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27 de octobre de 2022 Twitter Faceboock

Aéronautique
« Féminiser la filière » : Airbus instrumentalise le féminisme pour plus de précarité et de bas salaires
Gabriella Manouchki
Rozenn Kevel

Les opérations de recrutement visant les femmes se multiplient dans le secteur aéronautique. Derrière une communication appelant à la « féminisation de la filière » au nom de la « mixité », c’est bien la réalité d’une crise de recrutement due aux bas salaires et aux conditions de travail de misère qui se cache.

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Photo : CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Vendredi 21 octobre, Olivier Dussopt, ministre du Travail, était à Toulouse pour visiter un site d’Airbus, accompagné par le DRH de l’entreprise Thierry Barril. Une occasion de promouvoir le projet de « féminiser les effectifs » dans le cadre de « l’insertion professionnelle des publics éloignés de l’emploi ». Cette opération de communication chez le donneur d’ordre de l’aéro, accompagnée par le gouvernement, prend place dans une série d’initiatives du même type. Le 13 septembre dernier, dans un centre AFPA toulousain, des rencontres étaient organisées entre des femmes en recherche d’emploi et des recruteurs de l’aéronautique, rassemblant une agence travaillant pour Airbus et les représentants de différentes entreprises sous-traitantes telles que Satys, Airbus Atlantic, AviaComp, le Groupe Rossi Aéro ou encore le Groupe ADF. Il y a quelques semaines, c’était l’organisation patronale du secteur de la peinture aéronautique, le GIEQ Occitanie, qui lançait une promotion d’apprentis peintres aéronautiques uniquement féminine. Dans le même sens, le sous-traitant gersois Air Support a mené il y a quelques mois dans ses locaux une opération de présentation de ses métiers spécifiquement réservée aux femmes, suivi d’un job dating pour des postes de préparatrices aéronautiques notamment.

Derrière un discours d’apparence féministe, les patrons de l’aéro à la recherche d’un « vivier féminin » pour pallier le « manque de bras »

Lors de ces opérations, comme le rapporte Actu Toulouse, les recruteurs se révèlent soudainement concernés par la place des femmes dans la filière aéronautique, se montrant comme le DRH d’Airbus très attachés à la « parité », en particulier dans le domaine de la production : « Il faut être une entreprise qui donne envie aux jeunes femmes de choisir nos formations et nos métiers », a-t-il affirmé. Et le ministre de surenchérir sur le terrain de « lutte contre les discriminations » en rappelant que les recruteurs doivent également veiller à employer « des travailleurs en situation de handicap, des seniors en recherche d’emploi… ». Dans cet esprit, Nathalie Dousset, responsable du Programme Quality Manager chez Airbus, expliquait déjà en 2019 que « la diversité de genre au travail rend les collaborateurs plus optimistes et plus respectueux entre eux, créant ainsi une véritable synergie dans les équipes, qui deviennent alors plus performantes, plus innovantes ».

Mais ce type de discours, qui derrière l’apparence d’une rhétorique progressiste n’hésite pas à mobiliser des stéréotypes de genre sur les prétendues « qualités » intrinsèques des femmes, masque mal des préoccupations beaucoup plus pragmatiques : il s’agit de mobiliser le « vivier féminin » pour pallier le manque de bras. Comme l’explique Olivier Dussopt, toujours selon Actu Toulouse, « la féminisation est une piste » pour pallier ces difficultés à recruter : « Pour reprendre l’expression de Guillaume Faury : il manque des bras partout ! », assume le ministre en visite chez Airbus. « C’est vrai que nous que nous n’avons pas assez de vivier féminin et pourtant les opportunités sont là du moment que la personne a les compétences. Chez Airbus Opérations, nous avons rentré 550 intérimaires depuis le début de l’année 2022 et nous avons encore des besoins à hauteur de 250, tous métiers confondus. Recruter des femmes serait une bonne chose. Par exemple, sur notre usine de Saint-Éloi, seulement 8% des effectifs sont des femmes mais nous voulons monter ce chiffre à 30% », détaille Laurent Raynaud, responsable du recrutement par intérim chez Airbus Opérations à Toulouse.

Une opération de communication du patronat et du gouvernement au service d’un objectif : imposer la précarité et les bas salaires

Ainsi, loin de toute préoccupation féministe, c’est bien la nécessité de combler le manque d’effectifs pour remplir les carnets de commande qui intéresse les patrons de l’aéronautique. Et pour cause : après avoir massivement licencié et précarisé à coup d’accords de performance collective quand la production était ralentie par les confinements, après avoir augmenté les cadences dans des conditions de travail dégradées à l’occasion d’une reprise marquée par l’inflation, le patronat cherche de nouvelles solutions pour maximiser ses profits.

Utiliser les femmes comme variable d’ajustement pour maintenir des bas salaires et des conditions de travail déplorables reste de tout temps sa solution privilégiée, car c’est la plus économique. D’après l’INSEE : « En France, les femmes salariées du secteur privé gagnent en moyenne 16,8 % de moins que les hommes en équivalent temps plein, c’est-à-dire pour un même volume de travail. À cet écart de salaire s’ajoutent des inégalités de volume de travail, les femmes étant bien plus souvent à temps partiel et moins souvent en emploi dans l’année que les hommes. Au total, les femmes perçoivent une rémunération inférieure de 28,5 % à celle des hommes ». L’aéronautique n’échappe pas à la règle : à Airbus SAS, d’après la CGT, les écarts de salaires entre les hommes et les femmes sont de -25% en équivalent temps plein.

Lors de la rencontre citée plus haut, la directrice des centres AFPA Annie Brinet mettait en garde les demandeuses d’emplois : « les pré-requis pour intégrer les formations sont d’avoir une grosse motivation et un vrai savoir-être » : de la motivation il en faudra face aux bas salaires et aux conditions de travail de misère, et ce d’autant plus alors que les prix flambent ! Une rhétorique patronale des plus hypocrites quand on sait que les femmes sont toujours les premières à être impactées par la crise économique : quand il faut recruter, elles sont payées au rabais ; quand il faut licencier, elles seront les premières visées ; et quand l’inflation frappe, elles sont aussi en première ligne de l’augmentation des prix.

Une autre solution existe pourtant face à la prétendue « pénurie de main d’œuvre » : augmenter les salaires ! Ce que les patrons se gardent bien de faire, alors même que les salariés de différents sous-traitants ont fait grève pour les salaires depuis la reprise post-Covid, comme aux Ateliers de la Haute-Garonne, chez AAA, Satys ou encore Mecachrome. Ces dernières semaines, suivant la voie ouverte par les raffineurs, des grèves pour des augmentations de salaire à la hauteur de l’inflation ont éclaté dans de nouveaux sous-traitants : chez Sabena Technics, Daher, et maintenant Safran et Blanc Aéro… Mais aussi, plus récemment et de façon inédite, chez le donneur d’ordre, à Airbus avec la grève sur les chaînes d’assemblage de l’A380 pour 10% d’augmentation. Interviewée par Révolution Permanente à ce sujet, une ex-gréviste du sous-traitant aéronautique Daher explique : « On a fait grève mais la direction ne nous écoute pas. Les intérimaires ne veulent pas signer de contrats ici et les CDI démissionnent car les conditions de travail et les payes sont scandaleuses ! ».

Force est de constater que la solution n’est pas de « féminiser la filière » dans le seul but de combler un manque de bras pour réussir à respecter les carnets de commandes des patrons en maintenant des conditions de travail précaires. Au contraire, la solution se trouve dans les mobilisations des salariés de l’aéronautique, quel que soit leur genre ou leur entreprise, pour des augmentations de salaires et des conditions de travail dignes pour toutes et tous. Il est important de dénoncer l’instrumentalisation d’une rhétorique féministe par les patrons qui, comme le montre leur attitude vis-à-vis des grèves en cours, n’ont que faire de la situation des femmes dans les entreprises. À leur hypocrisie au service d’intérêts capitalistes, il s’agit d’opposer un soutien sans faille aux mobilisations en cours et de revendiquer des augmentations de salaire immédiates à hauteur de 400€ et leur indexation sur l’inflation, pour que les revalorisations acquises ne soient pas absorbées par la hausse des prix. Parce que ce n’est pas à nous de payer leur crise.

 
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