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27 de octobre de 2022 Twitter Faceboock

Europe centrale
Hongrie. Les enseignants montrent la voie face à l’inflation et les politiques d’Orbán
Irène Karalis

En Hongrie, des dizaines de milliers d’enseignants, élèves et parents ont manifesté à plusieurs reprises contre la précarisation grandissante de la profession, dans un contexte où l’inflation a atteint les 20%. Une situation qui pourrait déstabiliser le gouvernement, déjà fragilisé au sein de l’UE par la guerre en Ukraine.

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Crédits photo : Attila KISBENEDEK / AFP

Depuis la rentrée, trois grosses manifestations ont eu lieu dans le pays. Le 5 octobre, des dizaines de milliers de profs, lycéens et parents d’élèves sont descendus dans les rues de Budapest et d’autres villes du pays et le soir même, 40 000 personnes se retrouvaient à un concert de solidarité. Le 23 octobre, jour de la fête nationale, 80 000 personnes sont sorties manifester et ce jeudi, Erzsébet Nagy, représentante du syndicat démocratique des enseignants (PDSZ), a déclaré que des milliers d’enseignants avaient quitté leur poste pour la journée. La prochaine journée de grève devrait avoir lieu le 18 novembre et la prochaine manifestation nationale le 26 novembre.

La mobilisation a d’abord commencé chez les enseignants avant d’être rejointe par les lycéens et les étudiants. Ce dimanche, des étudiants avaient ainsi organisé une manifestation de solidarité devant l’Université de technologie et une élève d’un lycée cistercien, Lili Pankotai, a déclamé un texte en slam devant 50 000 personnes contre le régime. « S’ils sont tous comme elle, et que leurs professeurs aussi, alors ce pays est fini », a affirmé Zsolt Bayer, journaliste d’extrême-droite et ultraconservateur, co-fondateur du parti Fidesz et proche d’Orbán, montrant les signes de fébrilité du régime face à une nouvelle génération potentiellement explosive.

Inflation, droit de grève, dégradation du système éducatif

Des mesures contre la pénurie d’enseignants, de meilleures conditions dans les écoles, priorité à l’éducation : telles sont les revendications du mouvement. Et pour cause : les personnels de l’éducation et les élèves sont les premiers à pâtir de la situation économique du pays et de la dégradation du système éducatif public orchestré par le premier ministre hongrois depuis plusieurs années.

Alors que l’inflation générale a atteint les 20%, un record dans l’Union Européenne, les produits alimentaires ont augmenté de 35% et les prix de l’énergie explosé, depuis la fin de leur encadrement en avril. En cause, la guerre en Ukraine, la hausse des prix de l’énergie et la chute du forint de 10% depuis le début de l’année mais aussi l’argent dépensé par le gouvernement dans la campagne électorale d’avril dernier. Aujourd’hui, le coût de la vie pour une personne seule à Budapest est estimé par la plateforme de données Numbeo à 229 765 forints, soit 561€, et ce sans compter le loyer. Or, le salaire d’un professeur de lycée en début de carrière en Hongrie est d’un montant équivalent à 400 ou 500€ selon les sources, et d’entre 700 et 900 euros en fin de carrière.

En plus d’une volonté d’avoir des salaires permettant de vivre dignement, le mouvement montre également une colère contre la politique répressive du gouvernement dont le secteur de l’éducation est en première ligne. Le droit de grève y est très limité et la législation rend quasi impossible une grève générale. Au printemps dernier, un amendement a été adopté pour imposer aux enseignants le fait d’être obligés d’assurer la moitié de leurs cours, la totalité pour les élèves de terminale, les empêchant ainsi de faire grève. Le cas de la répression de Katalin Törley, professeure de français au lycée Kölcsey et licenciée pour avoir raté 9h de cours, par exemple, a particulièrement fait parler.

Cette répression du droit de grève s’accompagne d’une offensive plus générale contre le secteur de l’éducation depuis le début de la « révolution conservatrice » annoncée par Orbán et qui constitue la pointe avancée des phénomènes les plus réactionnaires en Europe. Ce dernier a par exemple fait interdire l’intervention d’associations LGBT à l’école en juin 2021 et fait inscrire dans la Constitution les « racines chrétiennes » de la Hongrie, « le mariage comme union de vie entre un homme et une femme » et « la protection de la vie dès la conception ».

Les enseignants sont chargés d’appliquer cette politique réactionnaire et à la rentrée scolaire de 2018, ces derniers ont reçu un kit ayant pour fonction de les pousser à réveiller « la conscience nationale, les valeurs culturelles chrétiennes, l’attachement à la patrie et à la famille ». Dans le même temps, de plus en plus d’établissements scolaires deviennent confessionnels, une transition financée par le gouvernement. Selon le journal La Croix, ce dernier a par exemple décidé en 2018 de verser 200 000 forints, soit 620 euros, pour chaque enfant scolarisé dans des établissements chrétiens. Or, une étude de l’association « La voix des parents » a montré que 80,9% des parents d’élèves désapprouvaient ce choix. D’autant plus que les écoles religieuses sont très sélectives et que dans le même temps, le gouvernement désinvestit le secteur de l’enseignement public. Selon la même association, trois fois plus d’argent serait ainsi investi dans les établissements confessionnels que dans les écoles publiques et l’OCDE rapporte que la Hongrie serait le pays de l’Organisation avec le pire budget de l’éducation.

Cependant, la grève des enseignants semble avoir du soutien même auprès de la base électorale d’Orbán. Car la revendication sur les salaires touche aussi bien les enseignants du public que ceux du privé ; également la mobilisation des enseignants inquiète les parents des élèves qui craignent une désertion du secteur par les salariés, tellement les salaires sont bas. C’est ce qu’affirme le site Balkan Insight : « il s’agit d’un conflit qui transcende les divisions politiques et sociales traditionnelles en Hongrie. L’action de grève est soutenue par de nombreux enseignants des écoles confessionnelles financées par l’État, où le personnel est généralement plus conservateur que ses homologues des écoles laïques mais partage les mêmes problèmes de rémunération. En outre, "de nombreux parents votant pour le parti Fidesz s’inquiètent également de la qualité visiblement dégradée de l’enseignement dans les écoles publiques", a déclaré Gabor Gyori, analyste principal au groupe de réflexion Policy Solutions de Budapest. "Ils sont favorables aux revendications salariales des enseignants, si ce n’est toujours aux actions de grève" ». Il en va de même pour la répression des mouvements de grève : celle-ci est tellement suivie que la répression se révèle difficile à appliquer. En outre, les élèves et les parents ont déjà exprimé leur solidarité contre les sanctions pour faits de grève.

Conséquences de la guerre en Ukraine

Si jusqu’à maintenant, une large partie de la population identifiait Orbán à une forme de stabilité, de prospérité économique et de fierté nationale, lui permettant de rester au pouvoir pendant quatre mandats continus, la contestation entamée par les enseignants est un signe que la situation économique pourrait renverser la tendance. En avril dernier, lors de sa réélection, nous écrivions ainsi : « tout le régime sur lequel s’assoit Orbán pourrait être bouleversé si la situation économique internationale venait à changer drastiquement, affectant directement les pays de la périphérie capitaliste comme la Hongrie. Dans ce cas, le mécontentement social et économique pourrait se combiner avec certaines expressions de la lutte de classe (que le pays a connu de façon sporadique ces dernières années). Étant donné le contrôle serré des voies institutionnelles par le Fidesz, cela pourrait favoriser des formes de contestation extra-parlementaires. »

Or, sa situation économique dépend en grande partie de ses relations avec le reste de l’Union Européenne, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles ne sont pas au beau fixe. Si pendant son premier mandat en 1998, Orbán était considéré comme le « bon élève » de l’Europe, le premier ministre a opéré un tournant après la crise de 2008, après que le gouvernement précédemment en place a appliqué les politiques d’austérité de l’UE et du FMI dans le pays. En instaurant une politique interventionniste et nationaliste dans les secteurs stratégiques de l’économie, Orbán parvient ainsi à faire reprendre la croissance et baisser le chômage. Dans le même temps, le chef du gouvernement hongrois sécurise sa position en adoptant une politique clientéliste auprès de la population.

Ces politiques se font au détriment de sa bonne entente avec les autres pays de l’Union Européenne. La guerre en Ukraine n’a fait qu’accentuer cette fracture dans l’UE puisque la position « trop bienveillante » à l’égard de la Russie d’Orbán a fait de lui un paria dans l’union et que les leaders de l’Union Européenne que sont la France et l’Allemagne en ont profité pour mettre la pression sur les chefs de gouvernements jusqu’alors désobéissants à la politique de Bruxelles. Or, si la Hongrie a voté pour les sanctions contre la Russie, elle a tenté de poser un veto sur l’embargo sur le pétrole russe et reste le seul pays de l’OTAN à avoir refusé de livrer des armes à l’Ukraine jusqu’à maintenant.

Aujourd’hui, dans un contexte de situation économique de plus en plus dégradée, ces nuances face à la politique de l’UE mettent Orbán particulièrement en difficulté, d’autant plus depuis que la situation militaire catastrophique de la Russie en Ukraine lui enlève la possibilité d’avoir la confiance nécessaire pour menacer de bloquer de nouvelles décisions européennes. En septembre, sous prétexte de « risques de corruption », la Commission européenne a ainsi proposé de suspendre le fonds de relance post-Covid qui lui était réservé et dont le montant s’élève à 7,5 milliards. Il y a quelques jours, elle a décidé de lui donner jusqu’au 19 décembre pour appliquer les lois anticorruption nécessaires au déblocage de ce fonds.

Pour l’instant, le gouvernement tente de contourner le climat social particulièrement tendu du pays en accusant l’Union Européenne de la situation économique du pays et en agitant la carotte. « Ils n’ont qu’à aller manifester à Bruxelles », a ainsi lancé le porte-parole du gouvernement Zoltán Kovács. Dans le même temps, le gouvernement a promis une revalorisation de 75% d’ici à 2025 s’il reçoit les fonds de l’Union Européenne.

Néanmoins, si la grève des enseignants pourrait le conduire à accélérer les négociations avec l’Union Européenne, la dépendance de la Hongrie à l’égard de la Russie l’empêchent de se repositionner confortablement. 90% du gaz et 65% du pétrole dans le pays proviennent en effet de Russie et contrairement aux autres pays de l’UE tels que la Pologne ou l’Allemagne, le gouvernement hongrois n’a apparemment pas prévu de rompre cette dépendance énergétique. Au contraire : selon le journal libéral Contrepoints, des contrats de longue durée ont été conclus au niveau du gaz, mais aussi du nucléaire. Et si le gouvernement tente d’organiser des coups de force au sein de l’UE, à l’image de la grande « consultation nationale » destinée à obliger Bruxelles à lever les sanctions contre la Russie, les possibilités qu’ils portent leur fruits sont restreintes au vu de la volonté de l’UE d’affaiblir pour de bon la Russie.

Quoiqu’il en soit, les conditions politiques et économiques internationales sont en train de changer et représentent une menace pour la stabilité politique, économique et sociale du pays. Du côté de la lutte des classes, la contestation ouverte par les enseignants sur la question de l’inflation et du niveau de vie fait écho aux mobilisations au Royaume-Uni et plus récemment en France avec la grève des raffineurs. Si les régimes en place diffèrent selon les pays, partout dans le monde, les travailleurs et les classes populaires sont confrontés à une même réalité, l’inflation et la perspective d’une aggravation générale et mondiale du niveau de vie. Dans ce contexte, les raffineurs en France comme les enseignants en Hongrie montrent que seule une mobilisation de la classe ouvrière et de l’ensemble de ceux qui font les frais de la crise contre la classe capitaliste à l’international peut permettre d’inverser la tendance.

 
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