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6 de octobre de 2022 Twitter Faceboock

Xénophobie d’Etat
« Ils sont à la rue pendant des mois » : retour sur la situation des mineurs étrangers isolés à Toulouse
Mélanie Mermoz
Arno Gutri

Début septembre, 150 mineurs isolés étaient expulsés du lieu qu’ils occupaient depuis plusieurs années à Toulouse. Anita Bouix et Benjamin Francos, avocats spécialisés en droit des étrangers, reviennent sur leur cas et nous expliquent comment les institutions organisent la mise à la rue de ces jeunes.

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Crédit photo : Révolution Permanente Toulouse

Révolution Permanente : Pouvez-vous résumer la situation des mineurs isolés étrangers à Toulouse ?

Anita Bouix, avocate spécialisée en droit des étrangers : Pour les Mineur Isolés Etrangers (MIE), depuis une loi de 2016 il y a la mise en place d’un premier accueil qui est une évaluation, une sorte de tri. À l’issue de cette phase d’évaluation, soit ils sont reconnus mineurs et en danger, soit la minorité est contestée. Dans ce cas, ils sortent du dispositif et se retrouvent à la rue sans aucune prise en charge ni protection. Le seul recours, c’est de saisir le juge des enfants. Mais dans cet entre-deux il n’y a rien qui est prévu : ils se retrouvent à la rue pendant des semaines et souvent des mois.

Avec la mise en place du DDAEOMI ((Dispositif Départemental d’Accueil, d’Evaluation et d’Orientation des Mineurs Isolés) en 2016, les contestations de minorité ont explosé à Toulouse : alors qu’avant 80% des mineurs étaient reconnus comme tels, aujourd’hui c’est 80% des minorités qui sont contestées.

Benjamin Francos, avocat spécialisé en droit des étrangers : De là, il y a eu une accumulation de jeunes qui se sont retrouvés à la rue et est apparue la nécessité de résister. Un collectif s’est créé, et il y a eu une première occupation d’un bâtiment à la Glacière en 2017.

Il y a ensuite eu une procédure d’expulsion qui a été lancée avec une centaine de jeunes sans proposition de relogement. Sous la pression des avocats, des collectifs et des jeunes qui étaient déterminés, la mairie a repris le dossier. Ils ont abandonné la procédure d’expulsion et mis en place des dispositifs d’accueil des jeunes en mettant à disposition un bâtiment du CHU et l’ancien EHPAD des Tourelles

Mais ce dispositif était en réalité sous doté : alors qu’il y a de vraies problématiques de santé qui se posent, mais aussi des difficultés en termes de démarches administratives. Il y a eu des alertes de la part des jeunes et des associations, ce que la mairie a toujours négligé. Son initiative était en réalité un coup de com’.

Début 2022, ils ont décidé d’expulser les jeunes du jour au lendemain, sans proposer de relogement, et en utilisant le prétexte que ça se passait mal : on leur propose des logements insalubres et ensuite on leur reproche le fait que ça se passe mal pour justifier leur expulsion.

À la fin de l’été, du jour au lendemain il y a eu les CRS pour les déloger et c’était le début du développement d’un rouleau compresseur médiatique et politique, avec un discours qui disait qu’ils avaient tout fait, proposé des mesures qui avaient été refusées par les jeunes etc …

RP : A la suite de cette expulsion du bâtiment des Tourelles, les 150 mineurs n’ont pas eu d’autres choix que de camper dehors, sur les allées Jules Guesdes. Depuis le 20 septembre le campement a été lui aussi démantelé par le département, sous prétexte d’un relogement individuel des mineurs, alors qu’ils émettaient la volonté d’être logés dans des logements collectifs. Selon vous, c’est la continuité de la politique menée jusqu’ici ?

Anita Bouix : Il y a une certaine importance donnée à l’aspect collectif chez les mineurs isolés. On voit déjà que les conditions de relogement sont très différentes selon les lieux d’hébergement proposés : certains sont nourris, d’autres non. Certains doivent remplir un formulaire de demande d’asile qui ne correspond aucunement à leur situation. Les hôtels sont loin et posent des difficultés pour les rendez-vous avec les avocats, les médecins, les travailleurs sociaux…

Le lieu repère permettait d’obtenir au minimum qu’ils aient des soutiens avant leur procès devant le juge : cela permettait d’accueillir les nouveaux qui venaient de sortir du DDAEOMI. Depuis qu’il n’y a plus de campement, on ne sait pas où ils vont, il y en a plein qui se perdent complètement et n’ont pas le lien pour avoir les soutiens nécessaires : cela pose des difficultés notamment pour trouver un hébergement.

RP : Est-ce qu’il y a une volonté consciente de séparer les jeunes pour éviter toute mobilisation ?

Benjamin Francos : C’est une manière de fragiliser le collectif en termes de résistance. Je ne sais pas si c’était une volonté consciente, ce qui est sûr c’est que quand il y a une volonté d’hébergement collectif, ils savent le faire : on a eu le cas avec la mise à disposition de gymnases pour les ukrainiens qui en avaient formulé la demande. Si ce n’est pas fait, ce n’est pas dû à une impossibilité objective. Il y a notamment un débat sur les espaces vides à Toulouse, ce n’est pas nécessaire d’aller envoyer les jeunes à Saint-Lys (banlieue de Toulouse, ndlr). Le choix d’isoler les jeunes n’est donc pas anodin.

Ils ont peut être éclaté le collectif mais ils ne peuvent rien contre l’acquis de la lutte en terme de conscience. Et ça, ça va se recréer. Ils ne peuvent pas faire disparaître ce qui existe dans les têtes. Du coup je pense qu’on peut se donner rendez-vous dans quelques mois, avec les mêmes problématiques qui vont se poser, avec le même nombre de mineurs, les même turnover, les mêmes occupations ou squats…

RP : Au DDAEOMI, en quoi consistent les évaluations de minorité ?

Anita Bouix : Il y a un article très intéressant de Lisa Carayon sur le racialisme dans ces centres. Elle explique qu’il y a une forme de « modèle » de ce qu’on attend de l’adolescent français : tout ce qui ne rentre pas dans ce modèle permet d’écarter la minorité. Il y a une logique de soupçon. Cette logique, on la retrouve dans les évaluations, où tout et son contraire va amener à dénier sa minorité.

La procédure répond aussi à un intérêt financier. Par exemple, un mineur isolé non étranger peut bénéficier directement du système de prise en charge sans évaluation préalable, mais cette prise en charge a un coût : dans le cas des mineurs étrangers isolés, il y a une économie financière de plusieurs mois entre le moment où le jeune sort du DDAEOMI et le moment où il passe devant le juge des enfants sachant que le DDAEOMI c’est un délégataire qui est une association privée.

RP : Selon vous, quel est l’objectif de cette procédure ? Est-ce un moyen pour l’État de se protéger juridiquement ?

Anita Bouix : C’est pour se défausser du « sale boulot », c’est toujours la même idée. Cela permet au conseil départemental de se défausser en disant que la décision relève du DDAEOMI, alors que c’est eux qui en sont responsables.

On peut dire que l’État se constitue des preuves. Le climat de soupçon se poursuit pendant toute la durée du parcours du mineur, sachant que la prise en charge par la protection de l’enfance n’est pas définitive : à n’importe quel moment le juge peut suspendre la décision de placement. Ensuite, arrivés à leurs 18 ans ils vont devoir demander un titre de séjour.

La préfecture va pouvoir encore les contester et ils pourront faire l’objet d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Cette logique de soupçon va les marquer pendant tout leur parcours en France.

RP : Vous avez parlé de rouleau compresseur qui s’est mis en marche pour soutenir l’expulsion du campement des mineurs. Est-ce que vous pouvez développer ses différents aspects ?

Benjamin Francos : Au niveau de la communication, ça a été très violent. Dans la foulée de l’expulsion il y a eu directement des articles avec des éléments de com’ mis en œuvre par la préfecture avant même que les jeunes, AutonoMIE (le collectif regroupant les mineurs isolés étrangers de Toulouse, ndlr) et les avocats puissent réagir. Face à ça, il y a eu une conférence de presse qui a été organisée par les jeunes. Ils ont pris la parole et nous aussi en tant qu’avocats/avocates. On a répondu à beaucoup de questions de journalistes, des interviews face caméra enregistrées. Tout ça n’a été repris nulle part au final. Il y a eu un véritable rouleau compresseur. C’était impossible d’avoir plus de deux lignes mentionnées en fin d’article.

On a vu une véritable saturation de l’espace médiatique par les institutions avec des discours plus ou moins énervés, racistes, mais avec un trait commun qui était de se renvoyer la balle l’un à l’autre

Il y a eu tout le panel administratif médiatique, politique, juridique qui a été mis en marche pour gérer cette situation de façon catastrophique. Sur le campement, on était à trois semaines d’occupation et il n’y avait toujours pas un point d’eau. Il y avait 2 cabines de douches pour 150 personnes. Et ça, personne n’en a parlé. C’est quand même lunaire. 150 personnes qui dorment dehors et pas un point d’eau …

RP : Devant le durcissement des politiques racistes et xénophobes du gouvernement, comment vous voyez les perspectives pour faire face à cet acharnement et cette offensive dans la période qui s’ouvre ?

Benjamin Francos : C’est vrai que les annonces faites par Darmanin sont flippantes. On a eu pendant un temps un discours sur l’immigration choisie et maintenant Darmanin dérive sur un discours sur l’asile choisi. Il déclare qu’il faut faire le tri plus rapidement entre ceux qui ont le droit à une protection et ceux dont on ne veut pas. Tous les 2 ans une loi bouleverse le droit des étrangers dans des proportions toujours plus insécurisantes, bien entendu pour les personnes mais également pour les professionnels qui les accompagnent, peu importe à quel titre, travailleurs sociaux, avocats …

Anita Bouix : Sur les dernières réformes y a eu l’effet des réductions des délais de recours qui fait que des fois même si on pourrait apporter des pièces et par exemple peut-être faire annuler une décision d’OQTF, plus tu réduis les délais de recours forcément moins tu permets ça.

Benjamin Francos : En tant qu’avocat, je trouve que depuis que j’ai commencé (il y a une dizaine d’années) jusqu’à maintenant les choses n’ont plus rien à voir en terme de pratique quotidienne, de capacité à produire des résultats positifs pour les gens. C’est dur de ne pas être pessimiste, car le droit met les limites là où les gens qui l’établissent décident de les mettre. Et les gens qui fixent ces limites sont précisément ceux contre lesquels on lutte.

Il y a de plus en plus de limites à l’outil juridique. Dans tous les cas, ça n’est clairement pas là qu’il faut chercher le salut. La force qu’avait autonoMIE, c’était justement d’être une alliance à la fois de revendications qui étaient pour partie juridique sur la question du droit de minorité, du droit au recours, mais qui était aussi une force politique, collective, visible. C’est ce croisement qui faisait la force du collectif au-delà du nombre qui donne de la force.

 
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