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7 de novembre de 2022 Twitter Faceboock

Enquête
Profilage racial, harcèlement, contrôle vestimentaire… Les lycéennes face à l’islamophobie d’État
Maëva Amir

Avec les offensives islamophobes du gouvernement, dont celle récente de Pap N’Diaye, une véritable chasse aux élèves musulmanes se met en place dans les lycées. Contactées par Révolution Permanente, des lycéennes témoignent du harcèlement auquel elles font face, du fait de leur appartenance réelle ou supposée à la communauté musulmane.

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Depuis la rentrée, le ministre de l’Éducation Nationale Pap N’Diaye, loin du profil de « progressiste » pourtant affiché, poursuit l’offensive islamophobe engagée par son prédécesseur Jean-Michel Blanquer. En effet, le ministre a revendiqué la politique du gouvernement qui vise les élèves musulmanes à l’école, se félicitant de la hausse des « signalements pour atteinte à la laïcité ». Il s’inscrit ainsi dans les propos tenus par Emmanuel Macron à Marseille en juin dernier qui pointaient du doigt « une épidémie de tenues islamiques ».

Une chasse aux « tenues susceptibles de manifester ostensiblement » une appartenance religieuse

La loi de 2004, déjà elle-même islamophobe, interdit les tenues qui manifestent « ostensiblement », par leur nature même, une appartenance religieuse comme le port du voile. Depuis cette rentrée, ce sont les tenues « susceptibles » de manifester ostensiblement une appartenance religieuse dont les qamis et les abayas qui sont visées par le gouvernement pour leur caractère supposément religieux.

Mais cet élargissement du contrôle vestimentaire au prétexte de la laïcité n’est pas une nouveauté. Dès décembre 2007, la jurisprudence du Conseil d’État avait précisé l’application de la loi de 2004 en expliquant que certaines tenues n’étant pas directement de nature religieuse peuvent le devenir compte tenu « de la volonté de l’élève de lui faire produire cette signification, au regard de son comportement ». C’est donc dans ce cadre juridique que le gouvernement et Pap Ndiaye ajoutent à la longue liste des tenues qui renverraient à la religion musulmane, les abayas, les qamis et même dans certains cas les bandanas.

La caractérisation de ces vêtements et tenues comme relevant d’une appartenance à l’Islam est alors laissée à « l’appréciation » des directions d’établissement qui décident à partir de critères totalement subjectifs et arbitraires du caractère religieux d’une tenue ou non. Depuis les sorties du ministre Pap Ndiaye, certaines directions d’établissement ont bien entendu ces « appels à la fermeté » et appliquent les directives d’un courrier envoyé par les rectorats en septembre pour rappeler le périmètre d’application de la loi de 2004 et répondre à la paranoïa sur les abayas.

Le renforcement du profilage racial et de l’islamophobie d’État à l’école

La libre appréciation des directions d’établissement conduit ainsi à un véritable contrôle vestimentaire et à un harcèlement des élèves perçues comme étant musulmanes. Pour mener à bien ces directives, les directions appliquent ce qui s’apparente ni plus ni moins à du profilage racial et islamophobe, et vont jusqu’à questionner des élèves supposées être musulmanes sur leurs convictions religieuses. Il est clair que parmi les « éléments d’appréciation » du caractère religieux d’une tenue se cachent des biais racistes. Les élèves visées par le harcèlement, les commentaires et la suspicion visant dans leur grande majorité des élèves non-blanches.

Contactée par Révolution Permanente, de nombreuses lycéennes soulignent dans leurs témoignages que ce sont bien les populations musulmanes qui sont visées « On voit très bien que c’est pas une question de religion mais que c’est juste l’Islam. C’est parce qu’ils auraient soi-disant peur qu’on soit radicalisés, mais radicalisés de quoi ? On va me dire que parce que demain je vais mettre le voile je vais aussi aller faire le djihad, absolument pas je ne partage pas cette idéologie », explique Samia*, lycéenne dans un lycée de Toulouse.

Sur les conséquences de telles atteintes, pour des vêtements qu’elle ne considère pas comme religieux, elle précise : « Les abayas sont culturels, ça n’a rien à voir. Mes parents sont choqués. Ils commencent à avoir peur pour nous parce que maintenant on n’a plus le droit de rien faire. »

Lucie, également élève d’un lycée toulousain, témoigne elle aussi d’un durcissement de son établissement sur l’appréciation des tenues considérées comme « susceptibles » de manifester une appartenance religieuse : « Le proviseur arrête les filles, même une amie à moi qui portait un bandeau et dont on voyait les cheveux. Elle n’est même pas voilée et il l’a forcée à l’enlever, lui disant que c’était religieux, alors que ça n’a aucun rapport avec la religion, […] c’est un accessoire. » Ce sont en effet spécifiquement les adolescentes musulmanes ou perçues comme telles par la direction de l’établissement qui sont ciblées par ces politiques répressives. Le ministre Pap N’Diaye ne s’en est même pas caché. Dans une interview au Monde, il évoque les signes qui doivent être interprétés par les chefs d’établissement et invite à être « ferme et intransigeant » dans l’application de la loi de 2004.

Du côté des personnels de l’éducation, on remarque également une offensive contre certaines élèves. Cassandre, assistante d’éducation (AED) à Toulouse, témoigne de la violence de ce profilage racial, auquel elle a assisté dans son établissement : « Une élève s’est faite convoquée trois fois dans le bureau du proviseur. On lui a reproché sa tenue, notamment sa robe qu’elle (la proviseure, NDLR) considérait comme étant ostentatoire car c’était une robe longue […]. Deux jours après, cette même élève se fait à nouveau convoquer […] pour un entretien de 1h avec la proviseure où elle lui a demandé depuis combien de temps elle porte son voile, si son père l’avait forcée à le porter, si elle était d’accord avec ce qui se passait en Iran. […] La proviseure lui a même parlé des talibans, en lui disant qu’elle devait regarder ce qu’il se passe dans le monde […]. L’élève est sortie en pleurs en disant "je ne comprends pas pourquoi elle me fait un procès comme si je représentais toutes les voilées de France, j’ai l’impression d’être traitée comme un voile sur patte" »

Face à la chasse aux musulmanes, les lycéennes et les lycéens relèvent la tête

Face à l’intensification de l’offensive islamophobe dans les lycées, des élèves n’hésitent pas à dénoncer ces attaques qui stigmatisent et répriment une partie d’entre eux. En plus de déplorer le manque de professeurs et les conditions d’étude des élèves, Eddy, lycéen en région parisienne, dénonce la répression que subissent les élèves dans tous les domaines : « Les lycéens en ont marre de ces différents types de répression, que ce soit par la police quand on se mobilise ou dans nos établissements sur les tenues des lycéennes. Il y a une solidarité entre les lycéennes musulmanes et les autres lycéens quand elles se font attaquer. ». Une étude menée par l’Ifop révélait d’ailleurs en mars 2021 que 52% des lycéens sont favorables au port de signes religieux dans les lycées et que 43% d’entre eux jugent les lois de la laïcité discriminatoires envers au moins une religion.

À Marseille, en juin dernier, nous menions une enquête sur les remarques racistes de la part de certains professeurs de l’établissement Victor Hugo adressées à des élèves qui enlevaient leur voile au niveau du portail. « Tu mets un voile et tu veux faire de la socio ? », « Tu n’as pas chaud comme ça ? ». Ces attaques ont entraîné la mobilisation de l’équipe de vie scolaire accompagnée des élèves pour dénoncer le racisme et l’islamophobie au sein de l’établissement. Trois AED n’avaient alors pas été renouvelés, probablement car ils avaient osé relever la tête en solidarité des élèves discriminées.

Dès la rentrée de septembre, au lycée Joliot Curie en région parisienne, des élèves sont mobilisés pour revendiquer de meilleures conditions d’études, en exigeant notamment le retour de l’aide aux devoirs et la réintégration de leur professeur Kai Terada faisant l’objet d’une répression syndicale. Face au durcissement de leur direction d’établissement vis-à-vis des tenues dites religieuses, ils et elles réclamaient également le droit de s’habiller comme ils et elles le souhaitent et s’exprimaient résolument contre les lois islamophobes interdisant le port du voile et le harcèlement qui accompagne leur application.

Une des lycéennes mobilisées à Joliot Curie [témoignait il y a quelques semainespour Révolution Permanente : « Depuis la rentrée, la direction est très autoritaire à ce sujet. Le premier jour, une élève a carrément été renvoyée par la directrice, car elle portait le voile. Plus largement, si on porte le moindre foulard, ou une simple robe longue par simple style vestimentaire, on ne peut pas rentrer dans l’établissement, car c’est assimilé à des signes religieux. »

Cette mobilisation leur a valu une répression sans précédent, avec plus de quatorze élèves en garde à vue, des nombreuses charges policières et des élèves matraqués par la police. Ces exemples de répression de la part de l’institution scolaire et/ou de la police lorsque des élèves et/ou des personnels s’organisent face à l’autoritarisme des directions d’établissement exprime une volonté de briser tout embryon de mobilisation dans les établissements et d’éviter une jonction entre les élèves et les personnels de l’éducation nationale. Pourtant, dans certains établissements, les personnels ont montré la voie par leur soutien total aux lycéennes discriminées : cela a notamment été le cas au lycée Charlemagne, à la suite de l’humiliation publique d’une élève voilée avant son épreuve de bac.

Trop couvertes ou pas assez : c’est aux lycéennes de décider !

« Leur interdiction du crop top, je trouve que c’est aussi ridicule. On n’a pas le droit de s’habiller ample, pas le droit de s’habiller court, on est censés s’habiller comment ? », dénonce Samia. Si aujourd’hui le gouvernement cible particulièrement les tenues dites islamiques et les élèves voilées, la répression sur toutes les tenues est régulièrement dénoncée par de nombreuses lycéennes. Pour ces jeunes, l’école est aujourd’hui une institution où le contrôle du corps des femmes, racisées ou non, et de leurs tenues est devenu plus important que le fait de leur garantir un apprentissage.

Plus que jamais, il est nécessaire que les travailleurs de l’éducation nationale, main dans la main avec les élèves, revendiquent à la fois plus de moyens pour l’éducation mais aussi l’abrogation des lois islamophobes qui cherchent à faire porter sur les musulmanes et les musulmans la responsabilité de la dégradation de l’école. Trop couvertes ou pas assez, c’est aux lycéennes de décider !

Contre la loi de 2004 et son extension, il est nécessaire de dénoncer ce profilage racial et cette islamophobie d’État qui vise à opprimer les jeunes musulmanes et les jeunes racisés. Toutes ces lois liberticides ne sont en réalité que l’expression du racisme de l’État français. De même qu’il est urgent d’exiger des moyens, non pas pour la répression et l’oppression mais pour l’école, pour les salaires des personnels d’éducation, nous devons aussi revendiquer que tous les élèves puissent être accueillis dans des conditions décentes, sans risquer de subir des discriminations et d’être stigmatisés pour leur appartenance religieuse. Et en particulier pour les élèves des quartiers populaires, qui sont les premières et premiers à subir, en plus des lois racistes, une école au rabais.

*Tous les prénoms ont été anonymisés.

Annexe : Document du rectorat

 
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