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La Izquierda Diario
26 de octobre de 2022 Twitter Faceboock

Billet
La CGT appelle au 27 octobre et au 10 novembre : encore des journées isolées de 24h sans perspectives ?
Anasse Kazib

Ce vendredi la confédération CGT a appelé à deux journées de mobilisations les 27 octobre et 10 novembre. Dans la séquence ouverte par la grève des raffineurs, ces dates représentent-elles une véritable perspective de combat pour arracher une victoire générale sur les salaires ?

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Photo : O Phil des Contrastes

Quels enseignements faut-il tirer du 18 octobre ?

 
La journée de grève interprofessionnelle du mardi 18 octobre appelée par CGT, FO et Solidaires, déclenchée en réponse aux réquisitions dans les raffineries, a rassemblé davantage que la mobilisation du 29 septembre, avec seulement 5 jours de préparation. Si la solidarité vis-à-vis des raffineurs était dans toutes les têtes, ce qui a motivé autant de secteurs à se mettre en grève aussi rapidement, c’est l’occasion de frapper ensemble en s’appuyant sur la « fenêtre de tir » ouverte par les raffineurs. Une expression qui était sur toutes les lèvres dans les assemblées générales. Même si beaucoup de grévistes ont critiqué – à raison – l’arrivée tardive de cette journée du 18 octobre après 4 semaines de grève dans la pétrochimie, et alors que la grève était déjà levée chez ExxonMobil, la plupart ont compris que la situation dans le pays et le rapport de force face au gouvernement et au patronat était en train de changer.
 

La journée de mobilisation du 18 octobre a confirmé que, ces dernières semaines, la volonté de se battre pour chercher de véritables augmentations de salaire avait fait tache d’huile. Les raffineurs ont montré la voie et d’autres secteurs leur ont emboîté le pas, à l’image d’EDF où après plusieurs jours de grève dans les centrales nucléaires, des augmentations ont été arrachées. En outre, les épisodes de grève se sont multipliées, comme dans les transports actuellement chez Kéolis Meyer, le routier Calberson Géodis, dans l’agro-alimentaire chez Neuhauser... L’ensemble de ces conflits partagent une revendication centrale, la question des salaires. Mais les racines de la colère remontent à la crise sanitaire et au rôle central qu’ont joué les travailleurs. Qualifiés de première et deuxième ligne par le gouvernement, ils sont aujourd’hui les grands oubliés de l’après-crise sanitaire, quand les dividendes versés aux actionnaires battent des records.

 
La journée du 18 octobre a eu le mérite d’unir plusieurs secteurs du mouvement ouvrier, cheminots, dockers, raffineurs, routiers autour de cette question. Certes pas encore de manière massive et durable, mais néanmoins via une première journée de grève offensive pour les salaires, là où les grands mouvements des dernières années se sont joués avant tout sur un terrain défensif (Code du Travail, service public ferroviaire, retraites).
 

Le court délai d’appel pour construire cette date et la reprise du travail dans certaines raffineries ont limité les possibilités d’extension et la concrétisation d’une grève plus massive. De nombreux secteurs soumis à la loi sur le service minimum n’ont même pas pu se mettre en grève du fait de l’absence de préavis déposé dans les 15 jours précédant le 18 octobre. Les secteurs dans lesquels il y a plus d’automatismes de lutte ont pu se mobiliser rapidement, ailleurs cela s’est avéré plus compliqué en l’absence d’un minimum de temps de préparation et de militantisme de terrain pour mobiliser, et surtout de perspectives qui aillent au-delà d’une simple journée de grève. Compte tenu de tous ces éléments, la journée du 18 a offert un bilan en demi-teinte et en deçà de l’enthousiasme suscité par la grève des raffineurs.
 

La pénurie de carburant ne s’est pas faite en un jour

 
Les deux nouvelles dates de 24 heures appelées par la CGT viennent s’ajouter à la journée du 29 septembre et à celle du 18 octobre. En tout, cela fera 4 journées de 24 heures éparses en l’espace d’un mois. Quatre journées qui, appelées sur la même semaine, auraient déjà donné à voir un plan de bataille bien plus ambitieux que la répétition de journées isolées et routinières comme ce fut le cas le 29 septembre dernier.

 
La question n’est pas de dire ici que les conditions objectives de la reconduction et de la généralisation seraient réunies à n’importe quel moment, mais bien de pointer les limites de la multiplication d’appels à la grève de 24 heures. D’autant plus dans une période où la situation inflationniste et la multiplication de grèves dans plusieurs secteurs indiquent clairement une disponibilité à lutter.
 

La question de la reconduction de la grève se pose évidemment si on réfléchit stratégiquement aux manières de gagner. Chaque travailleur, qu’il ait déjà lutté ou non, connaît en réalité les capacités de résistance de son patron : les travailleurs analysent les stocks, les capacités de remplacements des grévistes, ou encore les périodes où il est plus stratégique de frapper fort. N’importe quelle personne qui a mené une fois une grève dans sa vie, sait pertinemment qu’aucune grève ne peut donner d’avancée importante sans un rapport de force dur, c’est-à-dire sans priver le patronat de ce qui lui est le plus cher : l’argent. Il est très rare qu’une grève de 24 heures permette un tel rapport de force.

 
Les grévistes de la RATP et de la SNCF ont dû tenir la grève plus de 50 jours pour faire reculer le gouvernement sur la réforme des retraites par points à l’hiver 2019-2020. Ils savent qu’un conflit capable de gagner, ou au moins de mettre en déroute un projet, nécessite un plan de bataille à la hauteur des enjeux. Pour autant, le lancement de la grande grève contre les retraites est née d’une journée de grève de 24 heures, le 13 septembre 2019, qui a servi de tremplin pour préparer la grève reconductible.

 
De la même manière si les raffineurs sont partis en grève reconductible fin septembre, c’est après avoir organisé une journée de grève en juin, dont la presse n’a quasiment pas parlé à l’époque. Les grèves de 24 heures ne sont donc pas mauvaises en elles-mêmes, mais leur rôle reste limité à la construction et à l’amplification par la suite du rapport de force. À l’inverse, la multiplication de journée isolées sans aucune perspective de reconduction, dont la CGT s’est fait une spécialité cette dernière décennie (2016 en est un exemple marquant), participe surtout à épuiser le mouvement, à éviter toutes formes d’auto-organisation des travailleurs et à les empêcher de pouvoir partir définitivement dans une grève plus massive. C’est pour cela que la bourgeoisie et la presse se sont moins inquiété des journées de grève du 29 septembre ou du 18 octobre, comme ils ne parlent quasiment pas de la journée du 27 octobre à venir, contrairement au tapage médiatique qui a eu lieu durant la grève des raffineurs de Total et Exxon Mobil.

Nous voyons que dans le cas des deux nouvelles dates, la CGT est tiraillée par la bataille du prochain congrès et essaye d’afficher une forme de radicalité et d’empressement. Mais la réalité réapparait bien vite, notamment quand la secrétaire confédérale Céline Verzeletti explique la multiplication des dates par le fait que « quinze jours de pause c’est trop ». Trop pour qui ou pour quoi ? Tout le monde voit aujourd’hui qu’il y’a déjà un mois de retard sur la période où il fallait taper quand les raffineurs avaient mis les stations à sec. Le tout n’est donc pas d’afficher un discours de façade, mais bien de voir qu’une grève nécessite de la préparation, et également qu’elle doit frapper au bon moment.

Enchainer des dates isolées de 24h, comme des canards sans tête n’a aucun sens, sinon démoraliser les gens qui retiendront la faiblesse des mobilisations. La confédération CGT s’est faite spécialiste des appels en décalage de moments subversifs, quand il n’y a plus beaucoup de risque à l’explosion, à l’image du mouvement des Gilets Jaunes où c’est plusieurs semaines après le plus haut du mouvement que la centrale syndicale décide d’appeler à se mobiliser avec eux… avec peu de succès.

Une journée de grève (même interprofessionnelle) dont on connaît le début et la fin, dans laquelle les patrons peuvent décaler la production au lendemain, mettre les salariés en télétravail, faire appel à l’intérim ou encore utiliser les stocks existants, n’effraie pas trop les capitalistes. La grève reconductible amène un rapport de force bien plus important et prolongé, mais elle permet également aux travailleurs en grève de se saisir de leur lutte, de se rendre en assemblée générale, d’aller chercher les collègues hésitants, de décider des suites de leur mouvement, et de prendre conscience de leur force en tant que classe : sans elles et eux, plus rien ne tourne. Les raffineurs par leur grève, ont posé la question des salaires comme un fait politique incontournable dans tout le pays. Mais cela n’a été possible que lorsqu’ils ont décidé d’arrêter les installations pour de bon et de partir en grève reconductible. Chaque jour, les médias et le gouvernement étaient suspendus aux lèvres des représentants qui annonçaient le résultat des AG de raffineurs sur la reconduction. À raison.

Le moins que l’on puisse dire est qu’une journée en pleine vacances, appelée une semaine avant, exclue de fait certains secteurs soumis au délai de 15 jours ou d’autres comme l’éducation nationale ou la jeunesse. Et une deuxième date posée un 10 novembre, veille d’un week-end de 3 jours avec férié, ne risque pas de donner un débouché en reconductible.

 

Pour ne plus lutter chacun dans son entreprise, des revendications claires et à même d’unir notre classe

 
Si une grève reconductible impose un rapport de force élevé, encore faut-il la réaliser dans les faits. La division du monde du travail, entre salarié au statut, fonctionnaire, intérimaire, en CDD, chômeur ou sans-papier, participe à éviter les conflits de masse et toute généralisation de la grève au-delà des secteurs centraux et syndiqués de notre classe (énergie, transport, certaines industries, fonction publique). 

 
La bourgeoisie joue de cette division : dès qu’elle le peut par ses médias, elle oppose les salariés dits « privilégiés » et les petits travailleurs « pris en otage » par les grévistes. Ainsi, une grève ne se limite pas à une question de rapport de force matériel – même si cela demeure central - mais aussi à sa dimension politique. Le gouvernement a combattu politiquement la grève des raffineurs (appels à ne pas « céder à la panique » devant les pénuries, diffamation des causes de la grève pour tenter de l’isoler, promotion des accords signés par la CFDT) avant de combiner à cette offensive un rapport de force très matériel avec les réquisitions. 
 

La question de l’unification de notre classe dans un même mouvement pose des questions politiques : quels mots d’ordre, quelles revendications peuvent mettre en lutte l’ensemble de notre classe (au-delà des divisions par corporation et/ou statut) ?

 
Les revendications qui ont ce potentiel d’unification émergent déjà, parce qu’elles sont absolument nécessaires à tous les travailleurs. D’abord l’indexation des salaires et des pensions/allocations sur l’inflation pour ne pas se voir grignoter chaque petite augmentation en quelques mois par la hausse des prix. On peut trouver cette revendication dans le programme de certaines confédérations (CGT et Solidaires), mais elles n’en font pas leur mot d’ordre central. L’ensemble du monde du travail gagnerait à défendre cette mesure et un sondage récent du JDD indique même que 87% de la population y est favorable.

 
Ensuite, toutes les grèves qui ont lieu actuellement portent en premier lieu l’augmentation des salaires. Mais à la suite du rapport de force imposé par les raffineurs, et sous le coup de l’inflation, les revendications se radicalisent. De compensation de l’inflation, on parle maintenant d’augmentation de salaire réel : de plus en plus de grévistes affichent comme revendication une augmentation de 10 % de salaires. C’est le fruit d’un changement d’état d’esprit : en prenant conscience de leurs forces, les travailleurs s’autorisent à penser qu’il est possible d’obtenir plus ! Mais pour éviter que la bourgeoisie ne joue de nos différences de salaires (comme ils l’ont fait avec les raffineurs), il est essentiel de forger une revendication identique pour l’ensemble de notre classe. Pas seulement en pourcentage (10 % pour un smicard ou pour un salaire à 2000€ ne représentent pas la même somme) mais avec un plafond : minimum 400€ pour toutes et tous !

 
Les revendications jouent un rôle central dans la construction de l’unité et pour faire converger toutes les grèves qui essaiment à travers le pays. Une priorité qui n’est pas celle des confédérations syndicales. Loin d’essayer de trouver les points de convergence en termes de revendications entre les grèves en cours et les raffineurs, elles sont restées absolument passives pendant le plus gros de la grève des raffineurs, ne réagissant que lorsque le gouvernement avait déjà entamé son offensive avec les réquisitions.

 
Les journées de grève du 27 octobre et du 10 novembre pour l’heure ne sont chargées d’aucun contenu revendicatif clair capable de ranger une large majorité de l’opinion publique derrière elle, et surtout d’engager une part conséquente du prolétariat à entrer dans la lutte.
 

Ce sont donc aux syndicalistes de terrain et aux travailleurs de se saisir de cette séquence ouverte, après la grève des raffineurs sur les salaires et suivie d’une journée encourageante le 18 octobre, pour exiger la mise en place d’un véritable plan de bataille avec des mots d’ordre pour l’ensemble du monde du travail.

 
C’est uniquement comme cela qu’il sera possible de construire un rapport de force capable d’obtenir une victoire pour tous et non avec des journées de grèves de 24 heures isolées sans perspectives. La bourgeoisie ne concédera jamais d’augmentation de salaire générale et l’indexation de tous les salaires sur l’inflation, si aucun plan de bataille sérieux cherchant à déstabiliser le pouvoir et le patronat n’est mis en place. Les bureaucrates syndicaux ne trouvent pas le « bouton » pour la grève générale, mais celui des grèves de 24 heures lui en tout cas est plus qu’usé.

 
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