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La Izquierda Diario
4 de octobre de 2022 Twitter Faceboock

8ème jour de grève !
Grève chez Total : « le niveau de mobilisation sur la raffinerie, c’est du jamais vu »
Arthur Nicola

Alors que les grévistes de Total rentrent dans leur huitième jour de grève et que la raffinerie de Normandie est totalement à l’arrêt, nous nous sommes entretenus avec Alexis Antonioli, secrétaire CGT de Total Normandie, sur cette grève.

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Une assemblée générale devant la raffinerie de Grandpuits, pendant la grève de janvier 2020 contre un plan de suppression de 700 emplois sur le site. Crédits photo : O Phil des Contrastes

Révolution Permanente : La raffinerie vient de finir ses procédures d’arrêt et ne produit maintenant plus rien. Est-ce que tu peux nous rappeler comment la grève a commencé ?

Alexis Antonioli : C’est assez simple : on a eu une négociation annuelle 2022 qui s’est tenue en janvier où on a obtenu une mesure d’augmentation des salaires de 2,35%. Dans le contexte de l’époque cela nous semblait être suffisant, sauf que deux mois après l’inflation s’est mise à galoper et la direction a refusé tout rattrapage et nous a seulement donné 200€ de prime. Ajoutez à cela les bénéfices du groupe, à 20,6 milliards pour le premier semestre, c’est-à-dire plus que le record annuel en seulement six mois : pour nous la situation est inacceptable, et les salariés veulent un rattrapage et leur part sur les bénéfices.

Mais cela ne suffit pas à expliquer le niveau de mobilisation aujourd’hui, parce qu’on se retrouve dans ce mouvement avec des gens qu’on n’avait jamais vu en grève : des chefs de quart, des personnels de jours [les personnels administratifs, ndlr], on a en toile de fond un contexte qui est propice à la grève. On a des conditions de travail qui se dégradent de plus en plus et une direction de plus en plus méprisante. Les gens ont l’impression d’être dans une industrie en fin de cycle où le patronat veut capter les derniers profits en investissant le moins possible et en essayant d’en tirer le maximum, sauf que le problème c’est qu’une raffinerie ce n’est pas un bureau : on a des risques réels, on a eu deux morts sur la plateforme en l’espace de trois ans, on a des accidents à répétition, avec en 2019 un incendie majeur qui a contraint le site à 18 mois d’arrêt et encore un incendie la semaine dernière qui a arrêté la moitié du site.

Quand on a proposé la reconduction de la grève, ce qu’on avait débattu en amont avec les salariés lors de tournées de terrain et d’assemblées générales, il n’y avait pas beaucoup de surprises sur le résultat du vote. Sur le niveau de mobilisation qu’on a sur le site en revanche c’est quelque chose de jamais vu.

Révolution Permanente : Quelles sont les conséquences économiques de l’arrêt d’une raffinerie comme la plateforme Normandie ?

Alexis Antonioli : Notre unité qui traite le pétrole brut traite 39 000 tonnes par jour, sur lequel on fait des essences, des gazoles. Si on prend l’exemple sur les essences, avant la grève on faisait 450 dollars par tonne de marge et on produisait autour de 4300 tonnes par jour. Ne serait que sur un seul secteur comme la production d’essence, il y a un manque à gagner de 2 millions de dollars par jour ! En plus de cela, tout ce qui a été produit est piégé dans nos murs, donc avec les unités à l’arrêt, plus rien ne sort. Aujourd’hui, la plateforme fait un milliard d’euros de bénéfices par an, donc on a déjà sûrement déjà dépassé le coût de la mesure qu’on revendique, à savoir 10% d’augmentations de salaires.

Anvers c’est la démonstration qu’un groupe comme Total, s’il est contraint par la loi, on arrive à obtenir de lui une indexation des salaires sur l’inflation. De notre côté, même s’il n’y a pas la loi pour nous, on va leur faire appliquer : ce sera la loi des grévistes.

Révolution Permanente : Quelles sont les perspectives du mouvement maintenant que la raffinerie est à l’arrêt ?

Alexis Antonioli : Pour nous, il s’agit de durer le plus longtemps possible, de contraindre la direction à prendre une mesure unilatérale sur les salaires parce que pour nous une prime c’est bien gentil mais ça ne suffit pas. La direction nous dit qu’il ne faut pas « ajouter de l’inflation à l’inflation », mais dans nos métiers, la masse salariale est ridicule sur le chiffre d’affaires : on est aux alentours de 2%, donc ce n’est rien. Dire que les chiffres du groupe dépendent d’une augmentation pour les salariés, c’est complètement faux, ce qu’on voit très bien avec Total à Anvers.

Révolution Permanente : Pour recontextualiser, il y a une semaine, des syndicalistes des raffineries de Belgique et de Pologne vous ont envoyé un soutien internationaliste, en expliquant qu’en Belgique il y avait une forme d’indexation des salaires sur l’inflation. Est-ce que cette revendication pourrait devenir une des revendications du mouvement ?

Alexis Antonioli : Comme en Belgique, il y a une indexation des salaires sur l’inflation, on a des collègues belges qui ont eu 12,6% d’augmentation depuis le début de l’année. Si on regarde les résultats d’Anvers, c’est parmi les meilleurs du groupe en Europe, donc dire que les salaires viennent pénaliser le fric que remonte un site, c’est complètement faux. Pour nous Anvers c’est la démonstration qu’un groupe comme Total, s’il est contraint par la loi, on arrive à obtenir de lui une indexation des salaires sur l’inflation. De notre côté, même s’il n’y a pas la loi pour nous, on va leur faire appliquer : ce sera la loi des grévistes. Il y a clairement des moyens à aller chercher, quand on voit que le PDG est capable d’un claquement de doigt de sortir 2,62 milliards pour les actionnaires, ce n’est même pas ce qu’on demande. On rougirait presque de demander une telle enveloppe !

Sur l’indexation des salaires sur l’inflation, formellement dans les discussions avec les salariés ce n’est pas quelque chose qui est explicité. Mais pour les salariés, le premier objectif, c’est de maintenir leur niveau de vie. Donc quand on évoque le cas de Total Anvers avec eux, c’est clair que c’est une revendication qui a un écho. Pour nous, cette demande d’indexation des salaires sur l’inflation, c’est ce que réclament les salariés quand ils disent vouloir défendre leur niveau de vie. Après il faut que cela aille plus loin de ça, parce que défendre son niveau de vie actuel ce n’est pas suffisant, il faudrait le faire progresser. Avec les profits générés par le groupe, si on avait une indexation des salaires sur les profits, ce serait juste dingue.

Il faut leur tordre le bras pour une augmentation générale des salaires, pas seulement chez Total, et c’est le genre de trucs que tu ne construis ni tout seul ni spontanément.


 
Révolution Permanente : 2,62 milliards de dividendes, pour 101 000 salariés, cela fait 26 000€ de bénéfices versés aux actionnaires par salarié : qu’en disent les grévistes, qu’en penses-tu ?

Alexis Antonioli : Ce qui est toujours intéressant, et on invite les salariés à le faire, c’est regarder, avec les résultats de ton site, en combien de temps tu payes ton salaire. Moi j’avais fait l’exercice, et en sept minutes, mon salaire mensuel était payé. Sept minutes de travail, et tout le reste ce n’était plus pour moi. Avec toutes les coupes budgétaires qui font que les conditions de travail sur le terrain sont dégueulasses, avec des incendies, des dangers mortels, cette politique du retour maximal à l’actionnaire est évidemment un des ressorts de la mobilisation.

Révolution Permanente : Une grève chez ExxonMobil a débuté une semaine avant le début de la grève chez Total, comment est-ce que vous pensez la coordination entre ces grèves ? De la même manière depuis le début de l’année 2022 il y a eu énormément de grèves pour les salaires, qui sont parfois massives mais souvent isolées, comment coordonner ces mouvements ?

Alexis Antonioli : On essaye de développer la solidarité de classe : on s’est rendu hier sur le piquet de grève d’Exxon, qui font face aux mêmes stratégies patronales que Total : il n’y a que le nom qui change. Les problématiques de maintenance, de sécurité au travail sont les mêmes. On est persuadés qu’il faut œuvrer à aller chercher l’élargissement le plus grand.

Notre but, c’est politique : la seule mesure que le gouvernement est capable de mettre en place, parce qu’ils sentent que la contestation monte, c’est de mettre la prime Macron. Ce qu’on dit depuis le début c’est que la prime on s’en fout ! La prime tu vas l’avoir une fois, tu vas l’utiliser pour quelques courses et quelques pleins et rapidement elle a disparu. Par contre, l’inflation qu’on prend aujourd’hui, c’est jusqu’à la fin de notre vie. Ce n’est pas simple à mettre en œuvre, mais il faut leur tordre le bras pour une augmentation générale des salaires, pas seulement chez Total, et c’est le genre de trucs que tu ne construis ni tout seul ni spontanément et cela reste difficile à organiser.

Quand tu as une situation explosive avec tant de grèves, si on n’a pas l’envie d’évoquer la grève générale, elle n’arrivera jamais !

Révolution Permanente : Ces derniers temps, il n’y a eu qu’une journée de grève interprofessionnelle appelée par CGT, Solidaires et FSU : est-ce qu’une journée, cela suffit ? Et si cela ne suffit pas, que faudrait-il faire ?

Alexis Antonioli : Le problème c’est qu’on a une confédération qui est trop attentiste. Vu la situation actuelle, la grogne qui monte de partout, pour nous c’est l’occasion de construire un rapport de force le plus large possible, et ça devrait être le rôle de la confédération. La CGT, dans les statuts, est censée être « révolutionnaire ». Aujourd’hui, on est en droit de se questionner sur ce qui se passe vraiment, sur le fait de jouer le statu quo.

Ce sont déjà des reproches qu’on avait adressés à la confédération au moment de la Loi Travail : quand tu as des élans populaires et que tu as une confédération qui n’appuie pas sur le bouton rouge de la grève générale il y a un problème. Je connais la réponse habituelle : « la grève générale ça ne se décide pas, ça se construit ». Oui cela se construit, mais à un moment donné, quand tu as une situation explosive avec tant de grèves, si on n’a pas l’envie d’évoquer la grève générale, elle n’arrivera jamais. On peut discuter dans les faits de comment on l’organise, on peut regarder les secteurs les plus marquants, mais il y a une responsabilité des dirigeants confédéraux.

Aujourd’hui, la CGT ce n’est pas simplement accompagner les salariés dans leurs galères quotidiennes : on n’est pas là pour mettre des pansements. Quand il faut on les met, mais ce qu’on recherche c’est l’émancipation des travailleurs et un changement de société profond. Aujourd’hui, pour moi, le compte n’y est pas, je ne comprends pas aujourd’hui comme je n’avais pas compris en 2016 qu’à un moment donné on n’ait pas des plans de lutte qui se fassent et qu’on arrive à se coordonner sur l’ensemble de nos fédérations.

Révolution Permanente : Qu’est-ce que tu pourrais dire face à un salarié qui se pose la question de faire grève ? ?

Alexis Antonioli : Pour nous la première étape c’est de s’organiser, c’est de travailler avec ses collègues, discuter, poser ces questions de salaires, pour nous il n’y a rien de tabou. Parler salaires, c’est commencer à mettre en évidence les différences de traitement qu’il peut y avoir, et ça c’est la première des étapes. La première des étapes c’est de s’organiser, se rapprocher d’un syndicat de lutte et puis à un moment donné, aller défiler, commencer à poser des revendications auprès de son employeur et faire grève. Il y a un effet cathartique à la grève : on le voit, cela fait un bien fou aux gens, de pouvoir exprimer ce qui les ronge tous les jours. Cette liberté-là, de pouvoir dire à son tôlier « stop tu me traites comme de la merde » : rien que ça c’est une première étape et la base de la contestation. Libérer la parole de tout le monde sur ces sujets c’est un vrai moment de bonheur.

 
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