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7 de juillet de 2022 Twitter Faceboock

Islamophobie
Enquête. Au lycée V. Hugo à Marseille, la direction s’acharne contre le personnel qui dénonce le racisme
Matteo Falcone

Au lycée Victor Hugo à Marseille, les surveillants dénoncent le non-renouvellement de trois de leurs collègues qui survient après qu’ils aient dénoncés des faits de racisme au sein de l’établissement. Une situation que plusieurs lycéennes dénoncent également, après s’être mobilisées le 20 mai dernier contre l’islamophobie.

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Depuis des mois, la tension monte au lycée Victor Hugo de Marseille. Alors que des lycéennes dénoncent des discriminations, des remarques racistes et sexistes et des humiliations au sein de l’établissement, l’équipe de la vie scolaire qui a signalé de tels faits est réprimée par l’établissement. Harcèlement de la part de certains personnels, pressions et humiliations par la direction : ils sont aujourd’hui trois AED à être poussés vers la sortie. Une situation qui témoigne de l’offensive réactionnaire qui se déroule en ce moment dans l’Education nationale.

Une stigmatisation des lycéennes portant un foulard à l’extérieur de l’établissement

Le 20 mai dernier, une soixantaine de lycéennes organisaient un rassemblement devant le Lycée Victor Hugo pour dénoncer une situation de stigmatisation raciste au sein de l’établissement. « Non à l’exclusion ! Non, à l’exclusion ! » C’est le slogan que les lycéennes répètent en cœur à 10h du matin ce jour-là devant le lycée. Dans une vidéo tournée par les lycéennes que Révolution Permanente publie aujourd’hui, l’une d’elles dénonce : « Quand on nous fait la réflexion « eh t’as pas une robe un peu trop longue » comment ça trop longue, ça veut dire quoi trop longue ? Demain, j’ai envie de mettre un crop-top, demain j’ai envie de mettre un chapeau sur ma tête ou un voile, c’est ma décision ! ».

Pendant plusieurs interventions, les lycéennes pointent des comportements stigmatisants répétés. Une situation dont témoigne Maria*, actuellement en classe de première au lycée Victor Hugo, qui porte un foulard depuis moins d’un an auprès de Révolution Permanente.

Si chaque matin, avant de rentrer dans l’établissement, elle retire son foulard elle dit avoir reçu de nombreuses remarques : « Pourquoi tu as changé ton style ? Ce n’est pas beau, je n’aime pas », « tu n’as pas chaud avec ça ? »« Ce sont des questions dérangeantes qu’ils n’ont pas le droit de poser. » nous explique-t-elle. Aujourd’hui elle ne supporte plus cette situation et dit aller au lycée avec la boule au ventre : « J’ai l’impression qu’en rentrant dans ce lycée, on m’enlève ma liberté, on me fait des remarques sur la taille de mes robes, sur les bandeaux que je peux parfois porter. Ils disent que nos vêtements sont reliés à la religion alors que pas du tout, j’ai le droit de m’habiller comme je veux tant que je respecte la loi. »

C’est aussi le cas de Lina*, lycéenne de terminale, qui dit être soulagée de partir de cet établissement. « J’ai reçu tout un tas de remarques tout au long de l’année sur la taille de mes robes sur comment je m’habille, des remarques qu’ils ne vont jamais faire à des filles qui ne portent pas le voile. »

Le jour de ce rassemblement, les lycéennes ont été reçues par la proviseure mais pour Maria, « ça n’a rien changé ! » Elle finit par nous confier en fin d’entretien « J’aimerais que nos voix soient entendues, on a l’impression de ne pas être comme les autres. Aujourd’hui, c’est moi qui parle, mais on est plusieurs à avoir subi ça. On a décidé de porter le voile pour nous-mêmes et on n’a pas changé, mais aujourd’hui, on se sent humiliées. »

Cette situation au sein du lycée Victor Hugo a été dénoncée à plusieurs reprises non seulement par les élèves directement mais aussi une partie des AED (assistant d’éducation, les surveillants) de la vie scolaire. Or, face aux faits rapportés, la direction de l’établissement et une partie des professeurs ont choisi de passer à l’offensive contre les AED.

Des AED non renouvelés pour avoir dénoncé le racisme subi par des élèves ?

La direction de l’établissement a en effet fait le choix de ne pas renouveler trois AED pour l’année prochaine. Une décision que l’équipe de la vie scolaire dénonce, y voyant une répression claire suite aux différentes mobilisations de la vie scolaires, mais également à la dénonciation par des AED de faits de racisme au sein de l’établissement.

« L’année dernière d’importantes mobilisations des vies scolaires partout en France sont parties du lycée Victor Hugo. On était les premiers à débrayer et on a obtenu des victoires : le CDI au bout de six ans et la prime REP+ qui restent encore à être correctement appliqués » nous explique Emmanuel Roux, AED et syndiqué à la CGT. Pour autant, pour lui « l’élément déclencheur de cette année est le signalement qui a eu lieu en cours d’année sur des propos racistes rapportés par des élèves ».

Au mois de janvier, six AED font en effet parvenir à la direction de l’établissement un signalement sur des propos à caractère racistes qu’une professeure de l’établissement aurait prononcé à ses élèves. Révolution Permanente a pu le consulter. On peut y lire notamment que des élèves disent être insultés de « blédard ». D’autres remarques rapportées par des élèves sont mentionnées : « Si Zemmour est élu, vous prendrez vos valises », « tu devrais faire femme de ménage », … Une professeure passerait de « longues minutes à argumenter son aversion pour les femmes portant le voile » rapportent également les témoignages.

Suite à cela, les AED ayant rapporté les témoignages subissent une « déferlante ». « Le signalement n’a jamais eu de suite, que ce soit au niveau du rectorat ou de l’académie. Par contre il y a eu une déferlante envers nous (la vie scolaire) par la direction et certains professeurs suite à ce signalement. » dénonce Myriam Ibersiene, étudiante à l’université d’Aix-Marseille, AED au lycée Victor Hugo depuis moins d’un an, syndiquée à la CGT. Elle et deux autres AED n’ont pas été renouvelées pour l’année à venir.

Dans l’établissement, la situation s’est également dégradée raconte la vie scolaire. « Petit à petit, tu as des profs qui vont commencer à vouloir faire notre travail à notre place, ils se mettaient au portail à côté de nous et ils faisaient des remarques déplacées aux lycéennes : « Tu mets un voile et tu veux faire de la socio ? », « Tu n’as pas chaud comme ça ? » » raconte Emmanuel Roux. Ces remarques seront signalées notamment dans une fiche du registre Santé et Sécurité datant du 7 juin 2022, document que Révolution Permanente publie aujourd’hui.

Fiche du registre santé et sécurité signalant des propos à caractère discriminatoire rempli par un représentant syndical de SUD suite à un entretien entre une des AED non-renouvelé et la direction de l’établissement

De nombreuses altercation auraient aussi eu lieu entre certains personnels de l’établissement et les AED. Myriam Ibersiene raconte notamment avoir été agressée verbalement au mois de mai par une personnel de l’établissement venue la voir pour lui reprocher de mal faire son travail, ajoutant en criant : « toi ta carrière elle est finie ! ». « J’ai essayé de lui répondre, elle est revenue vers moi pour me dire « ferme ta bouche ! » Tout ça devant les élèves, pour finir par crier « Démission ! Démission ! » à moi et uns de mes collègues » nous confie Myriam. Cette scène, qui s’est déroulée aux yeux de tous, nous a été confirmée par des lycéennes et d’autres AED de la vie scolaire. Suite à ces agressions verbales, Myriam Ibersiene fera une demande de protection fonctionnelle en dénonçant cette situation. Elle n’a reçu aucune réponse aujourd’hui.

Entre temps la mobilisation des lycéennes du 20 mai dernier avait eu lieu pour dénoncer les propos racistes et leur sentiment de stigmatisation. Le dimanche 29 mai plus d’une semaine après le rassemblement organisé par les lycéennes la proviseure de l’établissement fait parvenir à l’ensemble de la communauté éducative un mail où elle pointe du doigt la vie scolaire qui s’affranchirait des « échelons hiérarchiques » et ferait usage de « de diffamation ». Un mail qui ne mentionne aucunement les propos des lycéennes sur leur sentiment de stigmatisation et les remarques qu’elles ont subi tout au long de l’année. Dans cette même boucle mail certains professeurs accusent les AED d’« instrumentaliser les élèves ».

Ainsi, la direction de l’établissement rejette non seulement la faute sur la vie scolaire, mais ne prend aucune mesure pour garantir la protection des lycéennes. Dans la foulée, une série de convocations des surveillants auprès de la proviseure ont eu lieu, aboutissant au non-renouvellement de trois AED. Les personnels qui ont eu à cœur de recueillir la parole des jeunes filles et d’alerter l’administration se sont par ailleurs vu qualifier de « wokiste ». Un terme réactionnaire popularisé par l’ancien ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer et qui retraduit les batailles idéologiques qui ont cour aujourd’hui dans l’éducation.

Face au non-renouvellement, une mobilisation et une solidarité large

« Je ne veux pas retourner dans le lycée, l’ambiance est trop affreuse. » affirme Lisa, une des trois AED non-renouvelés et actuellement en arrêt maladie. Pour Baseku, un autre AED non-renouvelé « lorsque je viens au lycée, j’ai la boule au ventre, il y a eu beaucoup d’harcèlement moral ! ». Une situation dramatique confirmée par Emmanuel Roux « Les collègues sont tellement effondrés, il y a un sentiment d’injustice tellement profond c’est horrible ce qui nous arrive. J’ai fait plusieurs conflits syndicaux, mais celui-ci, c’est le plus difficile, voire une corporation entière se retourner contre toi et te mettre sur le banc des accusés parce que tu as voulu protéger tes élèves, c’est horrible. » A plusieurs reprises au moins six AED ont fait reconnaitre un arrêt-maladie par crainte de retourner au sein de l’établissement.

Face à la situation, depuis le 16 juin, l’équipe de la vie scolaire a entrepris de lancer une mobilisation d’ampleur pour dénoncer la situation. Ils estiment que le non-renouvellement de leurs contrats est lié à de la discrimination syndicale et une tentative d’étouffer les alertes qu’ils ont fait tous au long de l’année sur « une ambiance nauséabonde » à caractère raciste et islamophobe au sein de l’établissement. Aussi ils dénoncent « de nombreuses pressions et intimidations de la part de la direction de l’établissement ». Un discours qui ne peut qu’être confirmer par les documents et témoignages que nous avons recueillis.

Communiqué d’appel pour la 1ere mobilisation de la vie scolaire débuter le 16 juin

Contactée par Révolution Permanente, la direction de l’établissement a refusé de nous répondre, nous renvoyant vers le rectorat. Mercredi dernier, suite à la mobilisation, ce dernier assume dans La Marseillaise que les trois surveillants ne sont pas renouvelés « dans l’intérêt du service et pour non-respect des obligations liées au rôle attendu d’AED ».

Une répression assumée face à laquelle les AED ont déjà déposé une mise en demeure par le biais de leur avocate. Un recours juridique qui va de pair avec un rassemblement qui a permis aux salariés de recevoir le soutien de nombreux secteurs venus les soutenir. Présents au rassemblement du 28 juin dernier, on pouvait ainsi voir des dockers, des travailleurs de l’énergie, du commerce, des femmes de chambre et de nombreux secteurs proches de la CGT 13.

Rassemblement du mardi 28 juin, beaucoup de secteurs était représenté ce jour-là et la vie scolaire pouvait compter sur le soutien de la CGT 13

Cette situation au sein du lycée Victor Hugo est révélatrice du climat réactionnaire qui prend corps dans l’éducation nationale dans le sillage d’une longue offensive qui n’a fait que se renforcer sous le premier quinquennat Macron. Depuis la loi de 2004, les offensives de stigmatisation des musulmanes se multiplient à coup de tentatives de légiférer sur les sorties scolaires et les mamans accompagnatrices voilées et de débats autour des « tenues républicaines » puis des « tenues islamiques ».

Alors que la tenue et le corps des femmes sont au cœur des débats, il est fondamental de soutenir les lycéennes du Lycée Victor Hugo de Marseille ainsi que les personnels de la vie scolaire qui subissent la répression pour avoir porté leurs témoignages. Trop couvertes ou pas assez aux élèves de décider, l’école devrait être un lieu d’apprentissage et d’émancipation, non de stigmatisation et d’autoritarisme.

*Les prénoms ont été modifiés.

 
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