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20 de septembre de 2022 Twitter Faceboock

Éducation Nationale
Val d’Oise. Au lycée Romain Rolland, les profs se mobilisent depuis la rentrée face au manque de moyens
Louis McKinson

Contre les sureffectifs qui portent les classes à plus de trente élèves cette année, le personnel du lycée Romain Rolland de Goussainville (95) se mobilise depuis la rentrée pour défendre les conditions d’enseignement de ses élèves et ses conditions de travail. Après deux semaines de lutte, la mobilisation prend le chemin de la coordination avec d’autres établissements.

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Photo : Le personnel du lycée Romain Rolland devant la DSDEN du val d’Oise jeudi 8 septembre

Comme pour de nombreux établissements du pays, la rentrée s’est faite sous le signe de la crise de l’enseignement public au lycée Romain Rolland de Goussainville. Avec cinq professeurs toujours manquants et des classes qui commencent toutes à dépasser les trente élèves, c’est dès la rentrée que le personnel s’est mobilisé pour défendre ses conditions de travail.

Un lycée populaire accablé par les sureffectifs

L’année dernière déjà, l’établissement, qui relève historiquement de l’éducation prioritaire, avait vu ses classes de STMG (Sciences et Technologies du Management et de la Gestion) dépasser les trente élèves. Un dépassement qui s’est généralisé cette année : « On a les classes de STMG qui augmentent encore, tous les niveaux, mais aussi les secondes générales, les terminales générales, les classes de spécialités, etc. » détaille Salomé, professeure d’histoire-géographie depuis deux ans au lycée.

Ces hausses d’effectifs mettent à mal la capacité des enseignants à suivre le travail et la progression des élèves, et ont des conséquences directes sur les résultats de ces derniers. Pour Lucas, professeur de français au lycée, l’impact sur les élèves ne fait aucun doute : « On sait l’incidence que cela a sur les résultats. L’année dernière, on a dépassé les trente élèves en STMG par classe, leurs notes du bac oral de français étaient mauvaises, la moyenne globale de leurs notes en a pris un coup. Il y a quelques années d’ailleurs, la bonne réussite du lycée avait été médiatisée et, parmi les éléments clefs qui avaient été retenus pour l’expliquer, les effectifs « réduits » étaient en première ligne. Bref, aujourd’hui on nous retire ce que l’on sait être la condition pour faire réussir nos élèves. Je ne sais pas ce que recherche l’institution mais en tout cas, elle rend de fait l’enseignement toujours plus impossible dans nos quartiers. »

Comme en témoigne également Julien, professeur de physique au lycée Romain Rolland, c’est dans les établissements qui accueillent les enfants des classes populaires que la rentrée a été la plus critique : « Clairement, on dit que c’est dans les quartiers populaires que notre métier a le plus de sens, mais c’est là où il est le plus démoli. Par exemple, il y a beaucoup de collèges en REP+ autour de nous, ils sont à trente élèves par classe. L’éducation dite prioritaire est en fait la première à subir la casse de l’éducation. ». Dans le même temps, « la dégradation des conditions d’études des plus précaires, on la voit à l’œuvre au sein même de l’établissement, les inégalités par rapport aux sureffectifs divisent les élèves, et les profs..., c’est injuste sur toute la ligne. » complète Salomé. Typiquement, le fait que les classes de STMG aient été les premières impactées par les sureffectifs n’est pas anodin : les sections les plus défavorisées sont ciblées en premier.

De fait, face à ces sureffectifs comme face au manque de profs de cette rentrée – les classes surchargées visant à justifier la suppression d’enseignants - les établissements des quartiers populaires comme Romain Rolland ont été nombreux à devoir monter au créneau, notamment en banlieue parisienne. Si les professeurs peuvent témoigner de la dégradation de l’ambiance de travail qu’apportent ces sureffectifs et s’inquiètent de la réussite de leurs élèves dans ces conditions, il n’y a pas de doute que les lycéens partagent ces préoccupations. « Ils voient bien qu’on travaille mieux à trente qu’à trente-cinq ou quand ils sont en demi-classe », tranche Lucas. « On en est au point où on manque de places dans les salles. Quand en début d’heure on rajoute des tables à l’improviste jusqu’à bloquer la porte d’entrée, ils n’en sont plus à se rendre compte que c’est n’importe quoi, ils le subissent. » explique Salomé.

Pour dramatique qu’elle soit, l’imposition des sureffectifs au lycée Romain Rolland comme ailleurs dans le Val d’Oise ne date ni de cette année ni de l’année dernière. Au lycée de Goussainville, si la crise s’est approfondie cette année, le problème est aussi vieux que l’établissement, rapporte Julien : « Un collègue qui est là depuis quasiment l’ouverture du lycée, dans les années 1980, me disait à l’instant que quand il est arrivé il y avait 1100 élèves. Aujourd’hui, nous sommes à 1962 élèves. Et en termes de capacité d’accueil, on nous a rajouté seulement quatre salles préfabriquées. ». Pour le professeur, la contradiction entre une croissance vertigineuse du nombre d’élèves d’un côté et des moyens d’accueil qui stagnent de l’autre s’est accélérée à partir des années 2010 où, à l’époque, l’établissement n’en était, par exemple, encore qu’à huit classes de secondes contre treize aujourd’hui. Derrière les sureffectifs, c’est donc face à cette crise structurelle qui revient toujours plus fort que le personnel de Romain Rolland s’est, comme l’année dernière, mobilisé en cette rentrée.

Un lycée debout face au manque de moyens

Après une première journée de grève le lundi de la rentrée, les grévistes obtiennent un rendez-vous jeudi 8 septembre avec la DSDEN (Direction des Services Départementaux de l’Éducation Nationale) du 95, en charge des affectations des élèves. Ce jour, alors qu’entre quarante et cinquante personnes de l’équipe éducative se pressent sur le parking du bâtiment pour soutenir la délégation partie rencontrer le directeur académique, rien ou presque ne sera obtenu. Alors que les enseignants revendiquent qu’aucune classe ne dépasse les trente élèves, c’est seulement une dotation de six heures pour l’ensemble de l’établissement qui sera finalement lâchée par la direction académique, une insulte par rapport aux besoins manquants.

L’équipe ressort en colère de cette réunion : « On s’est fait mépriser. On leur parlait d’élèves et eux nous parlaient de chiffres, de « calibrage », ils sont sur une autre planète », témoigne une professeure qui a participé à la réunion.

De fait, la crise que subit le lycée Romain Rolland n’est ni un effet sans cause ni un cas isolé, c’est le résultat d’une politique générale de l’institution vis-à-vis de l’enseignement public dans le secteur. Comme l’explique Salomé : « Tous les établissements du bassin sont touchés par les sureffectifs, le problème se pose chaque année dans chacun d’eux, aujourd’hui on n’a plus aucun doute sur le fait que c’est un choix conscient de la part de l’institution. » Pour Julien également : « Défendre les conditions d’études de nos élèves, c’est un discours qui est inaudible pour eux. L’argument qui revient tout le temps dans leur bouche c’est qu’autour de nous la situation est pire… De fait, beaucoup de lycées autour de nous sont déjà à trente-cinq élèves par classe, mais ce sont autant de raisons de plus pour être révoltés ! On souhaite qu’il n’y ait aucune classe dans aucun lycée où les élèves se retrouvent à plus de trente par classe ! »

L’équipe du lycée décide pour continuer la mobilisation d’occuper, en se relayant sur leurs heures de creux, les bureaux de la direction du lycée, ce depuis mardi 13 septembre à midi : « On est conscients que c’est faible comme moyen d’action, on cherche encore à trouver le moyen de mobiliser davantage les collègues » concède Julien. Leurs revendications se concentrent sur des résolutions pour pallier le problème des effectifs : création immédiate de certaines classes (une classe de seconde, une demie classe de STMG) et la possibilité de faire des dédoublements des classes, ce qui implique l’attribution de plus d’heures, plus de moyens, plus de personnels.

En effet, pour les personnels et les élèves, il nous faut exiger la création de classes, mais aussi favoriser les classes en demi-groupes, les embauches au statut notamment pour tous les précaires de l’éducation (assistant.es d’éducation, assistant.es pédagogiques, AESH…) ou encore l’augmentation des salaires indexés sur l’inflation et ce d’autant plus dans une période où les travailleurs.es vont souffrir de l’augmentation des prix.

Une bonne partie de l’établissement n’a pas encore rejoint la lutte, et de telles revendications pourraient jouer un rôle pour convaincre les collègues de rejoindre la mobilisation : « Une limite aujourd’hui, c’est qu’on n’arrive pas à mobiliser assez les collègues du lycée professionnel, c’est essentiellement le général qui est mobilisé. Le lycée professionnel est pas encore concerné, mais ça arrive aussi chez eux malheureusement. Et pareil avec les AED et les AESH, on a encore un gros travail de communication pour unir l’ensemble des personnels. » Pour ce professeur qui travaille depuis quatorze ans sur le lycée, joindre ces forces «  est une difficulté qui s’est exacerbée sur le long terme, en cassant le statut, en embauchant un maximum de contractuels précaires, on a détruit l’esprit d’unité, l’individualisme et le corporatisme sont devenus des obstacles redoutables. »

Un autre défi majeur aujourd’hui pour le lycée Romain Rolland et ceux qui comme lui se sont affrontés, en l’absence honteuse d’une initiative syndicale dans le secteur, seuls face au mépris de l’institution, est de trouver les moyens d’une coordination à la base dans l’éducation, mais aussi avec d’autres secteurs du public comme du privé touchés par des problématiques similaires. Cela permettrait aussi de donner des perspectives aux collègues qui hésitent à se mobiliser faute de voir les perspectives à court et moyen terme, ainsi que de créer du collectif et du moral qui seront autant d’acquis pour les batailles à venir.

Comme l’explique Salomé : « Aujourd’hui chaque établissement est encore beaucoup dans sa lutte locale : pour les effectifs, le manque de profs, d’AESH, d’AED, les élèves sans affectation comme on l’a vu dans l’Essonne. La contradiction, c’est qu’on a tous les mêmes problèmes mais qu’on garde le nez dans le guidon. On est nombreux à être mobilisés en Île de France ! Il faut qu’on réussisse à ce que nos revendications montent en généralité en se coordonnant pour peser davantage. C’est ce qu’on essaye de faire cette année avec notre secteur dans le 95 et qu’on n’avait pas fait l’année dernière. On a besoin de trouver une solution qui renverse la vapeur à une autre échelle. »

Le chemin de la convergence ?

À l’heure où l’ensemble de la classe ouvrière voit ses conditions de vie sabrées par l’inflation, le besoin d’un plan de bataille pour l’ensemble des travailleurs se pose plus que jamais. C’est aussi dans cette perspective que la colère des personnels de l’éducation comme ceux du lycée Romain Rolland pourrait être amenée à confluer avec celles de l’ensemble des travailleurs.ses. Cette préoccupation est loin d’être secondaire, comme en témoigne la jeune professeure : « Quand on est prof en Île de France, tout est trop cher pour nous : loyer, vie quotidienne... Je suis face à l’alternative suivante : soit je change de métier, soit je change de région ». Pour Lucas également, la lutte contre la casse de l’enseignement public et la question des salaires des personnels de l’éducation est indissociable : « Au final, si au fait que chaque année on détruise un peu plus notre métier on ajoute la dégradation de nos conditions de vie, on va finir par partir ailleurs éventuellement, mais surtout à quitter l’enseignement tout court. ».

Le 29 septembre, la journée de mobilisation pour les salaires appelée par toutes les organisations syndicales à l’exception de Force Ouvrière, pourrait être un point d’appui pour commencer à faire converger les colères qui s’expriment dans l’enseignement public et exiger plusieurs journées où tous les secteurs pourraient réellement taper ensemble sur le même clou, autour de revendications partagées, afin de refuser la destruction de nos services publics au nom de la course au profit et que les travailleurs.ses, les élèves et les quartiers populaires ne se prennent pas la crise économique de plein fouet.

 
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