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La Izquierda Diario
22 de septembre de 2022 Twitter Faceboock

Guerre en Ukraine
Ce qui se cache derrière la mobilisation partielle des réservistes par Poutine et la menace nucléaire
Claudia Cinatti

Poutine a enfin parlé. Ces déclarations interviennent un peu plus d’une semaine après la pire défaite tactique de l’armée russe sur le front nord-est de l’Ukraine en sept mois de guerre.

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Dans un message télévisé adressé à la fois au public russe et au monde entier, Poutine a donné mercredi des indications sur sa feuille de route dans la guerre. Le timing ne semble pas être une coïncidence : il a choisi le même jour que les discours de Joe Biden et de Volodomyr Zelensky à l’Assemblée générale des Nations Unies, qui, selon son secrétaire général, António Guterres, s’est déroulée sur fond des divisions géostratégiques les plus profondes depuis au moins la Guerre Froide. Non seulement à cause de la guerre entre la Russie et l’Ukraine/OTAN, mais aussi parce que l’érosion de l’« ordre néolibéral » de l’après-guerre froide donne lieu à la résurgence de conflits et de guerres régionales (Arménie-Azerbaïdjan, Kosovo-Serbie) dans lesquelles les puissances de second rang comme la Turquie voient une opportunité.

La principale nouveauté est que Poutine a annoncé une « mobilisation partielle » - l’appel à 300 000 réservistes - et a menacé d’utiliser des armes nucléaires. Il a précisé qu’il ne « bluffait » pas avec l’escalade nucléaire, au cas où les États-Unis et l’OTAN, qui, de fait, dirigent politiquement et militairement le camp ukrainien, décideraient d’intensifier leurs objectifs avoués d’« affaiblir la Russie » et même de s’enhardir avec un possible « changement de régime ».

Pour l’instant, cependant, le changement militaire le plus important se situe dans le domaine des moyens de guerre conventionnels : la Russie va passer du combat avec des bataillons combinés de militaires professionnels, de mercenaires et de soldats inexpérimentés à l’envoi sur le champ de bataille d’une armée comportant une proportion plus élevée de conscrits et de réservistes ayant peu d’expérience de combat.

Cette décision n’est pas gratuite. Jusqu’à présent, le Kremlin a empêché la guerre d’entrer pleinement dans la vie quotidienne des Russes, notamment des classes moyennes des grandes villes, en essayant de maintenir une façade de normalité, voire d’amortir l’impact des sanctions économiques. Mais si l’« opération militaire spéciale » est de plus en plus considérée pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une guerre, ce consensus silencieux se fissurera inévitablement. Reste à savoir si les peines exemplaires d’années de prison et de répression qui avaient jusqu’à présent fonctionné pour Poutine afin d’empêcher l’escalade de l’opposition interne suffiront à maintenir l’ordre sur le front intérieur.

En même temps, compte tenu du temps qu’il faudra à ces nouvelles troupes pour être au moins prêtes au combat de façon minimale, cette décision indique que la Russie se prépare à un conflit plus long. Ce n’est un secret pour personne que Poutine compte sur l’arrivée inexorable de l’hiver pour jouer en sa faveur. Mais la réalité est que l’hiver arrive pour tout le monde, y compris pour l’armée russe, qui mène une guerre qui combine des tactiques et des manœuvres typiques des guerres du XXème siècle avec l’utilisation de drones et de renseignements perfectionnés par les avancées technologiques. Et sa dynamique inclut la possibilité d’un saut vers un conflit nucléaire.

Malgré les spéculations selon lesquelles l’offensive ukrainienne à Kharkiv marquerait un tournant dans la guerre, elle ne semble pas en soi avoir le potentiel de sceller l’issue de celle-ci. Comme cela a été le cas à d’autres moments de la guerre, plusieurs analystes pro-occidentaux affirment que l’armée russe a atteint son « point de basculement », c’est-à-dire que sa capacité offensive est épuisée et qu’elle doit passer à une position défensive.

Bien qu’il soit difficile de faire des définitions catégoriques, la stratégie de la Russie semble être de consolider les « objectifs intermédiaires » que le Kremlin s’est fixés après son échec dans l’assaut sur Kiev au début de la guerre. Il ne s’agit ni de l’escalade totale exigée par les secteurs les plus nationalistes de l’échiquier militaro-politique russe, ni de la défaite prématurée qui avait enthousiasmé les puissances occidentales, notamment les États-Unis, au début du succès militaire ukrainien.

Sur la forme, il s’agit d’une escalade de la présence militaire ; sur le fond, les mesures annoncées par Poutine ne semblent pas avoir d’objectifs offensifs, mais visent plutôt à sécuriser la position de la Russie dans la région du Donbass contre une hypothétique expansion de la contre-offensive ukrainienne. Les annonces de référendums précipités à Lugansk, Donetsk, Kherson et Zaporijia en vue d’une annexion à la Russie vont dans le même sens. Mais cela pourrait changer. Si tel est le scénario final, la guerre se poursuivra très probablement dans sa triple dimension : militaire, économico-politique et géopolitique.

Alors que, à proprement parler, le théâtre des opérations militaires reste confiné au territoire ukrainien, la dimension internationale du conflit surdétermine le cours des événements. Le succès de la contre-offensive ukrainienne ne peut en effet s’expliquer que par l’armement et les conseils militaires et de renseignement des États-Unis et, accessoirement, des autres puissances de l’OTAN. Au cours des sept mois de la guerre, l’impérialisme américain a déboursé à lui seul quelques 57 milliards de dollars pour financer l’Ukraine ; sans parler de l’investissement qu’elle réalise depuis 2014 pour transformer l’Ukraine en une sorte d’avant-poste de l’OTAN, alors qu’elle n’est pas formellement membre de l’alliance. L’administration de Joe Biden tentera de tirer parti des avancées de Zelensky pour améliorer ses perspectives en vue des élections de mi-mandat, qui donnent jusqu’à présent l’avantage aux républicains.

À son tour, c’est ce même succès militaire tactique que le président Zelensky utilise pour démontrer que « l’Ukraine peut gagner ». Avec cet argument, il fait pression sur ses sponsors occidentaux pour obtenir des armes et des financements plus nombreux et de meilleure qualité. Il espère obtenir de l’administration Biden des équipements lourds, qui lui ont été refusés jusqu’à présent parce qu’ils sont susceptibles d’atteindre le territoire russe. Mais la principale cible des critiques et des pressions est l’Allemagne, ce qui ajoute une tension à l’alliance occidentale, et remet notamment en question l’équilibre des pouvoirs au sein de l’Union européenne.

Le gouvernement polonais a exprimé de façon claire ce malaise. Dans une récente interview accordée au journal Der Spiegel, Mateusz Morawiecki, le Premier ministre polonais, a accusé l’Allemagne d’avoir renoncé à une sorte d’échange d’armes avec son pays, en vertu duquel la Pologne donnait des armes de l’ère soviétique à l’Ukraine et l’Allemagne les remplaçait par des armes modernes. Il reproche également à l’Allemagne sa dépendance à l’égard du gaz russe et des marchés chinois, demande une compensation pour les griefs subis pendant la Seconde Guerre mondiale et dénonce l’animosité particulière de Berlin envers le gouvernement « illibéral » de Varsovie.

Le chancelier social-démocrate Olaf Scholz est au centre des critiques, alors qu’il a pris le virage historique de la remilitarisation de l’Allemagne. Scholz préside un gouvernement de coalition dans lequel ses partenaires, en particulier les Verts, ont adopté une position extrême en faveur de la guerre. La prudence relative de Scholz est exclusivement liée à l’intérêt national de l’impérialisme allemand, dont la prospérité dépend du gaz bon marché de la Russie et qui ne peut, du jour au lendemain, mettre fin à cette dépendance sans payer un prix élevé en termes d’inflation, de récession et de mécontentement populaire.

L’arrivée de l’hiver exacerbe ces tensions. Le « front froid » est l’une des cartes que Poutine joue pour diviser ses ennemis européens et atténuer leur volonté de poursuivre la guerre. La crise énergétique a un impact direct sur les conditions de vie, l’emploi, l’inflation et les perspectives de récession, donnant lieu à un panorama de troubles sociaux et de crise politique. C’est le cas en Grande-Bretagne, où la crise a déjà emporté l’ancien premier ministre Boris Johnson et met à l’épreuve l’actuelle première ministre conservatrice Liz Truss, qui, avec les méthodes thatchériennes d’une offensive antisyndicale, tente de limiter la vague de grèves et de protestations ; ou encore la République tchèque, où l’appel initial lancé par des groupes marginaux (extrême droite, anti-vaccins, etc.) a changé de nature et s’est transformé en une manifestation anti-gouvernementale réunissant entre 70 000 et 100 000 personnes.

Dans les maillons faibles de l’Union européenne, comme l’Italie, où les tendances à la crise organique sont anciennes, la guerre a provoqué un séisme politique, accentuant la polarisation. Elle a mis fin au gouvernement modéré et pro-Bruxelles du banquier Mario Draghi. Elle a divisé le Mouvement 5 étoiles et fera très probablement entrer au gouvernement les Fratelli d’Italia, un parti d’extrême droite héritier du mussolinisme.

Le renforcement relatif de la position des États-Unis en tant que leaders de l’Alliance atlantique a relancé les discussions sur la viabilité de la soi-disant « souveraineté stratégique » de l’UE. Pour le sociologue Wolfgang Streeck, il ne s’agissait que d’une illusion entretenue par le président français Emmanuel Macron, qui s’est estompée avec le déroulement de la guerre en Ukraine. Et la fonction actuelle de l’UE serait d’agir comme un auxiliaire civil de la vraie puissance : l’OTAN, hégémonisée par les États-Unis.

Dans l’immédiat, les États-Unis capitalisent sur leur leadership dans la guerre ukrainienne pour consolider leur position hégémonique en « Occident » et la projeter dans leur différend stratégique avec la Chine. C’est dans ce contexte qu’il faut lire leurs tentatives de « rapprocher l’OTAN » de la Chine, de renforcer les alliances de sécurité et la coopération militaire dans la région Asie-Pacifique et de durcir leur discours politique sur des questions très sensibles telles que Taïwan.

L’impérialisme américain espère que le revers militaire de Poutine aura un impact négatif sur la Chine et affaiblira l’alliance eurasienne dont la Russie et la Chine sont les principaux partenaires.

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai à Samarkand (Ouzbékistan), qui était le premier événement à l’étranger auquel assistait le président chinois Xi Jinping depuis la pandémie, a dressé un tableau qui ne peut être lu de manière unilatérale. Dans un sens, elle a mis en évidence le malaise non dissimulé de la Chine et de l’Inde face à la guerre de la Russie en Ukraine. Poutine a reconnu les « préoccupations » de Xi Jinping et s’est fait taper sur les doigts par le Premier ministre indien Narendra Modi, qui lui a publiquement reproché que l’heure n’était pas à la guerre.

Mais vu sous un autre angle, il montre l’émergence - tortueuse et contradictoire, mais émergence quand même - d’un pôle géopolitique dirigé par la Chine qui, sans contester ouvertement l’hégémonie, apparaît comme une alternative au leadership américain. L’Organisation de coopération de Shanghai regroupe huit membres à part entière - la Chine, l’Inde, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Pakistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan - qui seront rejoints par l’Iran en avril prochain, ainsi que des observateurs et des « associés » dont l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Turquie. En bref, il rassemble des puissances nucléaires et des membres à part entière du Conseil de sécurité des Nations unies, et représente environ un quart du PIB mondial et un peu moins de 45 % de la population mondiale.

À court terme, la Chine a bénéficié économiquement de son partenariat avec la Russie. Le commerce entre les deux pays a augmenté de 31 % en 2022. La Chine est devenue le principal importateur de pétrole brut russe à un prix réduit.

Cependant, il serait erroné d’en faire une lecture économiste. Le gouvernement de Xi Jinping a essayé de maintenir un équilibre entre le soutien à Poutine et le fait de ne pas s’impliquer comme les puissances occidentales l’ont fait derrière l’Ukraine. Bien qu’il s’agisse d’une alliance informelle dans un état fluide, elle est fondée sur une tendance objective à contrer la volonté des États-Unis de reconstruire leur hégémonie à l’Ouest et de la projeter à l’Est. Si Poutine est pour l’instant celui qui en a le plus besoin, pour la Chine, cela représente la possibilité d’une alliance asymétrique, où la Russie serait le partenaire junior dont la capacité d’action autonome serait sérieusement affaiblie.

Les implications stratégiques de la guerre ukrainienne indiquent qu’une période historique marquée par des disputes impérialistes, des crises, des guerres et aussi des perspectives de révolution s’est ouverte.

 
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