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22 de avril de 2022 Twitter Faceboock

Avant le 2ème tour
Contre Le Pen et l’impasse du vote Macron : préparer les résistances dès maintenant
Comité de Rédaction

Pour le second tour, le duel de 2017 se rejoue après un quinquennat d’offensive anti-sociale et autoritaire de la macronie, qui a contribué à faire le lit de l’extrême droite. Malgré cela, nombreux sont ceux qui, à gauche, appellent plus ou moins ouvertement à se servir du bulletin de vote Macron pour « faire barrage » à Le Pen. Face au tandem réactionnaire Macron - Le Pen, nous défendons l’abstention active et une politique indépendante au service de la construction, dès maintenant, des résistances aux offensives à venir.

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Crédits photo : AFP

Le retour de la logique du « moindre mal »

Dimanche dernier, Emmanuel Macron se qualifiait au second tour avec près de 28% des voix, devant Marine Le Pen, avec un peu plus de 23%. Un score élevé pour le président sortant, produit du « vote utile » des secteurs les plus aisés et les plus âgés de la population, ainsi que de l’effondrement sans précédents de la droite traditionnelle. Non seulement la droite classique n’accède pas au second tour pour la seconde fois dans l’histoire de la Vème République, mais elle réalise un score ridiculement bas que seuls les socialistes réussissent à battre, avec les 1,7% d’Anne Hidalgo.

La célébration par la macronie de sa première place à l’issue du premier tour n’a cependant pas duré longtemps. Car si le second pourrait avoir l’air d’un « remake de 2017 », Macron n’a plus l’atout de la nouveauté. Le « candidat disruptif » d’il y a cinq ans a laissé place à un Président « détesté » par des pans entiers de la population - comme le souligne le Financial Times, un journal a priori loin de lui être hostile – au bilan anti-social et autoritaire. En face, le Rassemblement National (RN) entend profiter au maximum de cette situation qui lui permet de maquiller son propre projet raciste et néo-libéral. Une manœuvre facilitée par l’épouvantail Eric Zemmour, dont les sorties pétainistes et ouvertement racistes ont contribué à lisser l’image lepéniste. Autant d’avantages sur lesquels compte le RN pour réaliser un bien meilleur score qu’en 2017.

Dans ce cadre, l’écart au second tour s’annonce plus serré que jamais. Certes, Macron reste favori face à Le Pen, en dépit d’une réserve de voix plus importante pour la candidate du RN. Mais une mobilisation massive des abstentionnistes accompagnée d’un report de voix contre-nature d’une fraction conséquente de l’électorat de gauche sur la candidature Le Pen, dans une logique « tout sauf Macron », pourraient rendre possible l’accession de l’extrême droite au pouvoir. Un scénario, a priori, hautement improbable, mais pas impossible.

D’autant qu’en 2017, le « barrage républicain » avait connu un fort revers avec 12,1 millions d’abstentionnistes (25,4 %) au 2ème tour, niveau inédit depuis 1969, et un peu plus de 4 millions de bulletins blancs et nuls (presque 11,5 % des votants). Des chiffres à comparer à ceux des élections de 2002, avec son second tour Jacques Chirac-Jean-Marie Le Pen, pour mieux saisir l’approfondissement de la crise du régime. A l’époque, les analystes évoquaient un véritable « tremblement de terre », résultat du grippage des mécanismes institutionnels classiques, mais le « front républicain » avait joué à plein, permettant à Chirac de remporter le second tour avec un peu plus de 82% des voix, un taux de participation de plus de 79% et 1,7 millions de bulletins blancs ou nuls seulement.

Face à la crainte suscitée par le resserrement de l’écart entre Macron et Le Pen, le « barrage » tend à reprendre des couleurs ces derniers jours. L’élection a vu s’affirmer l’existence d’un pôle de gauche, qui s’est exprimé au travers des 22% (plus de 7,7 millions de voix) recueillis par Jean-Luc Mélenchon. Ce résultat, qui contredit l’idée d’une « droitisation » unilatérale de la société, fait de l’électorat de « gauche » un acteur central du second tour, et intensifie la pression au « barrage », « républicain » ou « de gauche ».

Alors que le Parti Socialiste, Europe Ecologie-Les Verts ou le Parti Communiste ont appelé à voter Macron contre l’extrême-droite dès le soir du premier tour, Jean-Luc Mélenchon l’a fait en creux. Dès l’annonce des résultats, il a martelé que « pas une voix ne doit aller à Madame Le Pen », slogan repris, comme en 2017, par le Nouveau Parti Anticapitaliste qui a affirmé, par la voix de son candidat, Philippe Poutou, que « la consigne de vote est claire : pas une voix ne doit aller à l’extrême droite ». Cette position a été reprise, également, par la direction confédérale de la CGT ainsi que par Solidaires.

Cette « ouverture » qui dit plus ou moins son nom à un vote « barrage » est allée de pair avec des appels plus explicites au vote Macron, y compris à l’extrême-gauche, au nom d’une logique de moindre mal. Sur Mediapart, Ugo Palheta, directeur de publication de la revue Contretemps et membre du NPA, a ainsi appelé à « écarter le danger immédiat et [à] s’occuper dès le lendemain de l’élection de Macron ». Dans un texte publié sur le site Les mots sont importants, Pierre Tevanian va plus loin, et dénonce le mot d’ordre « pas une voix pour l’extrême-droite » comme confusionniste en expliquant : « dire dans un tel contexte que le candidat alternatif (Macron) n’est "en rien" un rempart contre l’extrême droite est tout simplement un mensonge et une faute criminelle. Il se trouve que, quelles que soient les turpitudes du président Macron, y compris en termes d’extrême-droitisation du pays, le vote Macron est, factuellement, au moins à court terme, au moins pour les cinq années à venir, le seul acte qui contribue à écarter la fasciste de la présidence. »

En 2017 cette logique de moindre mal posait déjà problème [1]. Après cinq années de macronisme elle est encore plus inacceptable. En effet, sous couvert de défense immédiate contre le péril lepéniste et de résistance à l’extrême droite, elle désarme idéologiquement, politiquement et matériellement notre camp social au moment où l’urgence est de préparer les résistances contre le prochain gouvernement.

Le macronisme cinq ans après : un projet autoritaire et néo-libéral qui fait prospérer l’extrême-droite

Des ordonnances Loi Travail à la réforme de l’assurance-chômage en passant par la suppression de l’ISF, la réduction des APL, la réforme (avortée) des retraites, l’inscription dans la loi des dispositions de l’état d’urgence, le bilan d’Emmanuel Macron est celui d’un quinquennat de guerre sociale. Sur le terrain raciste et sécuritaire, les lois « séparatisme » et sécurité globale, les dissolutions d’organisations, les lois « anti-drogues », les multiples cadeaux à la police, la restriction des visas pour les pays du Maghreb, le saut opéré dans la répression ultra-violente des mouvements sociaux et des quartiers populaires auquel s’ajoute la commémoration de Pétain ou la première interview d’un Président accordée à Valeurs Actuelles montrent que le candidat néo-libéral n’a eu aucun problème à puiser dans le programme de l’extrême-droite, en réitérant les appels du pied en direction des secteurs les plus conservateurs et réactionnaires de la société.

Ces derniers jours, compte tenu du resserrement des scores annoncé pour le second tour, Macron multiplie les signaux sur sa gauche pour tenter de s’adresser à l’électorat de Yannick Jadot et, surtout, de Jean-Luc Mélenchon. C’est ainsi, par exemple, qu’il s’est fendu d’une référence à Jean Jaurès, dès le lendemain du premier tour, et qu’il a annoncé un éventuel « bougé » sur la retraite à 65 ans, évoquant même la possibilité de faire valider ses contre-réformes par référendums, histoire d’oublier les passages en force et les 49.3 qui ont caractérisé la macronie au pouvoir. Mais le programme du président sortant s’inscrit dans la stricte continuité du premier quinquennat, avec des mesures telles que la retraite à 65 ans, l’obligation de travailler 15 à 20h par semaine pour les allocataires du RSA, le renforcement des expulsions des étrangers, le doublement de la présence de forces de répression « sur le terrain » ou la poursuite de la lutte contre le « séparatisme ». Fragilisé après cinq années intenses qui ont suscité des mobilisations très importantes et une détestation profonde du Président, l’imposition de telles mesures impliquerait nécessairement un approfondissement des traits les plus autoritaires du premier quinquennat en cas de réélection.

Face au caractère autoritaire et néo-libéral du macronisme, dont le programme économique a encore récemment été plébiscité par le MEDEF, aucun soutien politique n’est possible. Confrontés à ce constat, [des intellectuels proches de la France Insoumise comme Stefano Palombarini ou Dominique Méda cherchent une voie médiane en évoquant l’idée d’un appel au vote conditionné à l’abandon de certaines contre-réformes ou de « preuves de respect ». Au vu du caractère du projet de Macron – quand bien même il abandonnerait la réforme des retraites, accepterait-on le doublement des forces de répression ? - une telle démarche est intenable et reflète les contradictions insolubles d’un appel à voter Macron qui conduit à se placer de facto dans son camp, au nom de la lutte contre l’extrême-droite. Il en va de même pour ces appels à « imposer », à Macron, Mélenchon à Matignon, soit par l’élection d’une majorité de députés insoumis ou de l’Union Populaire au Parlement, soit en négociant un soutien au président sortant au nom de l’obtention du poste de premier ministre. Si la seconde option relève davantage de la boutade que du programme politique, la première est fonctionnelle à l’idée qu’il faudrait tout de même voter Macron le 24 avril [2], quand bien même les responsables insoumis savent pertinemment qu’il leur sera impossible de décrocher, dans le cadre d’un système uninominal à deux tours, une majorité au Parlement.

Outre le problème politique qu’il pose, l’efficacité de l’appel, plus ou moins explicite, à voter Macron est également douteuse, à court comme à moyen à terme. Pour ce qui est de l’élection, la seule possibilité arithmétique pour que Marine Le Pen l’emporte le 24 avril réside dans une mobilisation « anti-Macron » sans précédent de secteurs entiers de l’électorat s’étant abstenus ou ayant voté à gauche au premier tour. Un tel phénomène serait inédit, mais il n’est pas totalement impossible au vu de la campagne catastrophique et de la haine suscitée par le président des riches. Récemment, des figures comme Priscilla Ludosky ou Jérôme Rodrigues ont ainsi témoigné de l’existence d’une telle pression chez certains Gilets jaunes, tout en appelant de leur côté à un vote « ni Le Pen, ni Macron ». Leur position a l’intérêt de partir d’une volonté de dialoguer avec les secteurs de notre classe plongés dans la confusion par la haine de Macron. Or, comment convaincre de ne pas voter Le Pen en se rangeant du côté de celui qu’ils perçoivent légitimement comme un ennemi mortel ? Cette posture est intenable et le refus d’appeler à voter Macron apparaît comme une condition de la lutte contre une partie potentiellement décisive du vote RN.

D’autant plus que le projet macronien ne peut être vendu, de près comme de loin, comme un quelconque « rempart contre l’extrême-droite ». Il est au contraire la garantie, à terme, de son renforcement. Après plusieurs années d’offensive autoritaire, l’extrême droite n’a jamais été aussi forte, passant de 26 à 32% des voix au premier tour entre 2017 et 2022 avec l’émergence du phénomène Zemmour. La politique de Gérald Darmanin contre les musulmans ou l’ensemble de celles et ceux qui sont assignés à cette catégorie, mais également en soutien des forces de répression, a joué un rôle actif dans la droitisation du débat politique. C’est d’ailleurs ce qui a poussé l’extrême-droite à la surenchère et lui a permis de prospérer. Comme un symbole, on se rappellera d’ailleurs que la campagne présidentielle s’est ouverte par un débat entre Marine Le Pen et le ministre de l’Intérieur, ce dernier revendiquant le sérieux de son bilan sécuritaire et raciste et jugeant son opposante « trop molle ».

Les contradictions de l’appel au vote Macron sont ainsi révélatrices de l’impasse de toute politique qui s’enferme dans l’alternative réactionnaire imposée par l’élection. Défendre une orientation révolutionnaire, c’est aussi batailler pour s’extraire de cette impasse et inviter, à contre-courant des appareils réformistes de gauche, à s’opposer idéologiquement et politiquement à cette binarité. De fait, c’est dans l’affrontement contre la macronie, dans l’ensemble des mouvements de résistance et de mobilisation que sa politique a généré, au cours des cinq dernières années, que se trouve les ressorts de la lutte contre la droite et l’extrême droite et les anticorps nécessaire au lepénisme. Dès que notre camp social est soudé, c’est autant de terrain de moins que ne peut occuper l’extrême droite. Aussi, l’urgence nous semble être d’œuvrer à cette unification, en luttant contre l’extrême-droite sans appeler à voter Macron, et en travaillant à la mobilisation de notre camp.

Le danger Le Pen : l’hypothèse glaçante d’un gouvernement RN

Certains appelleront à voter Macron « malgré tout » en arguant du danger incommensurable que représenterait Le Pen par rapport à Macron. Dans le cas de son accession au pouvoir, Ugo Palheta évoque ainsi une accélération des tendances à la « fascisation » qu’incarnerait déjà Emmanuel Macron, tandis que d’autres dépeignent une victoire de Le Pen comme l’instauration d’un régime fasciste où toute possibilité de résistance serait immédiatement annihilée.

La peur suscitée par l’extrême-droite au pouvoir est d’autant plus légitime que tout dans son discours et ses pratiques ciblent, parfois physiquement, celles et ceux qui sont déjà, en « temps normaux », les plus vulnérables, précaires et discriminés de notre classe. Marine Le Pen, le RN et son entourage sont issus de mouvances fascistes, imprégnés de nombreux éléments idéologiques tirés de cet héritage. Ils entretiennent des liens actifs avec des groupuscules fascistes violents. Pour autant, l’idée qu’une victoire électorale de Le Pen plongerait immédiatement la France dans un régime fasciste mérite d’être discutée, non pour relativiser le danger lepéniste mais pour saisir les dynamiques à l’œuvre en France et les tâches qui devraient être celles des organisations du mouvement ouvrier et populaire, au premier rang desquels l’extrême gauche.

Il est certain qu’une victoire électorale de Le Pen radicaliserait davantage encore les tendances à l’autoritarisme et au bonapartisme inscrites dans l’ADN même de la Vème République. C’est d’ailleurs sous « la gauche », avec le tandem Hollande-Valls que ces tendances ont été poussées, comme jamais depuis 1961. Le Pen, néanmoins, essaye de travestir cela derrière des promesses de renouvellement démocratique. La « révolution référendaire » présentée cette semaine par Marine Le Pen comme un renouveau démocratique au service du « peuple » (et comme un clin d’œil aux Gilets Jaunes), n’est ainsi que le faux-nez du césarisme plébiscitaire qui se retrouve au cœur du populisme d’extrême droite. Dans le cadre du projet réactionnaire de Le Pen, le référendum serait d’abord un outil de contournement des institutions du régime, mais également de « pacification du débat politique » : comprendre un outil de contention et de répression des mobilisations, car « on ne manifeste pas contre les résultats d’un référendum qui s’imposent à tous ». Il en va de même pour sa promesse d’instauration d’une proportionnelle à prime majoritaire pour les législatives. Celle-ci n’est en rien un renouvellement des mécanismes de délégation parlementaire, mais une façon de construire des majorités parlementaires solides à travers de nouveaux instruments, tout aussi anti-démocratiques que ceux de la Constitution de 1958.

Les étrangers seraient évidemment, avec la population musulmane, les premières cibles d’un tel gouvernement. Symboliquement, Le Pen souhaiterait entamer son quinquennat par l’adoption, par référendum, de sa loi raciste et xénophobe sur l’immigration, qui réviserait au passage la Constitution pour y intégrer la notion de « préférence nationale ». Pour le RN, qui a historiquement fait du racisme et de la xénophobie le ciment du bloc électoral composite qui le soutient, prendre à marche forcée des mesures xénophobes et attiser la haine sera décisif et prioritaire. Le programme est écrit et on peut facilement imaginer l’activisme raciste d’un tel gouvernement ainsi que sa continuité dans les offensives contre les droits des femmes ou des LGBTI.

Au pouvoir, le masque pseudo-« social » du RN tomberait rapidement et les attaques racistes se redoubleraient d’attaques anti-sociales, ainsi que de la répression de toute contestation de celles-ci. Pour faire taire la contestation, un tel gouvernement pourrait s’appuyer sur le zèle d’un appareil policier largement acquis à la « cause », auquel il promet une « présomption de légitime défense ». Mais il profiterait également du rôle des bandes d’extrême-droite, qui se sentiraient plus assurées que jamais de leur impunité. Ces derniers mois, dans le cadre du tournant autoritaire de Macron, les groupuscules fascistes locaux se sont déjà sentis pousser des ailes, multipliant les menaces et/ou attaques : contre la manifestation du 8 mars, contre une réunion antifasciste à Strasbourg, contre un meeting politique comme celui d’Anasse Kazib à la Sorbonne ou de Philippe Poutou à Besançon, contre des militants antifascistes ou encore contre une librairie anarchiste à Lyon. On imagine la potentialité démultiplicatrice offerte par les liens entre ces groupes et le plus haut sommet de l’État.

Le danger Le Pen : fascisme ou bonapartisme ?

Mais les éléments décrits plus haut, en supposant que Le Pen serait en capacité de les mettre en œuvre, suffisent-ils à décrire un régime « fasciste » ? Dans une définition rigoureuse, le fascisme désigne un régime rompant avec la démocratie bourgeoise qu’il remplace par des méthodes de guerre civile visant à écraser par la force physique le camp des exploités et des opprimés et leurs organisations, comme l’ont fait les régimes fascistes italiens et allemands de Mussolini et Hitler. En ce sens, le fascisme n’implique pas seulement l’extrême droite à la tête de l’appareil d’État mais des forces matérielles capables de l’imposer et, surtout, une bourgeoisie aux abois pour l’appuyer. Dans des moments de crise, celle-ci peut faire le choix de recourir à ce régime de type exceptionnel, qui s’appuie sur un mouvement de masse, issu dans sa majorité de couches déclassées de la petite-bourgeoisie, pour écraser toute résistance et ramener l’ordre.

Or, aujourd’hui, c’est en direction de Macron que se porte, plus classiquement, le patronat. S’il existe des groupuscules d’extrême-droite violents en France actifs en France, de Paris à Lyon en passant par Montpellier, Besançon, Lille ou Strasbourg et si les dynamiques de la lutte de classes ont poussé à une radicalisation de secteurs de la bourgeoisie, derrière un projet comme celui que porte Zemmour avec une forme de soutien de Bolloré, le scénario d’un régime fasciste n’est pas encore d’actualité. Cela ne veut en rien dire qu’il ne pourrait pas émerger en fonction du développement de la situation politique et de la lutte de classe. Pourtant, nous n’en sommes pas encore là, et les possibilités de résistances sont loin d’être annihilées.

Les récentes expériences de l’extrême-droite au pouvoir permettent d’alimenter ce constat. Le gouvernement Salvini-Conte-Mouvement 5 étoiles en Italie, en 2018-2019, a par exemple montré combien, en dernière instance, les courants d’extrême-droite européens même les plus radicaux, à l’instar de la Ligue de Matteo Salvini, sont au service du système. La bourgeoisie, lorsqu’elle n’a pas besoin d’eux pour d’autres tâches, conditionne leur action et leur programme au service de la plus grande normalité capitaliste possible.

La présidence Trump, qui a véhiculé les pires discours suprémacistes, racistes, xénophobes et réactionnaires, est un autre exemple de la façon dont la polarisation que génère, intrinsèquement, les tentatives de consolidation de l’extrême-droite, ouvre également des brèches et des résistances. Aux Etats-Unis, les principales mobilisations de la jeunesse, des quartiers et du monde du travail de la dernière décennie se sont ainsi déployées sous Trump. Elles sont allées des mobilisations contre le racisme et les violences policières, au mouvement des femmes et LGBTI, en passant par des luttes syndicales extrêmement dures. L’administration Biden a hérité de ces processus, à l’image de la dynamique de syndicalisation chez Amazon, qui placent, pour la première fois depuis les années Reagan, la bourgeoisie et le patronat étatsuniens dans une position qui n’est plus celle d’une domination sans partage, et que les Démocrates tentent désormais de freiner par la cooptation. On pourrait évoquer de la même façon les contradictions profondes qui ont secoué des régimes comme celui de Bolsonaro, affaibli électoralement à quelques mois des prochaines élections présidentielles.

Tous ces éléments ne remettent pas en cause le caractère fondamentalement raciste, autoritaire et violent des gouvernements d’extrême-droite. Ils ne visent pas non plus à relativiser le danger représenté par le RN. En revanche, ils invitent à souligner, contre tout scepticisme, les possibilités de résistances qui existent et existeront quelle que soit l’issue de la présidentielle, ainsi qu’à définir quelles sont les tâches des révolutionnaires et des antifascistes dans la période. Or, si nous comprenons ceux qui mettront un bulletin Macron dans l’urne par peur de l’extrême-droite, nous considérons que cette question doit être envisagée en dehors du cadre étroit et réactionnaire de l’alternative électorale Macron – Le Pen auquel les appels au « barrage » tendent à s’adapter.

Une abstention active pour préparer la résistance de notre camp

Tout ceci implique en effet que les organisations du mouvement ouvrier, populaire et de jeunesse, devraient refuser le chantage actuel au « barrage » et construire une grande mobilisation unitaire de notre classe. Celle-ci est le seul moyen de passer de la situation de polarisation actuelle, léguée par la macronie et ceux qui l’ont précédée, à une offensive pour faire reculer l’extrême droite et faire ravaler ses prétentions au programme made in Medef que nous promet le président sortant en cas de réélection. Nous appelons donc à contrer Le Pen sans donner une seule voix à Macron par la seule politique qui permette à la fois de combattre l’extrême-droite et de refuser tout soutien politique à Macron : la défense d’une abstention active, d’un « ni Le Pen, ni Macron » qui aille de pair avec la construction, dès maintenant, d’une résistance unitaire face au prochain gouvernement.

Dans l’entre-deux tour, un tel mot d’ordre, intransigeant vis-à-vis du macronisme, accompagné de premières démonstrations de force du mouvement ouvrier et du mouvement social, permettrait de dessiner les contours d’une véritable opposition radicale à Macron. Dénonçant ouvertement l’extrême-droite, cette dynamique serait un facteur actif contre le vote Le Pen en offrant des perspectives autres que ce choix réactionnaire. Cette politique permettrait également de préparer le quinquennat à venir, dans le cadre duquel les mobilisations seront intenses et décisives.

Quelle que soit l’issue du second tour le 24 avril prochain, le prochain gouvernement à venir aura des bases fragiles. Contrairement au discours sur la « droitisation » qui a primé ces derniers mois, les cinq dernières années ont été marquées par la vitalité de la lutte de classes, la succession de mouvements de grève et de manifestations qui ont été « étouffés » par la crise sanitaire, mais en aucun cas écrasés. En ce sens, c’est la « polarisation » qui prime, alors que les différents « blocs bourgeois », à commencer par celui de Macron, ont montré leur fragilité et leur faible assise.

Même sur le terrain déformé des élections et en dépit de nos désaccords avec le projet incarné par Jean-Luc Mélenchon, les résultats de LFI montrent une politisation à gauche dans une frange non-négligeable de la population, notamment dans les grandes villes, les quartiers populaires et au sein de la jeunesse. Dans ce contexte, il n’est d’ailleurs pas anodin que ce soit la jeunesse qui ait exprimé spontanément un rejet du choix mortifère entre Le Pen et Macron, en se mobilisant par le blocage ou l’occupation de lieux d’études tels que la Sorbonne, Sciences Po Paris ou Sciences Po Nancy, montrant ainsi la voie d’une mobilisation indépendante qui doit commencer à se construire et s’organiser dès maintenant en vue du prochain quinquennat.

Quel que soit le résultat du 24 avril, il faut avoir en tête l’ensemble du cycle de mobilisations et de résistances qui se sont déployées dans l’Hexagone et dans les colonies depuis la révolte des banlieues et la lutte contre le CPE, qui ont trouvé un nouveau rebond avec la mobilisation contre la Loi travail et ont marqué profondément, par en bas, le quinquennat Macron, des Gilets Jaunes aux mobilisations contre le racisme et les violences policières en passant par la grève contre la réforme des retraites. Ces mouvements riches d’enseignements et de promesses d’avenir, ne sont souvent pas allés jusqu’au bout de leurs potentialités en raison des hésitations et des vacillements des directions syndicales, quand il ne s’est pas agi de trahisons en bonne et due forme au nom du pragmatisme ou d’élections qui permettraient d’économiser des journées de grève et de régler son compte à la droite.

Si nous avons su montrer notre force, dans les luttes, la pandémie et l’autoritarisme sanitaire ont contribué à une passivisation dans une situation pourtant très polarisée. Mais les braises sont encore chaudes et Macron et Le Pen ne seraient rien face à la force de notre camp social si les directions des organisations du mouvement populaires ouvrier et de jeunesse étaient à la hauteur d’une politique indépendante et de classe. C’est une telle orientation qu’il s’agit de porter dans les luttes à venir, en construisant dès maintenant, en toute indépendance du régime, un bloc de résistance contre Macron, Le Pen et l’avenir qu’ils nous promettent.

Notes :

[1] Voir l’échange entre Emmanuel Barot et Sylvain Pyro. A l’époque nous notions notamment, dans une période où Jupiter pouvait encore apparaître comme le champion du « en même temps » : « le nouveau bloc de pouvoir bourgeois qu’il veut forger va s’affronter [aux classes populaires, au monde ouvrier, aux centrales syndicales] à un degré d’offensive nouveau, bien déterminé à mettre au service de la contre-révolution ultralibérale autant l’engagement impérialiste de l’État français, que l’ensemble des ressorts autoritaristes, répressifs, racistes d’État, anti-militants, qui se sont enracinés depuis le début du tournant bonapartiste en France à l’été 2014 (…). Rappelons que c’est Macron qui a pointé lors de son débat du 3 mai avec Le Pen, comme l’avait fait Valls, les « groupes d’extrême-gauche », sans oublier de répondre à celle-ci qu’il dissoudrait tous les groupes « violents », anti-républicains, antifas etc. (…) Macron, nouveau champion de la bourgeoisie, va être aussi le champion de l’enracinement de l’État d’exception. »

[2] Tout en participant au projet de satelliser l’ensemble des forces de gauche, écologistes voire même d’extrême gauche autour du « Parlement » et de l’Union Populaire en vue des élections législatives et au-delà.

 
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