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La Izquierda Diario
11 de octobre de 2022 Twitter Faceboock

Objet abject
Blonde : fantasme creux et dégradant sur la vie de Marilyn Monroe
Léa Luca

Sorti sur Netflix le 28 septembre, Blonde, d’Andrew Dominik entache la mémoire de Marilyn Monroe par un biopic sordide malgré la belle performance d’Ana de Armas.

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De l’abjection

Le dégoût est sans doute le sentiment le plus vivace au visionnage du film Blonde réalisé par Andrew Dominik. C’est le cœur au bord des lèvres qu’on achève l’inepte et présomptueux long métrage, si on y arrive. Pendant trois heures on assiste au calvaire insoutenable de Marilyn Monroe, qui de sa tendre enfance à son lit de mort ne nous est présentée que comme l’objet de tortures sans fin de la part d’inlassables bourreaux. Dès les premiers instants du film et sans répit ensuite, on nous la montre abandonnée, brutalisée, humiliée, rouée de coups, violée, brûlée, presque noyée, ou pour les moments d’accalmie en train de tituber, gémir, pleurer, vomir, être en état de choc ou hurler de folie.

De ce flot continu d’images de violences, il est difficile de saisir la trame. Ainsi la construction narrative est tout à fait elliptique et déstructurée. Loin cependant de servir quelques fins esthétiques ou de contribuer à construire le personnage, celle-ci rend au contraire le film illisible et ne fait que renforcer le sentiment de gratuité de la brutalité infligée au personnage comme au spectateur. L’éclatement de la narration, passages intempestifs de la couleur au noir et blanc et divers effets de style n’apparaissent finalement que comme un vernis artificiel parvenant mal à masquer la vacuité du film de Dominik. Mais surtout ne montrent à voir qu’une Marilyn objet et non sujet de sa propre vie.

Une représentation voyeuriste et pornographique des violences sexuelles

Au visionnage de Blonde se pose la question de la représentation des violences sexistes et sexuelles à l’écran. Leur présence est en effet omniprésente dans le film. La première scène où apparaît Marilyn adulte est une scène de viol ayant lieu au moment d’une audition, filmée de façon particulièrement crue et brutale. Des épisodes similaires se répètent ensuite ad nauseam tout au long du film. Un certain nombre de problèmes sont soulevés par la manière dont Andrew Dominik regarde et nous dépeint ces violences.

Dans un célèbre article paru en 1961 dans les Cahiers du Cinéma intitulé « De l’abjection », Jacques Rivette évoque la représentation à l’écran des camps de concentration en faisant la critique du film italien Kapo réalisé par Gillo Pontecorvo. A travers la critique du désormais fameux « travelling de Kapo », Rivette discute la manière de dépeindre « l’irreprésentable », « l’infilmable » au cinéma et dénonce un réalisme formel par essence inapte à le représenter.

« Pour de multiples raisons, faciles à comprendre, le réalisme absolu, ou ce qui peut en tenir lieu au cinéma, est ici impossible ; toute tentative dans cette direction est nécessairement inachevée (« donc immorale »), tout essai de reconstitution ou de maquillage dérisoire et grotesque, toute approche traditionnelle du « spectacle » relève du voyeurisme et de la pornographie. »

« It’s what you are : meat »

Ainsi la question que pose Blonde n’est pas celle de la pertinence de traiter au cinéma la réalité des violences sexistes et sexuelles, en l’occurrence à Hollywood, mais celle du comment. « C’est que le cinéaste juge ce qu’il montre, et est jugé par la façon dont il le montre » nous dit Rivette. Et dans Blonde, Marilyn Monroe ne nous est jamais montrée autrement que comme le « morceau de viande » auquel on la renvoie exclusivement tout au long du film.

Le personnage n’existe jamais comme un sujet à part entière. Dans la quasi-intégralité des scènes elle n’existe à l’écran que comme victime d’abus et quand elle ne l’est pas directement, elle reste objet (d’infinis regards, commentaires, fantasmes, etc.). Jamais on ne nous la montre décider une quelconque chose de ce qui lui arrive ou même, désirer, vouloir quoique ce soit. Tout semble arriver contre sa volonté.
Plus largement les situations comme les dialogues ne nous montrent rien de la subjectivité du personnage. Nous n’avons accès à rien de ses émotions, pensées, goûts ou aspirations. Ainsi le néant de l’intrigue et l’absence totale de construction des personnages font que les violences auxquelles se réduit le film restent vides de sens, gratuites, et en cela purement dégradantes pour le personnage comme la personne bien réelle dont le film est inspiré. 

Où est Marilyn ?

On ne peut que ressentir de la tristesse à l’issue du film pour la Marilyn Monroe qui a réellement existé. Bien sûr, malgré le caractère semi-fictionnel du film, il ne fait pas de doute que la vie de Marilyn a été réellement marquée par la maladie mentale, de très nombreuses violences sexistes et sexuelles et relations abusives. Pourtant ne montrant que cela, et de la manière que nous avons évoquée, le film nie et efface tout ce qu’a été Marilyn Monroe.

Même si l’on s’en tient ainsi à ce qui est supposément le grand sujet du film, les violences sexistes, le long métrage de Dominik occulte les multiples prises de position de Marilyn Monroe contre celles-ci. Ainsi déjà en 1953, alors qu’elle est seulement aux débuts de sa carrière, et n’est pas encore la star qu’elle sera ensuite, elle publie un entretien dans le Motion Picture and Television, intitulé « Wolves I have known » (« Les loups que j’ai connus ») dans lequel elle raconte et dénonce un grand nombre d’expérience de harcèlement et violences sexistes qu’elle a subi à Hollywood. On mesure sans peine la portée de ce type de déclaration publique quand on voit qu’il a fallu attendre Me Too en 2017 pour que la parole commencer à s’ouvrir à ce sujet.

Mais fondamentalement, c’est Marilyn artiste qui est sans conteste la plus grande oubliée de Blonde. À la fin du film, on n’a ainsi rien perçu de tout ce qui a fait de Marilyn l’étoile solaire qu’elle a été, et qui a suscité la fascination infinie du public comme des nombreux artistes qui lui ont rendu hommage (Andy Warhol, Pasolini, Roland Barthes, Serge Gainsbourg…) de son vivant comme après sa mort.

Pourtant de ses talents d’actrice, rien n’est montré, ni de son génie comique, sa sensibilité, sa passion pour l’art et la littérature, sa pratique de poétesse, son soutien public à Ella Fitzgerald contre le racisme, etc. Quand tout au long de sa carrière, Marilyn Monroe s’est battue contre les studios qui la cantonnaient à des personnages superficiels de blondes idiotes, pour obtenir des rôles profonds, et subvertir l’écriture des personnages qui lui étaient originellement donnés, on ne nous l’a finalement montrée que comme l’objet sexuel auquel la réduisait Hollywood. Au contraire du livre de Joyce Carrol Oates dont le film est pourtant tiré, on n’a jamais aussi peu vu Marilyn Monroe que dans Blonde.

Pour aller plus loin

• Marilyn Monroe, Fragments. Poèmes, écrits intimes, lettres
• Marilyn Monroe et Ben Hecht, Confession inachevée
• Marilyn Monroe, Wolves I Have Known

Et bien-sûr ses films (courte sélection)

Niagara (Henry Hathaway, 1953)
Les hommes préfèrent les blondes (Howard Hawks, 1953)
La rivière sans retour (Otto Preminger, 1954)
Sept ans de réflexion (Billy Wilder, 1955)
Certains l’aiment chaud (Billy Wilder, 1959)
Let’s Make Love (George Cukor, 1960)
The Misfits (John Huston, 1961)

 
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