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29 de septembre de 2022 Twitter Faceboock

Cinéma
Athéna de Romain Gavras : plus proche de Bac Nord que de La Haine
Gabriel Ichen

Avec Athéna, qui devait s’inscrire dans la continuité des films sur la banlieue et les violences policières, Romain Gavras signe un film pro-flic qui caricature les quartiers et relaye les thèmes de l’extrême-droite.

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La sortie du film Athéna sur la plateforme de streaming Netflix a été annoncée en grande pompe et a déjà été l’objet de nombreux commentaires (négatifs, et après l’avoir vu on comprend pourquoi). Le film a été réalisé par Romain Gavras, connu pour avoir marqué l’histoire de la réalisation du clip de rap en France et membre du célèbre collectif Kourtrajmé dont fait partie Ladj Ly, le réalisateur du film multi-primé Les Misérables qui touche également au sujet des violences policières.

Des quartiers populaires « ensauvagés » et dépolitisés ? »

Le pitch : une révolte éclate dans la cité d’Athéna suite à la mort du jeune Ydir. Ses trois frères sont les protagonistes centraux et vont s’entredéchirer suite à ce drame. Abdel est un militaire revenu du Mali qui cherche l’apaisement et fait office de médiateur avec la police. Karim, le plus jeune, est en colère et est le meneur de la révolte. Moktar est un dealer qui cherche à ce que la révolte se termine pour continuer son business. Première incohérence notable : dans ce film, les femmes sont quasiment absentes, alors même qu’elles sont à l’avant-garde de la lutte contre les violences policières, pour la justice et la vérité.

Les première minutes du film nous disent l’essentiel de ce qu’est Athéna : une overdose de clichés racistes et stigmatisants sur les jeunes de banlieue et les quartiers populaires, et une vision acritique de la police, présentée comme une institution neutre. Le tout gonflé à la technique et aux images impressionnantes.

Dans Athéna, les jeunes révoltés, les « émeutiers » passent leur temps à balancer des feux d’artifice et des cocktails molotov sur les policiers, à faire des « rodéos urbains » sur des moto-cross et à agir comme des idiots en se tirant eux-mêmes dessus avec le flashball d’un policier. De quoi donner du grain à moudre aux fantasmes racistes et sécuritaires de la classe politique, du gouvernement et de l’extrême-droite sur un prétendu « ensauvagement » de la société qui prendrait racine dans les quartiers populaires.

Comme les médias, Romain Gavras caricature les révoltes contre les violences policières comme des explosions de colère aveugles, menées par de jeunes hommes dépolitisés et mus par la vengeance. Il véhicule ainsi le cliché éculé des quartiers populaires comme étant des déserts politiques, en contradiction avec leur riche histoire de luttes.

Un film pro-flic

En face, les policiers sont des hommes comme les autres qui ne font que leur travail et obéissent aux ordres.Toujours au début du film, après quelques minutes de plan séquence qui donne à voir l’état de la cité occupée par les jeunes, une scène montre un jeune CRS effrayé dans son camion, qui gratte le vernis que lui ont appliqué ses filles jumelles de 4 ans sur les ongles, avant d’être envoyé sur le « front » de la cité Athéna pour faire face aux jeunes ensauvagés. Ce pauvre policier finira d’ailleurs par se faire séquestrer par les jeunes qui tenteront de l’utiliser comme monnaie d’échange. Le deuxième flic à avoir un rôle est un chef de police qui est l’interlocuteur d’Abdel. Il a tout du « gentil flic » qui cherche à apaiser la situation et à éviter toute escalade de la violence.

Progressivement, jusqu’à la scène finale, le film va « dévoiler » que ce ne sont pas des policiers qui ont tué le jeune Ydir… mais des militants d’extrême-droite qui se sont déguisés en policier pour créer une révolte. Ce retournement de situation permet de laisser entendre que derrière les crimes policiers se cacheraient un élément exogène à l’institution policière, et de la dédouaner.

Dans le film, la police n’est plus une institution d’État profondément raciste et répressive, mais une simple force de médiation qui doit s’interposer pour « rétablir l’ordre » au milieu de tout un tas de « radicalisés ». Aussi, les jeunes qui se révoltent se trompent d’ennemi en s’attaquant à la police. Une conclusion aussi naïve que réactionnaire, qui choque d’autant plus que les meurtres policiers sont d’une actualité brulante alors que 9 personnes ont été tuées par la police depuis le début de l’année sous prétexte de « refus d’obtempérer ».

En résumé, dans Athéna, les policiers, qui dans la réalité tuent en toute impunité des jeunes noirs et arabes et mutilent des manifestants, ont le beau rôle. Les vrais « méchants » ce sont les « extrêmes », les « radicalisés ». En témoigne l’irruption inattendue du personnage de Sébastien, fiché S djihadiste et radicalisé qui finira par faire sauter toute une partie de la cité à la bombe artisanale.

En dernière instance, le film met en scène un conflit grossier entre djihadistes et extrême-droite, entre lesquels les quartiers populaires et la police serait pris en étau. Un véritable lieu commun, relayé à foison dans la presse et les médias bourgeois et par la classe politique. « Les forces qui vont s’opposer et pousser à la guerre, ce n’est pas forcément les jeunes contre la police, ce sont ceux qui ont un intérêt à ce que le chaos s’opère » explique ainsi le réalisateur dans une interview

Une petite lumière de lucidité et de cohérence émerge cependant dans ce scénario : Moktar, le frère dealer veut à tout prix que la révolte cesse pour que son trafic continue, et il a des contacts privilégiés avec une unité de policiers de la BAC. Cet élément scénaristique donne à voir les liens qu’entretiennent les trafiquants avec la police et qu’ils préfèrent l’ordre établi à la révolution.

Peut-on prétendre filmer les banlieues sans prendre position ?

Clichés racistes ad nauseam, déshumanisation des jeunes de banlieue, humanisation des policiers, thématiques chères à l’extrême-droite... Romain Gavras prétendait ne pas vouloir faire de film « à thèse ». C’est raté. Nous n’irons pas jusqu’à dire que la vision de la banlieue et de sa jeunesse que donne à voir Athéna est celle d’un éditorialiste raciste de CNews… mais en fait si.

Grâce à son retournement final, qui finit par pointer comme responsable des violences l’extrême-droite, et grâce à l’irruption du djihadiste qui fait exploser la cité, Romain Gavras réussit à se repositionner un peu plus au centre et se la joue un peu plus « républicain ». Plus Darmanin que Le Pen. Le film n’en ressasse pas moins pendant 1h30 les clichés les plus éculés sur les quartiers populaires.

« Cela m’agace d’ailleurs quand les artistes donnent leur avis sur tout. Je n’ai pas envie de prêcher quoi que ce soit » avait-il confié suite à la présentation du film à la Mostra de Venise. En ne voulant pas prendre parti et ne pas tenir de propos politique sur une question aussi brulante que le racisme en France et les violences policières, on finit invariablement par retranscrire la vision dominante, celle de l’ordre établi.

En France, celle-ci est profondément raciste et sécuritaire. Aussi, avec Athéna, Romain Gavras est finalement plus proche de Bac Nord que de La Haine.

 
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