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24 de octobre de 2022 Twitter Faceboock

États-Unis
Etats-Unis : les Démocrates instrumentalisent le droit à l’avortement pour les élections de mi-mandat
Tatiana Cozzarelli
Madeleine Freeman, LeftVoice

À quelques semaines des élections de mi-mandat, Biden tente de jouer sur le droit à l’avortement pour consolider les voix des Démocrates au Congrès. Au contraire, ce n’est pas ce vote qui garantira les droits reproductifs ou les besoins face à l’inflation, ni ne combattra l’extrême droite.

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Dans un discours prononcé mardi dernier, le président Joe Biden a rendu limpide la stratégie des Démocrates pour les élections de mi-mandat  : une prise en otage du droit à l’avortement dans le but d’obtenir plus de sièges au Congrès pour le parti démocrate.

Entouré de jeunes portant des pancartes arborant le slogan « Restore Roe », Biden a parlé de l’importance des droits reproductifs et a promis que si les démocrates remportaient plus de sièges au Congrès le 8 novembre, le premier texte de loi qu’il signerait serait une loi fédérale codifiant les dispositions de l’arrêt protégeant le droit à l’avortement abrogé en juin dernier, Roe v. Wade :

Le seul moyen sûr de mettre un terme à ces lois extrémistes qui mettent en péril la santé et les droits des femmes est que le Congrès adopte une loi [...] Si le droit de choisir vous importe, alors vous devez voter. C’est pourquoi, dans ces élections de mi-mandat, il est si important d’élire plus de sénateurs Démocrates au Sénat des États-Unis et plus de Démocrates pour garder le contrôle de la Chambre des représentants. Et, les amis, si nous faisons cela, voici la promesse que je vous fais, à vous et au peuple américain  : le premier projet de loi que j’enverrai au Congrès sera de codifier Roe v. Wade.

Cette décision intervient alors que Roe v. Wade a non seulement été abrogé, mais aussi que les Républicains d’extrême-droite s’attaquent au droit à l’avortement État par État et qu’un secteur de la droite propose une interdiction nationale des avortements après six semaines. En outre, ces républicains d’extrême-droite ont proposé plus de 200 lois anti-trans et ont déjà adopté plusieurs lois qui s’attaquent aux jeunes personnes trans et aux personnes LGBTQ, en les ciblant particulièrement dans les écoles publiques – un fait que Biden n’a pas du tout mentionné dans son discours.

L’appel lancé mardi aux jeunes pour qu’ils se rendent aux urnes est le point culminant de la stratégie électorale des Démocrates à trois semaines des élections de mi-mandat et rappelle que la pierre angulaire de la campagne de mi-mandat des Démocrates est le droit à l’avortement.

En réalité il n’y a pratiquement aucune chance pour que les Démocrates sortent des élections de mi-mandat avec une majorité assez conséquente pour éviter toute obstruction parlementaire dans les deux chambres du Congrès. Les Démocrates ne seront probablement pas en meilleure position (ils pourraient même être en moins bonne position) pour faire voter des lois. Biden le sait. Cependant, même maintenant, s’ils voulaient faire passer une loi pour protéger et étendre le droit à l’avortement, ils pourraient le faire  ; mais ils n’ont pas l’intention d’en finir aujourd’hui avec le filibuster (l’obstruction parlementaire) antidémocratique.

Ce n’est pas nouveau que le parti Démocrate se positionne comme les champions du droit à l’avortement afin de gagner des voix. Il a été visible à maintes reprises que cette stratégie est une impasse et qu’il n’est pas possible de compter sur les Démocrates pour protéger les droits reproductifs.

L’avortement est au centre de la campagne de mi-mandat des Démocrates

Pendant des décennies, les Démocrates ont utilisé le droit à l’avortement comme un moyen de mobiliser leur base pour aller aux urnes. Ils n’ont cessé de répéter que la seule façon de conserver les dispositions, déjà restrictives, fixées dans l’arrêt Roe v. Wade était de voter pour les Démocrates. Et pourtant, malgré ces promesses, les démocrates n’ont rien fait pour adopter des protections du droit à l’avortement, laissant passer une série de lois et de réglementations d’État qui ont réduit l’accès à l’avortement, fermé des cliniques et rendu l’avortement inaccessible à des millions de femmes dans les États du pays avant même l’annulation de Roe.

L’annulation de l’arrêt Roe v. Wade a choqué de nombreuses personnes. Un soutien important au droit à l’avortement s’est exprimé quelques semaines seulement après la décision de la Cour suprême, lorsque les électeurs du Kansas, un État républicain, ont massivement soutenu un référendum visant à protéger le droit à l’avortement.

Même s’ils n’ont rien fait pendant des décennies pour protéger l’accès à l’avortement, les Démocrates ont une fois de plus choisi de faire de l’avortement leur cheval de bataille, cette fois en mettant les bouchées doubles. En dépit d’une économie en chute libre, d’un faible taux de soutien pour la plupart des institutions du pays et d’une défaite cuisante annoncée pour novembre, les Démocrates ont réussi à se remettre quelque peu dans le jeu. Un très grand nombre de femmes se sont inscrites sur les listes électorales depuis l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade, notamment dans les États dans lesquels des référendums légalisant ou protégeant l’accès à l’avortement ont été proposés ou dans lesquels des « Trigger Laws » (des lois votées par les États restant inapplicables tant que la loi n’est pas votée à une échelle fédérale) sont entrées en vigueur. Les chiffres des sondages des Démocrates ont grimpé dans le sillage de la décision de la Cour suprême et, soudain, une grande partie de leur base était prête à se mobiliser aux urnes. Les Démocrates espéraient, un peu comme en 2018, qu’une « vague féminine » emporterait les midterms, rebaptisés « Roevember »  ; les Démocrates espèrent que la véritable colère, l’inquiétude et la peur des gens autour de la diminution de l’accès à l’avortement ressusciteront un parti en difficulté.

Mais ce ne sont pas seulement les politiciens du parti Démocrate qui essayent de transformer la colère envers la Cour suprême et la peur du manque d’accès aux soins en bulletins de vote. Ce sont aussi leurs alliés dans les grandes ONG. Alors que la Marche des femmes a annoncé un « été de la rage », aucune action nationale n’a été appelée ou organisée par la Marche des femmes. Lorsque celle-ci a convoqué une conférence nationale, c’était principalement pour inciter les gens à se rendre aux urnes. Lorsqu’elle a finalement appelé à un week-end d’action début octobre, c’était uniquement pour lier ces actions au vote pour les Démocrates le 8 novembre.

Cette politicaillerie autour de « Roevember » a particulièrement ciblé les jeunes. Dans son discours, Biden a lancé un appel aux « jeunes de cette nation » :

Nous nous trouvons aujourd’hui à un point de bascule, l’un de ces moments qui n’arrivent qu’une fois toutes les quelques générations, où tant de changements se produisent — technologiquement, politiquement et socialement — que les décisions que nous prenons maintenant vont déterminer l’avenir de notre nation et l’avenir de votre génération pour les 30 prochaines années ou plus, et cela n’arrive qu’une fois toutes les cinq ou six générations. Je sais que vous pouvez avoir l’impression que c’est un fardeau supplémentaire qui s’ajoute à tout ce que vous avez déjà vécu... Je ne dis pas que vous devez porter ce fardeau tout seul. La tâche à accomplir et celle qui nous attend sont l’œuvre de nous tous...

Il n’est pas étonnant que Biden cherche désespérément à convaincre les jeunes électeurs de se boucher le nez et de voter pour les Démocrates cet automne. Après tout, ces dernières années ont été marquées par un mécontentement quasi historique à l’égard des deux partis politiques, en particulier chez les jeunes. Près de la moitié des personnes de moins de 50 ans souhaitent qu’il y ait un troisième parti parmi lequel choisir. Et environ 45 % des personnes âgées de 18 à 29 ans voient le socialisme d’un œil « au moins assez positif », tandis que 40 % voient le capitalisme comme une chose « au moins assez positive ». Dans ce contexte, les Démocrates lancent un appel aux jeunes : revenez au parti démocrate. Revenez au moindre mal. Croyez à nouveau que le système peut fonctionner pour défendre les personnes opprimées. Croyez à nouveau aux promesses des démocrates sur la protection du droit à l’avortement. Ils veulent faire croire qu’il n’y a pas d’alternative pour ceux qui souhaitent se battre pour les droits reproductifs, ou pour tout autre droit actuellement attaqué.

De nombreuses personnes vont effectivement voter pour les Démocrates. Mais la question est de savoir si un discours centré uniquement sur le rétablissement des dispositions de Roe v. Wade sera suffisant pour que les Démocrates gagnent. Alors que la classe ouvrière subit les ravages de l’inflation, les chiffres de Biden dans les sondages sont encore assez bas. Les élections dans des États comme la Pennsylvanie, la Géorgie et l’Arizona sont assez serrées, les candidats soutenus par Trump se rapprochent ou dépassent les candidats démocrates. Ce qui sous-tend tout cela, c’est le fait que, d’une manière ou d’une autre, il y a un mécontentement général à l’égard de la situation économique et politique.

Les démocrates utilisent l’avortement comme monnaie d’échange

Si les attaques contre le droit à l’avortement viennent de l’extrême-droite, le parti démocrate a non seulement refusé de protéger les droits reproductifs, mais a également participé aux attaques. Ils avaient une majorité qualifiée sous Obama et n’ont pas codifié Roe v. Wade, malgré leurs promesses de le faire. Ils ont maintenant une majorité sous Biden, et ils n’ont pas codifié Roe, choisissant plutôt de respecter le filibuster antidémocratique et raciste.

Entre-temps, le parti a continué à soutenir des démocrates anti-avortement – comme Henry Cuellar, même après l’annulation de Roe. Nancy Pelosi, la cheffe de file des Démocrates à la Chambre des Représentants, a clairement indiqué que ces politiciens anti-avortement étaient les bienvenus dans le parti.

Ce sont les mêmes Démocrates qui, en 1976, ont voté en faveur de l’amendement Hyde, qui interdit l’utilisation de fonds fédéraux pour les soins liés à l’avortement, obligeant les personnes à faible revenu bénéficiant du Medicaid à payer les avortements de leur poche. Et depuis plus de quarante ans, ils ont continué à faire respecter la loi. En raison de l’impopularité de celle-ci, notamment après que l’accès à l’avortement ait été mis sous les feux des projecteurs nationaux ces dernières années, alors que la droite multiplie les attaques contre les droits reproductifs, de nombreux Démocrates – dont Nancy Pelosi et Joe Biden – ont finalement fait volte-face en déclarant qu’ils ne soutenaient pas l’amendement Hyde et qu’ils étaient favorables à son annulation. Pourtant l’amendement Hyde est toujours en vigueur aujourd’hui. Pendant ce temps, des centaines de millions de personnes femmes n’ont toujours pas accès à des services de santé reproductive pourtant essentiels.

Contrairement à ce qu’ils prétendent dans leurs discours de campagne, les Démocrates se refuse un défendre un droit reproductif national et complet. Au contraire ils ont déplacé la lutte pour l’accès à l’avortement à l’échelle des États dans l’espoir d’obtenir un coup de pouce aux midterm. En particulier dans les États où les « Trigger Laws » ont déjà été mises en place, les espoirs de nombreuses personnes de sauver le maigre accès à l’avortement déjà existant se sont limités à devoir compter sur les politiciens Démocrates individuels et les bureaucraties des ONG pour faire pression en faveur de référendums sur la question ou pour demander aux tribunaux de faire obstacle à l’entrée en vigueur des interdictions.

Mais aucun de ces espoirs ne sera suffisant pour garantir que l’avortement soit légal, gratuit, sûr et accessible à tous. Les dernières années montrent comment, le parti démocrate préfère utiliser l’accès à l’avortement comme une tactique politique pour faire voter et se maintenir au pouvoir et entretenir l’illusion qu’il représente les intérêts des exploités et des opprimées. Roe a été gagné par la lutte de millions de féministes dans tout le pays ; et c’est la lutte, et non le vote, qui nous fera finalement gagner notre droit à l’avortement libre, sûr et légal sur demande.

Et l’inflation ?

Il est important de noter que le discours de Biden sur le droit à l’avortement n’a pas mentionné la situation économique à laquelle sont confrontés des millions d’électeurs à travers le pays. Pourtant l’inflation rogne fortement sur les conditions de vie des femmes, des personnes transgenres et des personnes racisées que Biden prétend protéger.

L’inflation aux États-Unis a atteint 8,2 % le mois dernier, avec une montée en flèche des prix des produits de première nécessité, notamment des denrées alimentaires. Pendant ce temps, les bénéfices des entreprises continuent de grimper. De plus, la Fed ne mâche pas ses mots : elle prévoit de faire payer la crise à la classe ouvrière en augmentant les taux d’intérêt dans une tentative désespérée de ralentir l’économie, une mesure qui pourrait très bien conduire les États-Unis et le monde entier à une nouvelle récession.

Et pourtant, Joe Biden et les Démocrates veulent que les gens se concentrent uniquement sur l’avortement. Ils utilisent la peur de la droite pour alimenter leurs votes, ignorant le fait que ces questions – qui sont en tête des préoccupations des gens – sont interconnectées et représentent toutes deux des attaques contre les conditions matérielles de centaines de millions de personnes vivant aux États-Unis. Et ignorer l’inflation tout en se focalisant sur le droit à l’avortement risque de pousser des pans entiers de la population dans les bras de l’extrême-droite, qui prétend cyniquement se soucier de la classe ouvrière et de l’économie tout en attaquant leurs droits, l’accès aux soins, leur droit de vote, voire même directement leur existence.

Alors que les politiciens veulent séparer les revendications économiques de celles sur les droits reproductifs, la réalité est qu’elles sont profondément imbriquées. La décision d’avoir ou non un enfant et le moment de le faire est un choix que chaque personne enceinte devrait pouvoir faire. La majorité des personnes qui souhaitent avorter s’inquiètent de l’impact d’un enfant sur leur situation économique, dans un pays où une naissance coûte des milliers de dollars et des centaines de milliers de dollars supplémentaires pour l’élever. La question des revenus fait partie intégrante de la lutte pour la justice reproductive ; et ce sont les femmes à faibles revenus, les personnes racisées et les jeunes qui seront les plus touchés par l’inflation.

Il y en a assez du moindre mal !

Le parti démocrate n’a pas défendu et ne défendra pas le droit à l’avortement. Pendant des décennies, il n’a rien fait et a permis, et même parfois facilité, l’érosion du droit à l’avortement pour des millions de personnes, sapant le travail des militant.e.s qui se battent pour protéger le droit à l’avortement et garantir les soins de santé reproductive. Aux côtés des Républicains, ils gouvernent en faveur des riches et des capitalistes, adoptant des politiques qui ouvrent de nouvelles voies à l’exploitation de centaines de millions de travailleurs et de pauvres. Pourtant, ils veulent encore nous faire croire à leurs promesses vides afin de remporter une nouvelle élection, en nous resservant les mêmes promesses et la même rhétorique dans deux ans.

Un véritable accès à l’avortement gratuit et accessible à toutes, une vie qui ne soit pas marquée par l’inflation ne pourra se gagner en comptant sur les démocrates. Il faut construire un mouvement dans la rue, en organisant des manifestations et des actions comme celles qui ont permis de gagner le droit à l’avortement en Argentine. Il faut s’appuyer sur le pouvoir du mouvement ouvrier et des nouveaux syndicats qui ont émergé, en préparant une grève pour les droits reproductifs et contre l’augmentation du coût de la vie.

Mais pour que ce type d’action de masse progresse et soit capable de construire une force qui puisse réellement gagner nos revendications, nous avons besoin d’un parti de la classe ouvrière, et pas seulement d’une autre alternative électorale. Un tel parti devrait avoir pour tâche centrale de construire la lutte dans les rues et sur les lieux de travail, d’aider à construire des actions pour le droit à l’avortement, pour les droits des personnes trans, et de s’opposer aux efforts des capitalistes pour nous faire payer la crise économique.

Il est grand temps de construire un parti qui se batte pour l’avortement gratuit, sûr et légal, pour des salaires qui augmentent avec l’inflation et pour un système de santé public. Nous avons besoin d’un parti par et pour la classe ouvrière, une classe ouvrière qui est racisée et féminisée, et non pas un parti par et pour les flics, les patrons ou le système capitaliste. Nous avons besoin d’un parti qui se batte pour le socialisme, une société où tous les exploités et les opprimés, celles et ceux qui font fonctionner la société, soit aux commandes et obtiennent ce dont ils ont besoin, non seulement pour vivre, mais pour être vraiment libres.

 
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