AP

Depuis le début de l’invasion russe, Jean-Luc Mélenchon a été régulièrement et violemment pris pour cible par la classe politique et médiatique. C’est à l’intérieur de son propre camp, celui de la gauche institutionnelle, que les attaques ont été les plus cinglantes. D’un côté, Yannick Jadot accusait le candidat Insoumis de « capitulation » face à « la dictature de Vladimir Poutine », de l’autre, Anne Hidalgo le dénonçait comme « l’allié et le soutien de Vladimir Poutine ». Des accusations qui ne tiennent pas l’examen des faits tant la condamnation de l’invasion russe par le candidat insoumis ne souffre d’aucune ambiguïté.

Sur le fond, ces attaques constituent la pointe avancée d’une offensive globale du régime visant tous ceux qui oseraient questionner le rôle de l’OTAN. Et le message est clair : oser mettre en discussion les sanctions économiques, l’envoi massif d’armements, le soutien à l’OTAN… et vous serez accusé de « défendre des crimes de guerre ». Ni plus ni moins.

S’il faut dénoncer cette offensive par la droite, nous souhaitons au travers cet article expliciter nos désaccords avec la position de Mélenchon sur la guerre en Ukraine, sur un terrain politique et stratégique. Pour étayer ceux-ci, nous nous appuierons principalement sur le discours de Mélenchon énoncé au « meeting pour la paix » à Lyon et son intervention à l’Assemblée Nationale. Notre position s’appuie sur le cadre d’analyse développé dans l’article « Ukraine : l’enjeu d’une politique anti-impérialiste indépendante ».

Mélenchon, condamne l’invasion russe, regrette l’envoi d’armes et refuse certaines sanctions

A Lyon, Mélenchon a condamné une nouvelle fois avec clarté l’invasion russe : « Nous disons : stop à la guerre. Stop à l’invasion de l’Ukraine. À bas l’armée qui envahit l’Ukraine ». Il a cherché à se poser en héritier de la « gauche universaliste et humaniste », fustigeant au nom de la paix les « va-t’en guerre ». Se défendant de tout pacifisme abstrait, Mélenchon a tenu à affirmer « proposer un chemin concret, qu’on dise par où on passe, par où on commence, par où on finit », lance-t-il.

Ce chemin débute par les prises de position du candidat sur la question des armes et des sanctions. Sujet brulant au moment de l’invasion, Mélenchon n’a pas transigé malgré les pressions, rejetant à juste titre l’envoi d’armement à l’Ukraine : à l’Assemblée Nationale, il a « regretté » que l’Union européenne décide de « fournir des armements nécessaires à une guerre » selon les termes repris d’un commissaire européen. Une décision qui, selon Mélenchon, fait de la France un « des co-belligérants », conduisant à ce qu’« un engrenage s’enclenche ».

De la même manière, Mélenchon a répondu sur la question des sanctions, s’opposant notamment à celles qui visent à « couper le circuit financier Swift » qui, selon Mélenchon, a pour conséquence d’engager « une escalade mondiale en poussant russes et chinois à utiliser désormais exclusivement leur propre circuit ». « Quel avantage pour la paix ? » note-t-il. Une position contre les sanctions que Mélenchon a affiné par la suite, pointant le manque d’« efficacité » de celles-ci et affirmant : « il faut frapper dur et fort les oligarques plutôt que le peuple ».

Mélenchon prône la désescalade et mise sur la diplomatie : une impasse ?

Pour Mélenchon, fournir des armes à l’Ukraine tout comme imposer des sanctions économiques ne peuvent mener qu’à une escalade de la guerre : « Face à une puissance nucléaire comme la Russie, la destruction nucléaire générale serait l’horizon prévisible […] Dès lors, si frustrant que cela soit, le seul chemin rationnel est celui de la paix. Il porte un nom clair : la désescalade ». Deux alternatives se posent selon lui : « ou bien la diplomatie ou bien la guerre totale ».

Mélenchon, lui, préfère la diplomatie : « Mieux vaudrait plutôt prendre une initiative diplomatique radicale ». Pour la mettre en œuvre, il s’agirait de « convoquer une conférence extraordinaire » de « l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe ».

Cette voie diplomatique n’est pas nouvelle, et il faudrait en tirer un bilan sérieux. Comment comprendre, sinon, l’échec des accords de Minsk en 2014 et 2015 ? Il y a dix années de cela, ces accords avaient eu grande presse et étaient vantés comme un modèle en matière de diplomatie et de patience comme le prône aujourd’hui Mélenchon. Les efforts diplomatiques ont en effet été continus avec la création d’un Groupe de contact trilatéral sur l’Ukraine (TCG) en 2014, réunissant représentants de l’Ukraine et de la Russie, sous l’égide de l’OSCE. C’est ce groupe que Macron a cherché à réactiver ces dernières semaines moyennant des efforts diplomatiques intenses. Avec le succès qu’on connaît.

Manifestement, beaucoup semble avoir été tenté sur le terrain diplomatique. Une voie qui s’est démontrée être une impasse comme l’illustre le bombardement russe de la mission spéciale d’observation de l’OSCE, organisation privilégiée par Mélenchon pour ouvrir une voie diplomatique.

Une diplomatie pour quelle « paix » : que revêt la « neutralité » de l’Ukraine ?

En ce sens, la proposition de « neutralité » de l’Ukraine défendue par Mélenchon est particulièrement révélatrice. D’un côté, elle souligne l’impuissance de la voie diplomatique et, de l’autre, elle ne peut que déboucher sur un accord menant à une plus grande oppression de l’Ukraine.

La « neutralité » désigne en réalité une « mise sous tutelle » de l’Ukraine sous l’égide des grandes puissances des deux blocs en confrontation, conduisant à la constitution d’un État tampon entre la Russie et l’OTAN. Cette proposition au contenu flou ne sera donc pas un retour à l’« indépendance », et encore moins un pas vers l’auto-détermination.

Cela s’illustre par le dialogue de sourds entre la Russie et l’Ukraine autour du contenu que revêt la « neutralité ». D’un côté, la Russie propose à l’Ukraine la « neutralité » sur le modèle « suédois ou autrichien », imposant ainsi à l’Ukraine une tutelle à la fois politique et militaire. De l’autre, l’Ukraine rejette cette proposition russe plaidant, tout en se disant prête à ne pas rejoindre l’OTAN, pour des « garanties de sécurité absolues ». Ces « garanties » impliqueraient que « les signataires [grandes puissances de l’OTAN] ne restent pas à l’écart en cas d’attaque contre l’Ukraine comme c’est le cas aujourd’hui, mais prendront une part active au conflit aux côtés de l’Ukraine ». Une proposition que le Kremlin a rejetée.

Et si un tel accord parvenait à geler temporairement la guerre, cela ne peut en rien constituer un pas en avant vers une réelle auto-détermination de l’Ukraine tant il constituerait « un accord de lassitude » qui se fera « sur le dos des petites nations », un pas supplémentaire vers une vassalisation de l’Ukraine.

« Liquider » la guerre « quoiqu’il en coûte » ou une politique indépendante du peuple ukrainien ?

En réalité, la voie diplomatique proposée par Mélenchon ne constitue ni plus ni moins qu’une façon de « liquider la guerre » le plus vite possible et ce quel qu’en soit le coût. Cela pour plusieurs raisons.

Premièrement, car les accords et traités diplomatiques ne peuvent être déclarés abstraitement, mais se déterminent en fonction des rapports de forces sur le plan militaire et politique. Or, au regard de la configuration actuelle, il est utopique d’imaginer qu’un accord diplomatique puisse ouvrir la voie à la seule issue progressiste à cette guerre : un pas en avant vers une réelle autodétermination de l’Ukraine.

Deuxièmement, car se placer sur le seul terrain diplomatique ne peut que mener à adapter et à abaisser ses objectifs politiques à ce qui est posé comme « possible » en rapport à la configuration actuelle de la guerre : à savoir un accord qui ne ferait que geler temporairement le conflit, et qui asservira toujours un peu plus l’Ukraine sous l’égide de la Russie comme des principales puissances impérialistes.

Troisièmement, parce qu’agiter une voie de résolution par « en haut » à la guerre, par une diplomatie qui est l’arme par laquelle les classes dominantes régulent les relations internationales, ne peut que désarmer le peuple ukrainien dont la résistance se trouve totalement « capturée » par l’impérialisme occidental, sous la direction pro-OTAN de Zelensky.

Face à la guerre, la seule issue progressiste pour le peuple ukrainien ne peut émerger qu’en toute indépendance de l’impérialisme occidental. Pour cela, il est nécessaire pour le peuple ukrainien de se doter d’une politique indépendante de l’OTAN qui, en tant qu’alliance impérialiste, n’a jamais permis à aucun peuple d’accéder à une indépendance véritable.

Une politique abstentionniste vis-à-vis du peuple ukrainien, qui joue le jeu de l’OTAN

Si le refus de l’envoi d’armes et des « sanctions économiques » pouvaient constituer une première réponse à priori correcte, une orientation uniquement diplomatique, avec pour corrélât le refus de formuler une politique indépendante pour le peuple ukrainien ne peut que constituer une politique qui finit par être suiviste vis-à-vis de l’OTAN.

Tout d’abord, car une telle politique abstentionniste vis-à-vis du peuple ukrainien favorise le statu quo et facilite la tâche à Zelensky qui dirige la résistance d’une main de fer sous l’égide de l’impérialisme occidental. Ensuite, parce que la politique a horreur du vide, cet abstentionnisme politique se traduit in fine par un suivisme vis-à-vis des voies diplomatiques proposées par Zelensky lui-même, voire de les revendiquer comme l’illustre son communiqué sur la « neutralité » de l’Ukraine.

Plus explicite, cette fois-ci, est le positionnement pro-OTAN de La France Insoumise à l’échelle internationale. Si Mélenchon explique sortir du commandement de l’OTAN, la député Manon Aubry a cosigné et voté pour LFI une résolution du Parlement européen sur la guerre en Ukraine qui appelle augmenter la fourniture d’armes à l’Ukraine mais aussi à soutenir sans faille l’OTAN.

Cette position à géométrie variable ne peut que semer la confusion et est l’expression de ce l’on appelle la « realpolitik ». Une orientation qui, par ses incohérences, ne peut être crédible et finit par se poser comme la caution de gauche de l’OTAN.

Contre l’auto-détermination, Mélenchon ne peut défendre de politique pour les Ukrainiens

Dans le fond, le refus de formuler une réelle politique pour le peuple ukrainien n’est pas un hasard. C’est le reflet de conceptions plus générales que possède Mélenchon sur le terrain programmatique voire stratégique au sujet notamment de la question de l’auto-détermination.

En ce sens, depuis le début de la guerre, Mélenchon n’a jamais posé la question en termes d’« autodétermination » et d’« indépendance » de l’Ukraine dans l’ensemble de ses prises de positions. Et lorsque Mélenchon se permet d’employer le terme « indépendance », c’est uniquement pour discuter de la Catalogne, de l’Ecosse ou des Flamands, et seulement dans le cadre de discussions diplomatiques sur les « frontières » qu’il s’agirait de redessiner, entres États-nation.

Cette manière de poser le problème est particulièrement problématique car en mettant les discussions entre grandes puissances européennes comme axe de résolution, elle nie le droit à l’autodétermination des peuples : en d’autres termes, si des mobilisations ont eu lieu, c’est aux dirigeants de discuter « calmement » pour trouver une issue au problème des « frontières ».

Pour le droit à l’autodétermination des peuples, et du peuple ukrainien !

Cette vision est, en dernière instance, réactionnaire car en contradiction avec le principe même de l’auto-détermination : non, ce n’est pas aux États de décider quelles sont les aspirations légitimes de la population, mais aux premiers concernés, les travailleurs et les classes populaires.

Pour Mélenchon, le refus de poser cette question de l’autodétermination est l’expression de sa conception républicaine de l’Etat, où ce dernier ne peut être vu que comme « centralisateur », par définition « protecteur ». Pour le Mélenchon de 2017, céder aux revendications liées à l’indépendance équivalait à revenir « à la période du Saint-Empire Germanique, avec des principautés, des duchés, des baronnies et, au-dessus de tout cela, le fric ! » Une position qui l’avait conduit à ne pas soutenir inconditionnellement le droit à l’autodétermination du peuple catalan mais aussi à affirmer en 2022 que « la Crimée est russe » – s’alignant sur le régime de Poutine dans une logique campiste, anti nord-américaine - niant ainsi le droit à l’autodétermination de la Crimée.

Sa position a-t-elle changé depuis ? Oui, mais à la marge. En effet, si Mélenchon affirme avoir évolué sur la question du statut de la Corse leur concédant l’« autonomie », ce n’est là aussi aucunement prôner l’autodétermination, mais continuer à enserrer les aspirations légitimes à l’autodétermination du peuple Corse dans un statut d’ « autonomie » lié aux institutions françaises, un statut maintenant un cadre de subordination politique de la métropole dans le modèle de la Polynésie française.

La matrice de pensée de Mélenchon, si elle semble avoir fléchi sous pression de la « réalité », se maintient ainsi dans une perspective centralisatrice qui in fine refuse le droit à l’autodétermination des peuples, qui constitue selon nous un principe démocratique élémentaire. Or refuser de défendre ce droit, c’est refuser toute politique qui puisse aller vers une émancipation des peuples opprimés.

Aussi, une réelle émancipation des peuples ne peut être dissociée de la perspective de la révolution socialiste et, par conséquent, dans la guerre actuelle, d’une politique indépendante pour le peuple ukrainien qui permette, dans des conditions difficiles, d’avancer vers la seule issue progressiste : une Ukraine indépendante, ouvrière et socialiste.

 
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