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20 de juin de 2022 Twitter Faceboock

International
Colombie. Gustavo Petro devient le premier président de gauche : une « rupture » historique ?
Gabriel Ichen

Pour la première fois de son histoire politique, la Colombie sera dirigée par un gouvernement de centre-gauche. Mais dans un contexte d’importante instabilité, Gustavo Petro a d’ores et déjà annoncé qu’il composera avec la droite et limitera donc son programme, présenté comme une « rupture » mais destiné à canaliser la colère des classes populaires.

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Lors du second tour de l’élection présidentielle en Colombie qui a eu lieu ce dimanche, le candidat de centre-gauche Gustavo Petro a remporté l’élection contre Rodolfo Hernandez, populiste de droite soutenu par la droite traditionnelle, avec une avance de plus de trois points (soit 700 000 voix). Pour la première fois dans l’histoire du pays, la classe politique traditionnelle dominée depuis deux décennies par la droite et par l’uribisme (du nom d’Alvaro Uribe, ancien président de la droite réactionnaire et mentor du président sortant Ivan Duque), a été éjectée du second tour et ne sera pas aux affaires. Pour la première fois également, la gauche de gouvernement arrive au pouvoir.

Ces élections historiques se sont déroulées dans un contexte particulièrement tendu et incertain jusqu’au soir d’un second tour qui a vu s’affronter deux candidats qui se présentaient comme anti-establishment, l’un à gauche et l’autre à droite, et ont révélé la profonde crise dans laquelle se trouve le régime colombien. Un an avant l’élection, le pays a été secoué par des révoltes historiques contre les mesures d’austérité et contre la misère sociale, durement réprimée par le gouvernement sortant.

Gustavo Petro a cherché tout au long de sa campagne à afficher « un programme de rupture » afin de canaliser dans les urnes la colère qui s’était exprimée lors de ces révoltes, menées principalement par la jeunesse, les classes populaires et les communautés indigènes colombiennes. En ce sens, il a d’ailleurs nommé vice-présidente Francia Marquez, militante écologiste afro-colombienne reconnue dans les mouvements sociaux, qui devient la première femme noire à occuper ce poste. C’est vraisemblablement cette canalisation qui a permis à Petro et sa coalition de partis de la gauche institutionnelle, le Pacto Historico, de l’emporter, aidés par une participation record de 58%.

Une élection historique pour la gauche en Colombie : rupture ou continuité avec le régime ?

Le soir de sa victoire, dans un discours tenu dans le stade Movistar de Bogotà Petro a de nouveau appelé à une sorte de pacte d’unité nationale. Il a évoqué « une politique de l’amour et du dialogue » et revendiqué un changement « qui laisse la haine et le sectarisme dans le passé », faisant référence au contexte de violence politique extrême dans lequel est plongé le pays depuis des décennies. Il a ainsi présenté son gouvernement comme celui du « changement pour la vie » et de « la paix, de la justice sociale et de la justice environnementale ».

Derrière les appels flous au « changement » et loin de la rupture promise, Gustavo Petro a pris soin de tendre la main à son rival de droite ainsi qu’à toute la vieille classe politique colombienne dont il a cherché à se démarquer dans sa campagne. « Rodolfo Hernandez, qui a fait une campagne intéressante, peut dialoguer avec nous quand il veut » a-t-il adressé à son adversaire, patron millionnaire du BTP, sorte de Trump colombien connu pour ses sorties misogynes, homophobes et racistes.

Mais c’est surtout la classe politique traditionnelle colombienne que Petro a voulu rassurer. Ceux-là même qui sont pourtant directement responsables de la violence politique dans le pays et qui sont les garants des intérêts des classes dominantes colombiennes. Petro a par exemple tendu la main à Alvaro Uribe, leader historique de la droite colombienne qui a mené une politique sanglante de militarisation du pays, et dont les liens avec le narcotrafic et les groupes paramilitaires d’extrême-droite, coupables de centaines de massacres de civils, ont été établis depuis longtemps. « Nous n’allons pas utiliser le pouvoir pour détruire nos opposants […] L’opposition que nous aurons et ses leaders, que ce soit Uribe, Federico Gutierrez [candidat de l’uribisme défait au premier tour] ou Rodolfo [Hernandez], seront toujours les bienvenus dans le palais de Nariño [palais présidentiel siège du pouvoir exécutif] pour dialoguer sur les problèmes de la Colombie » a-t-il affirmé le soir de sa victoire.

Ces opposants de droite qui ont tenu le pouvoir pendant des décennies et qui s’étaient pourtant durement opposés à Petro, n’ont montré aucune résistance au moment de la proclamation des résultats et ont ainsi tout de suite reconnu la victoire de l’ancien maire de Bogota et ancien sénateur de gauche. Alvaro Uribe a ainsi lui-même reconnu la victoire sur son compte Twitter : « Gustavo Petro est le Président. Que nous guide un seul sentiment : la Colombie avant tout » a twitté l’ancien président de droite. Petro a également reçu un coup de téléphone du président sortant Ivan Duque, poulain de Uribe, qui l’a félicité pour sa victoire et pour se « réunir dans les prochains jours pour initier une transition harmonieuse, institutionnelle et transparente ».

Pour le régime colombien qui a activement soutenu Hernandez, l’élection de Petro n’était pas le scénario politique voulu et attendu. Pour autant, avoir un président qui a cristallisé la confiance d’une partie importante de la jeunesse et des classes populaires pourrait bien servir de bouée de sauvetage temporaire dans une situation sociale explosive et après des révoltes qui ont ébranlé l’État colombien, suscitant d’importantes inquiétudes pour les classes dominantes.

De son côté, Gustavo Petro ne peut s’aliéner complètement ces secteurs qui représentent la bourgeoisie colombienne. Malgré sa victoire, Gustavo Petro ne bénéficie d’aucune majorité dans aucune des deux chambres du Congrès colombien. Si l’élection présidentielle a constitué un revers pour les partis traditionnels colombiens, ces derniers tiennent toujours le parlement. La chambre des députés est ainsi dominée largement par la droite traditionnelle, et avec un parti libéral (parti de centre droit) ayant le plus gros contingent de députés. Petro sera donc contraint de s’allier avec certains secteurs de cette vieille classe politique du régime qu’une grande majorité de colombiennes et colombiens, et en premier lieu l’électorat de Petro, rejette aujourd’hui. Il n’est donc pas risqué d’affirmer que Petro diluera grandement son programme de « justice social » et devra assurer des compromis importants avec l’uribisme et les classes possédantes colombiennes qui refuseront tout changement substantiel pouvant remettre en cause leurs intérêts.

Durant toute sa campagne, Petro a donné d’importants gages aux capitalistes colombiens et à l’impérialisme américain. Il avait par exemple signé un document officiel dans lequel il s’engageait devant les institutions colombiennes à faire aucune nationalisation. Il s’est également « engagé auprès du FMI à réduire le déficit », synonyme de politiques d’austérités. Ces mêmes politiques contre lesquels la jeunesse, les travailleurs et les classes populaires colombiennes se sont mobilisées il y a un an.

Du Chili à la Colombie : des gouvernements de gauche réformistes pour contenir les explosions sociales à venir ?

La Colombie et l’Amérique Latine se trouvent dans une situation particulièrement tendue sur le plan économique et social. Les phénomènes de révoltes populaires et ouvrières qui ont explosé avant la pandémie mondiale au Chili et en Équateur puis après la pandémie en Colombie expriment la profonde colère sociale qui existe aujourd’hui et qui n’a trouvé pour le moment aucune réponse. A l’inverse, les conditions de vie de millions de latino-américains se sont encore plus dégradées depuis la pandémie. A cela s’ajoute aujourd’hui les tendances fortes à l’inflation qui accentuent la misère sociale.

C’est dans ce contexte que des gouvernements réformistes ont accédé au pouvoir en canalisant dans la voie électorale des processus de révoltes puissants, comme celui de 2019 au Chili, à la suite duquel Gabriel Boric a été élu président en décembre dernier en promettant le changement et la fin de l’État néolibéral. Très rapidement le jeune président réformiste s’est montré être un adversaire de ceux qui l’avaient élu en réprimant le sud du pays et réprimant le peuple indigène Mapuche ou encore en réprimant des grévistes.

C’est dans un processus similaire que Gustavo Petro arrive au pouvoir en Colombie. Mais dans une telle configuration économique et politique pour la Colombie, il y a fort à parier que l’élection de Petro, aussi historique soit-elle, ne parviendra pas à résoudre ces contradictions profondes et que la classe ouvrière, la jeunesse, les classes populaires et les communautés indigènes devront, à nouveau, faire leur entrée en scène.

 
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