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La Izquierda Diario
2 de avril de 2022 Twitter Faceboock

Guerre économique
Bras de fer autour du gaz russe
Hélène Angelou

Alors que la guerre en Ukraine s’enlise, Poutine cherche à imposer le paiement en roubles du gaz russe aux pays occidentaux afin de limiter la portée des sanctions et de jouer des contradictions au sein de l’OTAN. Un pari néanmoins risqué tant le sujet est inflammable.

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© FT montage/Dreamstime

Dans un décret publié ce 31 mars, Vladimir Poutine a exigé des pays « inamicaux », c’est-à-dire ceux exerçant des sanctions à l’encontre de la Russie soit 48 pays dont l’Union Européenne, qu’ils paient le gaz russe qu’ils importent en roubles. « Si ces paiements ne sont pas faits, nous le considérerons comme un défaut de paiement de la part des acheteurs, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent », a-t-il menacé dans une allocution télévisée.

Un pari sous forme de réponse aux sanctions occidentales et visant à stabiliser le cours du rouble…

Cette décision constitue pour Poutine un moyen de répondre aux sanctions occidentales en s’appuyant sur la dépendance énergétique de l’Union européenne qui est déjà au cœur des tensions au sein de l’OTAN. En effet, Joe Biden cherche à durcir les sanctions contre la Russie en interdisant l’importation de pétrole russe, tout en profitant du front impérialiste pour négocier d’importantes parts de marché pour le gaz naturel liquéfié américain au nom d’une indépendance énergétique européenne ; l’Union européenne quant à elle, et notamment les pays les plus dépendants du gaz russe comme l’Allemagne où il représente 55% du gaz naturel importé, se refuse pour l’instant à appliquer les sanctions contre les géants énergétiques russes, Gazprom et Rosneft.

Alors que l’économie russe est éprouvée par les sanctions économiques, c’est dans cette contradiction que Poutine cherche à s’engouffrer afin de chercher à en limiter la portée et à enrayer la dévaluation du rouble.

« En représailles des sanctions occidentales qui bloquent l’accès à la moitié des réserves de change de son pays, Poutine entend en effet contraindre l’Occident à enfreindre ses propres règles en les obligeant à interagir avec la banque centrale [russe] et son système bancaire », pour changer les euros ou dollars en roubles, observe le Financial Times. « Il s’agit dune question politique qui semble viser à retourner une partie de la gêne occasionnée par les restrictions imposées à la banque centrale aux entreprises européennes, et à subvertir partiellement ces restrictions », explique Ron Smith, analyste du pétrole et du gaz chez BCS à Moscou dans ce même article.

Mais un pari risqué

Du côté européen, la pression de Poutine a d’abord fait l’effet d’une bombe. Aussi, les dirigeants européens ont d’abord multiplié les annonces visant à montrer les muscles et à refuser de céder à cette exigence. A l’image du chancelier allemand Olaf Scholz qui dénonçait une violation des contrats passés avec Gazprom, en vertu desquels il continuerait de payer en euros et parfois en dollars, tandis que son ministre de l’économie Robert Habeck annonçait se préparer à des rationnements. Même son de cloche chez Bruno Le Maire : « Il peut y avoir une situation dans laquelle il n’y aura plus de gaz russe […] C’est à nous de préparer ces scénarios là. Nous les préparons », déclarait le ministre de l’économie dans une conférence de presse avec son homologue allemand.

Pour autant, un tel scénario serait catastrophique pour l’économie européenne, ce qui semble avoir poussé l’Union européenne à accepter un compromis. D’autant que le pari fait par Poutine n’est pas sans risques pour la Russie elle-même. En effet, si la Chine tout comme l’Inde qui a récemment annoncé une importation de matières premières russes à un prix intéressant constituent des débouchés importants pour la Russie, les gazoducs et champs de gaz de Sibérie ouest sont tournés vers l’Europe et celle-ci constitue le premier importateur de gaz russe. Le Financial Times, souligne ainsi combien suspendre les exportations de gaz russe vers l’Europe constituerait une catastrophe pour l’économie russe elle-même qui ne disposerait pas de capacités de stockage suffisantes pour compenser une baisse des exportations, l’obligeant à interrompre ses extractions, ce qui fragiliserait les champs de gaz, ou à brûler le gaz. Un tel scénario semble donc peu envisageable. Un diplomate de l’UE déclarait en ce sens au Financial Times être « perplexe » par rapport à la décision du Kremlin. « Personne ne comprend vraiment quelles sont les intentions du président Vladimir Poutine. Sont-elles de diviser l’UE, de contourner les sanctions, de renforcer le rouble, ou d’effrayer les marchés et de faire monter encore plus le prix du gaz ? ».

D’autant que la question est particulièrement inflammable pour l’UE comme pour la Russie. Dans un contexte marqué par l’inflation et le risque d’une récession, la pénurie de gaz et les restrictions qui l’accompagneraient auraient des conséquences sociales majeures. A ce titre, Robert Habeck alertait sur le risque d’une rupture de la « paix sociale » en Allemagne lorsque la question d’un embargo sur le gaz, le pétrole et le charbon russe était discutée.

Vers un compromis ?

Un compromis semble en ce sens avoir été trouvé. Vladimir Poutine a usé d’un « tour de passe-passe habile », comme le qualifient Les Echos, auquel semblent pour le moment se ranger les dirigeants européens. Les acheteurs « inamicaux » se verront obligés d’ouvrir deux comptes distincts auprès de Gazprombank, institution bancaire du géant gazier russe – non visé par des sanctions – l’un pour verser le paiement dans la devise prévue par les contrats établis (en euros majoritairement), l’autre pour le convertir en rouble. « Pour celui qui reçoit le gaz russe, qui paie les livraisons, il n’y a dans les faits aucun changement. Ils acquièrent juste des roubles pour le montant en devises qui est prévu dans le contrat », défendait Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin.

Si la nature de la transaction reste pour l’heure floue, on peut supposer que le coût du change reposera sur les entreprises importatrices et impliquerait la banque centrale russe qui fait elle l’objet de sanctions ; mais il est aussi possible que Gazprombank cherche par là à accroître ses réserves en euros et dollars à l’heure où Poutine impose aux ressortissants russes de transformer en roubles les flux entrants à hauteur d’au moins 80% depuis le 28 février. De même le Kremlin semble temporiser après avoir fait pression, puisque les importateurs européens ne se verront finalement exigé ce paiement en roubles via Gazprombank qu’à compter de la deuxième moitié du mois d’avril, voire début mai, ainsi que l’a annoncé Dmitri Peskov ce vendredi, alors que la date du 1er avril avait d’abord été avancée.

Par ailleurs, la réévaluation du rouble et la volonté d’évincer l’euro et le dollar dans les transactions énergétiques par Poutine contribuent d’une volonté d’affaiblir le dollar sur la scène internationale. La même pratique a déjà été appliquée dans les transactions entre la Russie, la Chine et l’Inde. C’est ce que souligne l’économiste marxiste Michael Roberts : « Les concurrents internationaux de l’impérialisme américain, tels que la Russie et la Chine, ont régulièrement appelé à un nouvel ordre financier international et ont travaillé à supplanter le dollar au sommet du régime monétaire mondial actuel. […] Et les conséquences du conflit ukrainien vont clairement accélérer cette volonté de la Russie et de la Chine, qui doivent faire face à des sanctions sévères et de longue date sur les marchés commerciaux et monétaires, qui réduiront leur accès au dollar et à l’euro ». Autrement dit, les sanctions économiques à l’égard de la Russie suite à son agression contre l’Ukraine risquent d’affecter également le dollar en tant que monnaie de change et de commerce international. C’est ce que le FMI affirme lui-même : « Le dollar resterait la principale monnaie mondiale même dans ce contexte, mais une fragmentation à un niveau régional est tout à fait possible », déclarait la dirigeante du FMI, Gita Gopinath, pointant le risque du remplacement du dollar comme monnaie d’échange dans des transactions bilatérales ou entre puissances régionales.

 
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